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Le monde merveilleux de Polo and Pan

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Culture

Enregistré dans la période troublante que tout le monde connaît, le premier album du duo de DJ français Polo & Pan a été conçu comme un hommage à l’amour et à l’optimisme. Dedans ? Un monde imaginaire composé de canopées, de plage isolées et de poissons volants. Interview de deux grands enfants.

Un enfant court dans la rue en agitant les bras. Sans pudeur, il hurle en zig-zag avant de se rouler par terre de part et d’autre de la chaussée. Certains trouveraient ça consternant. « Nous, ça nous enchante », clame en choeur Polo & Pan. « Dans cette image, il y a l’idée de ne pas se brider, de ne pas avoir peur de s’exprimer ». Depuis 2013, le duo de DJ parisiens s’exprime en musique en versant volontiers dans la thématique de l’insouciance. Souvent associés aux dessins animés de Walt Disney, les deux musiciens revendiquent souvent « une idée de la naïveté » qui leur permet de revenir à des choses instinctives, « finalement très simples ». Le 19 mai dernier, Polo & Pan ont bouclé trois années passées à partager leurs « souvenirs chéris de l’enfance » dans un album intitulé Caravelle.

« Aujourd'hui, c'est mal-vu d'être optimiste »

Clin d’œil malicieux, la promotion de l’album se déroule sur un grand terrain de jeu. Bar branché du 10ème arrondissement, Le Fantôme a réparti de vieilles consoles d’Arcade dans une ambiance tamisée. Devant une version surannée de PacMan, Polo & Pan renvoient une image propre de cette France capable de mettre un costume avec des baskets. Sur les vestes, un pins représente la Caravelle, ce vaisseau multicolore qui véhicule leur musique dans un monde imaginaire mélangé d’arbres, d’arc en ciels et de baleines à licorne. Dans les semaines qui ont précédé la sortie de l’album, chaque morceau était accompagné d’une pastille vidéo très colorée, au charme évidemment très enfantin. Du soleil, beaucoup de couleurs et la possibilité d’une île. Un message ? « Tendre vers l’optimisme. » « On va chercher la lumière là où elle est, éclairent-ils. On revendique des choses comme la bienveillance, l’amour, la joie. » Un triptyque romantique qui pourrait vite enfermer le groupe dans un cliché. « À dessein », selon les DJ qui ont déjà mixé la critique. « Aujourd’hui, c’est mal-vu d’être optimiste. Tout simplement parce qu’on a du mal à assumer la fragilité en nous. On a toujours besoin de se créer une carapace dure, virile. Avec tout ce qu’il se passe en ce moment, le monde entier est entré dans l’ère du confinement et de la protection ».

Il faut dire que Polo & Pan ont enregistré dans une drôle d’époque où il est à priori difficile de diluer Mickey dans les attentats terroristes et la montée des extrêmes. Et pourtant, les deux trentenaires sont bien déterminés à voir le verre à moitié plein, jusqu’à en faire une source d’inspiration. « Selon la légende, pour être un artiste, il faudrait puiser dans ses faiblesses pour réussir. Nous on fait l’inverse, on va chercher dans nos plus beaux souvenirs pour composer. » Un bout de Caravelle se prête bien à la méthode. Composé en novembre 2015, le titre « Plage Isolée » est une réponse directe et guillerette aux attentats de Paris. « On s’est enfermé à la campagne et plutôt que de se dire : "on prend les kalach et on va se venger des terroristes", on a privilégié l’amour et l’optimisme ». Avec « ces regards qui se croisent » et ses « coquillages adorables », la plage isolée est aussi un refuge pour le groupe. « C’est aussi une manière de fuir, assument-ils. On est issu d’une génération bisounours qui n’a jamais connu la guerre. Avec nos yeux d’enfants, on pouvait difficilement affronter ça. »

Mick Jagger et la Space Jungle

Quand Polo rencontre Pan, il ne voit pourtant pas vraiment le monde avec le regard d’un gamin. La partie frisée et pouponne du duo confie s'être beaucoup intéressée aux choses mystérieuses, parfois obscures. Alexandre, surnommé « Peter Pan » dans le milieu, a quant à lui la réputation d’être plutôt solaire. « Alex a cette capacité à donner du plaisir dans sa façon de mixer, continue Polo, Paul de son vrai nom. Se lancer dans cette collaboration, c’était comme suivre une thérapie. » Pan s’étonne d'ailleurs encore de la part d’ombre de son compagnon Polo. « J’ai tout de suite senti quelqu’un qui allait m’accueillir dans son petit monde onirique, raconte-t-il. Paul travaillait beaucoup sur des projets liés au sacré, à l’hypnose. C’est cette partie de lui, à la fois mystérieuse et accueillante qui m’a convaincu de ne jamais lâcher notre collaboration. » Les deux DJ se rencontrent pour la première fois au Baron, un club parisien devenu une référence dans le milieu de la nuit de la capitale autant qu'un endroit qui véhicule beaucoup de fantasmes sur sa prétendue suffisance. Mais les deux hommes qui ont tour à tour officié derrière les platines assurent qu’à leur époque c’était « une entité au service de la fête où Mick Jagger était un client comme un autre ». « C’était surtout notre labo, souligne Paul. On faisait ce qu’on voulait. Ça nous a permis de prendre des risques. »

Pour construire leur Caravelle, Polo & Pan commencent par s’asseoir et à partager leurs fameux souvenirs d’enfants. De la discussion, ressurgissent naturellement Le Magicien d’Oz, Les Révoltés du Bounty ou Le Livre de la Jungle. Mais la conversation laissera vite place au voyage. Caravelle en sera l’instrument et chaque morceau, une destination. Mais si l’idée est de voyager, la source d’inspiration reste l’imagination. « Tu vas trouver finalement très peu d’endroits où on a été, explique Polo. Pour "La Canopée" par exemple, on n’est jamais allé dans la forêt équatoriale. Pourtant, par des rêves et des films, on va déjà en avoir une idée très précise. La musique, c’est aussi une manière de visiter ces paysages fantasmés. » « Finalement, la cohérence de cet album, c’est le son, reprend Pan. Il fallait que ce son soit la métaphore du voyage. Une fois qu’on avait trouvé notre truc, on pouvait voyager là où on voulait. » Leur truc ? La Space Jungle. Parti d’une vanne, le terme est devenu le moyen avec lequel le groupe parvient à définir leurs productions. « Plus qu’un style, ça s’apparente à une manière de faire de la musique. On essaie toujours d’apposer deux choses qui paraissent complètement antithétiques, comme une musique très ancienne avec une production très moderne ».

« Une génération de sans nom »

En clair, Caravelle flotte sur de la bossa nova, de la cumbia, de l’electro, de la pop... « Il n’y a pas de dogme qui régit Polo & Pan, précise Alex. On a trop de fantasmes pour se cantonner à un style. » La vérité, c’est que les deux DJ ont surtout remixé tellement de choses qu’assumer un genre paraît impossible. D’un côté, Polo leste la Caravelle de son expérience musicale avec les Gnawas du Maroc, des descendants d’anciens esclaves d’Afrique subsaharienne. De l’autre, Pan enrichit les compositions du duo par l’intermédiaire de son projet collectif Radiooooo.com, une carte où l’on peut découvrir des chansons de tous les pays du monde, par époque et par genre. « Au final, tu te rends vite compte que ça fait longtemps qu’on n’a pas inventé de nouveaux genres musicaux, intervient Polo. Tant que l’on n’arrivera pas à inventer un nouvel instrument qui pourra faire naître un nouveau style de musique, il ne nous reste plus qu’à tout mélanger ».

Toutefois, la volonté de Polo & Pan d’échapper à tout les a conduits sur le même chemin qu’une certaine scène française en pleine ébullition. Papooz, L’Impératrice, Jacques ou Isaac Delusion sont autant de formations qui ont décidé de composer un monde imaginaire fait de petit coin de paradis et de syncrétisme musical. « Aucun d’entre nous ne fait la même musique, mais pourtant on se sent hyper proches, affirme Alex. Ce sont des gens qui ne cherchent pas à appartenir à quoi que ce soit et on est fiers de se retrouver affiliés à cette génération de sans noms, de sans genre. » À tel point que les deux artistes pensent que cette nouvelle vague bercée par les Bisounours pourrait bien déboucher sur un collectif. Il ne faudra alors pas être surpris si de grands enfants courent dans la rue en agitant les bras.

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Écouter : 'Caravelle' de Polo & Pan (Hamburger records/Ekler'o'shock/2017)

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.