Participate Translate Blank profile picture
Image for  Le remaniement en 5 rounds : battle Zapatero-Sarko

Le remaniement en 5 rounds : battle Zapatero-Sarko

Published on

Politique

Personne n’est dupe. Le remaniement doit d’abord vendre du rêve. José Luis RodríguezZapatero a très bien saisi la portée onirique de cette manœuvre politique en nommant Alfredo PérezRubalcaba comme vice-président. Nicolas Sarkozy, lui, produit un scénario fourre-tout, hésitant, et beaucoup appellent de leurs vœux un changement de metteur en scène en faveur du sémillant François Fillon.

In et out des remaniements français et espagnol en 5 temps.

A quoi sert un remaniement ministériel ? A raconter une belle histoire. A l’heure où le storytelling côtoie les faits en permanence, voire les influence, un grand chambardement à la tête de l’Etat est le signe envoyé au grand public, cloué sur son canapé troué ou campé sur son I-phone, que le pays change de cap. Et derrière, la concession qu’on s’est planté. En Espagne et en France, avec une cote de popularité sous la barre des 30%, José Luis RodríguezZapatero - chef de gouvernement espagnol et secrétaire général du PSOE (socialiste) - et Nicolas Sarkozy - chef d'Etat responsable du choix du Premier ministre - ont opté pour cet instrument de communication utile en cas de grosse déprime. Chômage massif en Espagne, réforme des retraites, affaires de corruption et racisme institutionnalisé en France, les raisins de la colère étaient trop juteux pour ne pas crever l’abcès. Mais toute stratégie de storytelling a ses règles. Ont-elles été respectées ?

1) Le thème de la rupture

Côté public aussi on aime le storytelling Crise oblige, les remaniements des deux pays devaient envoyer un message de nouvel élan. Opération réussie en Espagne où Zapatero a placé un homme providentiel à la vice-présidence : Alfredo Pérez Rubalcaba. Chouchou pour avoir commandité les manifs de mars 2004 qui entraînaient la victoire du PSOE aux élections, et pour s'être mouillé sur le dossier de l’ETA, le sage barbu a tempéré l’ardeur des spectateurs ibériques en manque d'action. Les Français à l’inverse ont eu droit à un vaudeville où famille centriste et famille droitiste ont lavé leur linge sale sur la place publique : le combat entre le challenger Jean-Louis Borloo et le vétéran François Fillon était-il de trop dans l'histoire ? Oui, car le challenger a perdu. Reconduire François Fillon au poste de Premier ministre après trois semaines de combat de coqs a donné lieu à des « tout ça pour ça ? »... Et, coup du sort, Fillon émerge comme une personnalité gênante pour Sarkozy dans la course à la présidence.

2) Place aux jeunes !

Donner au public de la chaire fraîche, voilà un signal de « nouveau départ » fondamental pour réussir son coup médiatique. Mission accomplie (en partie) en Espagne, avec des nouvelles têtes - le nouveau ministre du Travail Valeriano Gomez est un ancien économiste au syndicat UGT, artisan de réformes salariales comme la hausse du salaire minimum entre 2004 et 2008 ;  la ministre de la Santé Leire Pajín, 34 ans,  est la « connexion avec les jeunes pour Zapatero » selon El Pais. Au même moment, Xavier Bertrand prend la tête du ministère du Travail après avoir occupé le poste de…ministre du Travail entre 2007 et 2009… Rama Yade, la seule jeune du gouvernement Fillon II, sort au troisième round, juste après la publication de sa Lettre à la jeunesse…La « connexion avec les jeunes » a été coupée, veuillez rappeler plus tard ou laisser un message sur le répondeur... Bip, bip…

3) Virer les cancres

Message reçu de part et d’autre des Pyrénées : la vice-presidente María Teresa Fernández de la Vega et le ministre des Affaires Etrangères Miguel Ángel Moratinos ont giclé côté espagnol. Son homologue français Bernard Kouchner qui avait « pensé à la démission » après l’annonce des expulsions massives de Roms a eu sa réponse. Le ministre du Travail Eric Woerth, empêtré dans un scandale politico-financier sans fin et usé par la réforme des retraites, quitte le gouvernement avec dix ans de plus.

De Verbeelding van de Politiek, The Imagination of Politics, Universiteit van Amsterdam

4) Mobiliser les symboles du « zeitgest »

« La clé d’une présidence postmoderne est la capacité à conduire (ou à fabriquer) l’opinion. Le résultat est une sorte de campagne électorale permanente »

Là encore, les deux stratégies narratives des remaniements ont leur lot de symboles. En France, on note la mort du ministère de l’Identité Nationale, après l’échec patent du débat du même nom en 2009. Un ouf ! de soulagement, même si les dossiers liés à immigration, gérés par ce même ministère, sont à présent sous la houlette du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, ex-ministre de l’Identité Nationale condamné pour injure raciste par la justice en juin 2010. Vous avez dit changement ? Suppression aussi du ministère de l’Egalité en Espagne, assailli de critiques et de polémiques pendant deux ans, la loi sur l’avortement constituant un sommet en la matière. Deux symboles de changement, certes, mais aussi deux aveux d’échec : l’identité nationale comme l’égalité étaient deux promesses électorales majeures pour les dirigeants français et espagnol.

5) Tenir le coup : la tactique de l’esbroufe

Les rumeurs sur le remaniement auront fait la Une des médias français pendant plus de deux semainesOn a beau dire, ce jeu de chaises musicales, pratique inconnue pour les autres citoyens européens, reste un spectacle à durée limitée et aux résultats incertains. L'intérêt éphémère est de remettre la politique dans les mains des dirigeants à mi-mandat. Les remaniements de Sarko et Zapatero nous disent que les hommes politiques comptent et que leur personnalité peut suffire à faire changer les choses. Au même moment, les décideurs mondiaux racontent la même histoire au G20 de Séoul. Pourtant, dans Storytelling, l'écrivain Christian Salmon laisse entendre que les dirigeants politiques ont plus intérêt à travailler la trame du récit de leur mandat qu'à agir. Il cite The Postmodern president de Richard Rose : « La clé d’une présidence postmoderne est la capacité à conduire (ou à fabriquer) l’opinion. Le résultat est une sorte de campagne électorale permanente ». Alors derrière leurs remaniements, toutes les pensées de Zapatero et de Sarko sont tendues vers 2012. Quelles autres histoires vont-ils nous raconter pour tenir jusque-là ?

Photos : Une : (cc)crlsblnc/Flickr ; Sarko caricature : (cc) zamito44/Flickr ; Machiavel et Mickey : (cc)screenpunk/Flickr : Poster DHP : (cc)Dan Patterson/Flickr