Le peloton des maladroits
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florence brissetLa défense européenne fonctionne aussi à deux vitesses. Le noyau dur imposera-t-il son désir de mettre sur pied une véritable armée européenne, distincte des forces de l’, distincte des forces de l’OTAN ?
Pour les prochaines années, le grand objectif européen sera la Défense commune, comme l'ont été en d'autres temps le marché intérieur, l'euro et la libre circulation des personnes dans un espace européen sans frontières. Comme pour ces projet à l’époque, il est possible que la défense européenne soit mise en place de façon échelonnée et asynchrone. Un groupe de pays plus puissants pousse, faisant faire ses premiers pas à un projet que les moins préparés tenteront d'attraper au vol plus tard. Un problème connu sous le nom d’Europe à « deux vitesses ».
Dans le cas de la défense européenne la situation se complique : ce n'est pas uniquement une question de « vitesses » -fonction des capacités de chacun-, mais aussi de « direction ». Chacun des pays membres a sa propre idée du type de structure défensive à laquelle il veut participer. Ce deuxième obstacle est plus politique, puisqu’il touche à la vocation même, constitutive des Etats, en matière de sécurité et de défense. Au sein de l'Union, on rencontre trois sensibilités en la matière : les européistes, les atlantistes et les neutralistes.
Plusieurs vitesses, plusieurs directions
Les deux obstacles ont surgi dans la phase de préparation du projet de Constitution européenne. L'année qui vient de s'écouler s'est avérée très agitée par rapport à la configuration d'une structure défensive propre à l'Europe. Parce cela touchait au processus constitutionnel, et parce qu'il était inévitable qu’un tel sujet ne soit pas affecté par les divisions apparues au sein de l'Union au moment de la guerre en Irak. De cette façon, la dernière définition de ce qui serait la structure défensive concrétisée dans la Constitution, avec ses modes et ses phases (les possibles « vitesses ») s'est vue influencée de manière décisive par les intérêts stratégiques des pays (que nous avons défini comme « directions »).
En avril 2003 se réunissaient à Bruxelles dans un mini sommet, sujet à polémique, quatre (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg) des six Etats fondateurs, sommet constitué autour d'une alliance franco-allemande renouvelée. Les pays à vocation atlantiste, plus proches des positions de Washington (frontalement opposé au projet d'Union européenne de Sécurité et de Défense qui marginaliserait l'OTAN), ont rejeté immédiatement les propositions de la réunion : la Ministre espagnole des Affaires Etrangères qualifiait ultérieurement les pays participant au mini sommet de « Bande des Quatre ». Cette réunion allait en effet beaucoup plus loin que le seuil de l'acceptable pour les Etats Unis et la Grande Bretagne : elle proposait la création d'un Quartier Général commun en Belgique, en marge de l'Organisation Atlantique.
Dans ce contexte, les deux postures, les deux vitesses, se dévoilaient plus que jamais. D'un côté la bande des Quatre (par ailleurs noyau de l’Eurocorps) qui plaide pour l'inclusion dans la Constitution d'un projet de Défense, réservé à un groupe de tête parmi les Etats Membres ; de l’autre et d'un autre, la Pologne et l'Espagne, appuyés de manière stratégique par le Royaume Uni, qui exigent que la structure inclut, du moins initialement, tous les pays membres. Initialement au moins : la Suède, la Finlande, l'Autriche et l'Irlande, enfermées dans une position de neutralité, n’étant pas très à l’aise au regard de la compatibilité du projet avec leurs propres constitutions.
Ce manque de confiance dans une véritable armée européenne (opérationnelle et avec un mandat unifié distinct de l'OTAN) est aussi illustré par la marginalisation de l' « Europe faible » dans le projet du nouvel avion de transport militaire européen A400M et par l'ancrage simultané de l'Europe de l'Est aux structures de l'Alliance Atlantique et à celles de l'Union européenne.
L'Agence Européenne d'Armement
Au-delà des difficultés liées à l’existence de 25 armées si différentes (de nombreuses étant purement symboliques, d'autres détenant l’arme nucléaire), quand viendra le moment de la défense commune, il faudra, au sein de l'Union européenne, créer un organisme qui gère de manière plus efficace les ressources militaires des membres, actuellement gaspillées : la capacité militaire réelle de l'Union est estimée à 10% de celle des Etats-Unis, tandis que le budget militaire cumulé de tous les pays est de 160 milliards d'euros par an, soit la moitié de celui des Etats-Unis.
C’est pourquoi l’Agence Européenne d'Armement a été créée en novembre. Cette institution sera en charge d'entamer un processus global au sein de l'Europe, qui pourrait mettre un terme à la problématique des « vitesses ».
Pour le moment, la France et l'Allemagne, d'un côté, et Londres, de l'autre, ont cédé du terrain pour trouver un compromis par les deux parties. En septembre 2003 un texte a été approuvé qui, pour ne pas blesser les susceptibilités, indique que « dans la mesure du possible, les 25 Etats pourront participer » à cette structure militaire si désirée.
Pour participer, les Etats devront atteindre « un niveau de signature » du pacte, en termes de dépenses et d'opérativité. L'admission des aspirants sera décidée par la majorité qualifiée au sein du Conseil de l'Union, où l'on pourra aussi décider qu’un Etat ne « peut assumer ses engagements », restant ainsi relégué hors du groupe. Ce qui consacre une défense à deux vitesses, dont personne n’est toutefois a priori exclu, Pologne et Espagne sont ainsi satisfaites.
Grâce à son approche à une géométrie variable (les portes d’une structure de défense ne sont fermées à personne), le Projet de Traité Constitutionnel réussit donc ce que personne ne pouvait espérer. La consécration de l'Europe à « deux vitesses » en matière de défense s'est avérée très utile : 25 états participent à l’Agence d’Armement, et à l’heure de vérité, personne ne veut être en reste, dans le peloton des maladroits.
Translated from El pelotón de los torpes