« Le président américain, c’est le maître du monde »
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Il aura entre les mains la première puissance mondiale : les candidats pour le CDD de President des Etats-Unis ont de quoi intéresser le reste de la planète, en premier lieu l’Europe.
Dans ce deuxième volet de l’interview, Dominique Turpin, professeur de droit à l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand) rapproche la fonction du président américain de quelques figures, passées, présentes et potentiellement futures.
Puy de Babel : Quels présidents américains sont restés des références dans l’Histoire des Etats-Unis ? DT : Le premier d’abord, George Washington. Lincoln qui a supprimé l’esclavage et gagné la guerre de sécession contre le sud qui voulait maintenir l’esclavage. Et peut être Franklin Roosevelt qui au moment de la crise de 1929 – et c’est l’occasion d’en parler maintenant – est à l’origine du New Deal. Il a complètement rompu avec l’hyper-capitalisme américain, grâce à l’interventionnisme de l’état. Roosevelt a aussi sauvé l’Europe du nazisme en venant à son secours. Sachant qu’il a été élu quatre fois et qu’il a terminé vieux et malade, c’est depuis Roosevelt que les présidents américains ne peuvent plus être réélus plus d’une fois. Autrement dit, G.W. Bush, si tant est qu’il y ait encore qui que ce soit qui veuille voter pour lui, ne peut plus être réélu. Et puis le quatrième qui a laissé sa marque, plus au niveau du mythe que de la réalité, c’est John F. Kennedy, assassiné en 1963. Plus près de nous, il y a un président qui a bien réussi, qui ne laissera peut-être pas un trace aussi importante que ceux dont j’ai parlé, c’est Bill Clinton, qui a eu par ailleurs quelques problèmes de vie privé un peu agitée et un peu indigne pour un président mais qui eut un grand sens politique et la chance de la conjoncture peut-être aussi. PDB : Est-ce que dans un autre registre, Ronald Reagan ne reste pas aussi un peu dans les mémoires ? D.T. : Ils y restent tous ! Reagan est un acteur de série B dont tout le monde en Europe, les intellectuels surtout, s’étaient moqués en le présentant comme un être primaire. Alors, on aime ou non sa politique. Mais Reagan n’aura pas laissé aux américains et au reste du monde un mauvais souvenir. Il aura été un président à la hauteur de sa fonction.
PDB : L’échiquier politique américain fonctionne sur le bipartisme démocrate et républicain. Quelles sont leurs idées forces ? D.T. : C’est d’autant plus difficile que ces partis ont souvent changé de nom (démocrate-républicain, parti républicain-démocrate) et aussi d’idéologie politique. Il y a quelques dizaines d’années, c’était compliqué, car le parti démocrate était à la fois libéral et progressiste ( dans l’est) et extrêmement réactionnaire et raciste dans le sud, l’équivalent de Besancenot et Le Pen dans le même parti. Aujourd'hui, les choses sont plus claires : le parti républicain est conservateur, drainant dans les états du centre, du Middle West, pour l’américain blanc, même petit-blanc parfois, nationaliste, patriotique, etc. Les minorités raciales, les intellectuels, tout ce qui bouge, regardent pour leur part vers le Parti Démocrate. Mais, républicain ou démocrate, il y a moins d’écart qu’il n’y avait en France entre Parti Communiste et les partis de droite. Aujourd'hui, cela joue sur d’autres questions comme la Guerre en Irak : Obama a voté contre, contrairement a Hilary Clinton. Mc Cain, non seulement a voté pour, mais souhaite que cette guerre continue .
Et puis, vous avez la crise économique. Je dirais que tout ce qui concerne la crise favorise Obama, à tort ou à raison. Les américains font plus confiance à Obama qu’à Mc Cain qui s’est révélé assez nul en déclarant que le système américain etait très fort, très solide, juste avant la catastrophe. En revanche, chaque fois qu’il y a des problèmes de relations internationales (Géorgie, Iran), c’est plutôt favorable à Mc Cain. Actuellement, ce sont des problèmes économiques, c’est plutôt Obama.
PDB : Quel rôle jouent réellement les colistiers et pourquoi sont-ils si importants ? D.T. : Sur le « ticket électoral », Obama a un vice-président très expérimenté, Joseph Biden. Le vice président succède au président en cas de décès ou de destitution et Biden rassure les américains. Sarah Palinn, chez les républicains, a certes profité d’un effet de surprise mais il semblerait qu’elle ne soit pas à la hauteur de par son manque d’expérience, sans parler de son côté ultra conservateur. Le président américain, c’est le maître du monde, il peut déclencher l’apocalypse nucléaire. Il ne faut pas mettre le pouvoir entre n’importe quelles mains. Et Mc Cain a 72 ans, a eu un cancer,et ne publie pas ses bulletins de santé. Il y a des américains qui craignent de voir Palinn comme présidente. Cela dit elle peut bien se révéler : Reagan s’est bien révélé.
PDB : Est-ce qu’il y a des idées consensuelles a tout le personnel politique américain, comme la sécurité intérieure ? D.T. : Mais en France aussi ! Qui serait contre la sécurité intérieure ? Il faut après savoir jusqu’où on accepte de mettre le curseur entre liberté et sécurité. Les républicains sont plus sécuritaires que les démocrates, mais tous les américains sont assez sécuritaires. De même sur le plan de la crise économique, le plan Paulson, finalement adopté, a été soutenu par Mc Cain comme Obama. C'est-à-dire qu’à un mois de la présidentielle, le leader de l’opposition a appelé à voter pour ce plan. Je ne suis pas certain qu’en France, les leaders du Parti Socialiste appelleraient à voter pour un plan de Nicolas Sarkozy, parce que l’urgence nécessite l’Union sacrée. Les américains sont beaucoup plus patriotes que nous et font beaucoup plus facilement l’Union sacrée.
PDB : En Europe, il y a une préférence très marquée pour les démocrates. Comment l’expliquer ? D.T. : Ca a toujours été. J’avais posé il y a de nombreuses années une question à notre président Valéry Giscard d’Estaing en lui demandant « Mais finalement, est il mieux pour nous d’avoir un président américain démocrate ou républicain ? » Il avait répondu qu’il valait mieux pour l’Europe que ce soit le candidat républicain, mais je ne suis pas sûr que les faits lui aient donné raison. D’abord ce n’est pas la politique extérieure qui fait la politique américaine, mais les problèmes intérieurs qui concernent les américains. Il semble quand même qu’Obama soit plus ouvert que Mc Cain. Cependant il y a ce qu’on dit en campagne et ce qu’on fait au pouvoir, et on en rabat beaucoup ! De tout manière, si Obama est élu, il sera moins ouvert sur l’Europe, parce qu’il faudra qu’il fasse avec les américains. Si Mc Cain est élu, il sera moins anti-français et anti-européen qu’il ne le dit, parce que sinon, ça ne pourra pas fonctionner. John Mc Cain, quelqu’un de tout a fait respectable, honnête, courageux, a cependant une hostilité viscérale envers les français. Il a notamment dit que quand il était prisonnier du Vietminh, il avait été interné et torturé dans des baraquements construits par les français. Il a donc un sentiment anti-européen et anti-français très prononcé et explique que l’on préfère Obama.
PDB : Existe-t-il d’autres partis centristes ou extrêmes ? D.T. : Il existe plein de partis centristes, extrêmes, locaux, avec des candidats riches qui tentent leur chance. Mais le système politique américain et le mode de scrutin majoritaire (la plupart du temps à un tour) fait qu’il y a aucune chance pour ces partis d’arriver à glisser un coin au milieu du bipartisme, entre républicains et démocrates.
Propos recueillis par F.C.