Le syndrome Frankenstein
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Les progrès dans le domaine de la biologie et de la recherche ont poussé la société civile et politique à s’interroger sur le syndrome démiurgesque de Frankenstein.
Débattre des limites éthiques de la science est devenu nécessaire. Il est utile que le législateur s’intéresse sur les possibles dérives scientifiques et commerciales liées aux progrès en matière de biotechnologie ou de « bioscience ». Dans le domaine multilatétal, le 11 novembre 1997, l’UNESCO a adoptée la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, complétée le 16 octobre 2003 par la Déclaration internationale sur les données génétiques universelles. Ces deux déclarations, qui postulaient la prééminence du respect de la personne humaine et de ses libertés individuelles sur les avancées de la recherche, rendaient celle-ci possible, en esquissant une réglementation nouvelle et universelle. Voilà pour le monde en général.
Chaque pays légifère
La Commission, à la pointe du progrès, s’est dotée en 1997 d’un Groupe Européen d’Ethique des Sciences et des Nouvelles Technologies (GEE), successeur du très pionnier Groupe de Conseillers pour l’Ethique de la Biotechnologie. Le GEE, constitué en groupe d’experts indépendant, rend des avis sur la politique de recherche communautaire. Il a travaillé sur la question des embryons et des tissus humains, de l’utilisation des cellules souches. Cette année, il a planché sur l’éthique biomédicale chez les nouveaux Etats membres, les banques du sang de cordon ombilical et la commercialisation de produits issus de l’ingénierie du tissu humain.
Le Parlement européen s’est lui aussi constitué en 2001 un groupe, éphémère, de réflexion sur ces questions éthiques, la Commission temporaire sur la génétique humaine et les autres technologies nouvelles de la médecine moderne.
Toutefois, il revient à chaque pays de définir son propre champ normatif et d’y inscrire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, au regard de la morale, de l’éthique et des besoins scientifiques qui sont les siens. Dans un premier temps, la législation a « paré au plus pressé » La loi s’est positionnée en gendarme de la « bonne bioscience », à défaut (par peur ?) d’agir comme le « censeur du progrès technologique ».
La plupart des membres de l'Union européenne ont interdit le clonage humain reproductif : les Britanniques, pourtant très avancés sur la question, considèrent que l’introduction d’un embryon non issu d’une fertilisation dans un utérus de femme est un crime punissable de dix années d’emprisonnement. La création d’embryons humains à l’unique fin de recherche est pratiquement réprouvée partout sauf au Royaume-Uni où elle est autorisée sous certaines conditions.
La préoccupation première du législateur, du scientifique et de la société civile a été de s’accorder sur la définition de l’embryon. Elle est très variable d’un pays à l’autre. En Irlande l’embryon n’est pas juridiquement reconnu, c’est l’unborn (« pas encore né ») qui prévaut. En Finlande, l’embryon désigne un ensemble de cellules résultant de la fécondation, considérées in vitro ; l’embryon in vivo est un fœtus, quel que soit son stade de développement, comme aux Pays-Bas.
Conditions draconiennes
Partant de là, des législations ont été produites, le plus souvent pour les besoins de la procréation médicalement assistée, puis plus spécifiquement pour la recherche. La recherche sur les embryons à but thérapeutique est généralement autorisée, sauf au Portugal et en Irlande, où elle est inconstitutionnelle. Ailleurs, elle est soumise à des conditions drastiques, généralement l’autorisation par les donneurs de gamètes ou les parents, l’utilisation de l’embryon avant 14 jours de développement hors période de cryogénisation, la soumission du protocole de recherche à un établissement scientifique reconnu et patenté, la prohibition de toute forme d’eugénisme. La recherche à des fins thérapeutiques ne bénéficiant pas directement à l’embryon est également possible en Belgique, en Finlande, en France, aux Pays-Bas, en Espagne, en Suède et au Royaume-Uni : recherche sur la stérilité, les maladies congénitales, la contraception… En Espagne il est spécifié que ce type de recherche n’est pas possible sur des embryons issus d’un avortement volontaire. En Suède, il est autorisé sur des embryons en surplus issus de procréation médicalement assistée. En France elle doit être autorisée par le ministère de la santé et le comité de bioéthique.
Les nouveaux Etats membres ne sont pas en reste. Dotés de comités de bioéthique, depuis 1977 pour la Slovénie, 1989 pour Malte ou la Hongrie et plus récemment pour l’Estonie (1998) ou la République tchèque (1997), ils ont eux aussi secrétés une législation plus ou moins dense. Les plus avancées sont la Slovénie avec un arsenal législatif et éthique complet sur le clonage thérapeutique, l’utilisation de placebo, la mort cérébrale et le don d’organes, et la Pologne avec sa législation sur l’expérimentation biomédicale sur les embryons, les diagnostiques prénataux ou le clonage humain.
Autogestion
Aux Etats-Unis, la législation distingue les recherches qui peuvent bénéficier de financements publics et celles qui ne le peuvent pas. Le 9 août 2001, le président Georges W. Bush a décidé d’autoriser un financement fédéral limité des recherches sur les lignées des seules cellules souches actuellement existantes. Ces cellules sont obtenues à partir d’embryons surnuméraires dont les parents ont fait don à la science. Le 31 juillet 2001, la Chambre des représentants a, de son côté, voté un texte interdisant et criminalisant tout clonage humain.
En scrutant ces dispositions nationales et internationales, on s’aperçoit que ces « législations », ne font qu’accompagner ou, à défaut, qu’encadrer un mouvement général d’un monde qui « s’auto-gère », ou même « s’auto-génère ». Les textes peuvent être détournés car ils sont souvent évasifs. « L’évolution » est en marche. Hors de contrôle ?