Le léopard du Kazakhstan
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Prune AntoineUn coup d’œil au marché de voitures d’occasion 'Barys' au Kazakhstan, en plein coeur de la Route de la soie, permet de percevoir le lent rapprochement entre Asie et Europe.
Août 2006, journée torride. Sur l’autoroute internationale reliant Almaty-Bischekek-Taschkent, le trafic est dense, comme d’habitude. Une énorme file aux éclats d’aluminium et d’acier serpente lentement de la banlieue ouest d’Almaty, la capitale Kazakh, en direction de l'Ouzbékistan et du Kirghizstan.
Après une heure de voyage chaotique, mon bus arrive enfin à sa destination : Kaskelen, à 30 kms d’Almaty. Le village est désert, véritable lopin de terre abandonné, plein de poussière et de détritus. Il y a seulement une bonne raison de venir ici : Barys, le marché de voitures d’occasion qui attire tous les conducteurs d’Asie centrale.
La fierté du pays
Barys occupe une position stratégique au Kazakhstan, à mi-chemin entre Almaty et Taschkent, sur le tracé de l’ « Asian Highway Network », un projet de réseau autoroutier dont la construction vient de commencer. L'idée ? La traversée de 32 pays d’Asie Centrale et Orientale et plus de 140 000 Kms de tracé pour enfin relier l’Europe et l’Asie.
Semembaew Skail, le responsable de la foire automobile de Barys, nourrit de grands espoirs à l’égard de « cette nouvelle Route de la soie qui doit contribuer à rapprocher les peuples européens et asiatiques, tout en profitant à Barys. En kazakh, Barys signifie ‘léopard des neige’. L’animal qui incarne le symbole du Kazakhstan est aussi l’emblème de notre marché. »
Skail m’apprend que Barys est pour beaucoup de Kazakhs la fierté du pays : « c’est le plus grand marché automobile d’Asie centrale. Chaque jour, près de 5 000 voitures attendent d’être achetées mais il y a encore plus de monde en fin de semaine, » souligne son directeur. Avant d’ajouter : « La majorité des voitures proviennent d’Europe. »
Une Mercedes pour 30 000 dollars
Pour les habitants de Barys et l’ensemble du Kazakhstan, dire le mot ‘Europe’ équivaut à prononcer une formule magique. Les vendeurs de voitures ne cessent d’évoquer l’amitié entre Europe et Asie. Dans les nombreux cafés du port, les menus proposent de la « cuisine européenne » et les visiteurs arborent des vêtements de marques italienne, allemande et française. Skail affirme d’ailleurs que « les deux continents sont très proches non seulement d’un point de vue économique mais aussi culturel. »
Alors que le directeur m’emmène faire le tour du propriétaire, les offres publicitaires résonnent dans les haut-parleurs : « 17 000 dollars pour une Renault quasi neuve avec climatisation ! Pour 30 000 dollars, vous pouvez avoir une Mercedes en excellent état. » Skail est certain que ses clients « viennent en majorité pour les voitures allemandes. Mercedes est leur marque favorite. »
Entre quelques jeeps japonaises, un groupe d’hommes a tendu une toile pour se protéger du soleil ardent. Sous cette ombre improvisée, Hassan, un Kurde à la carrure impressionnante est assis : il attend un acheteur pour sa Toyota. Lorsque je lui apprends plus tard que je viens d’Allemagne, il m’appelle à sa table et m’offre une brochette de viande, accompagnée d’une bière.
Hassan saisit ainsi l’opportunité de cette rencontre pour faire état sa connaissance de la culture germanique : « Je me rends fréquemment outre-rhin et j’achète les voitures sur place. La qualité est extraordinaire », affirme t-il. Hassan m’invite ensuite à le photographier aux côtés de son collègue turc Mourad : « sur le marché, nous sommes tous amis, les Turcs avec les Kurdes, » s’exclame t-il. « Ce lieu contribue à l’amitié entre les peuples. »
Les deux visages de l’Europe
Alors que nous circulons à travers les 30 hectares du marché Barys, entre les morceaux de viande fumante et les nuages de poussière, Skail commence à m’expliquer le fonctionnement de sa petite entreprise : « les marchands voyagent jusqu’en Europe, où les voitures sont généralement moins chères qu’en Asie centrale pour ensuite les revendre ici. Nombre de nos clients viennent du Kirghizstan ou de l’Ouzbékistan et ramènent ensuite les véhicules dans leurs pays. »
Pour arriver jusqu’à ce marché géant, les voitures d’occasion peuvent emprunter deux routes. « Soit elles arrivent directement d’Allemagne, à travers la Pologne et l’Ukraine », souligne Skail, « ou elles proviennent de Lituanie en passant par la Russie. »
Deux trajets différents pour deux types de voitures, une jolie métaphore mécanique pour illustrer les deux visages de l’Europe. « Les voitures qui viennent d’Allemagne sont les plus chères, ce sont des produits haut de gamme, avec des modèles relativement nouveaux et en bon état. Du type Mercedes, Audi ou BMW », énumère Skail, les yeux brillants. Avant d’ajouter, avec une pointe d’admiration dans la voix : « Les Lituaniens eux, sont les rois du rafistolage. Ils achètent de vieilles bagnoles en Europe de l’Ouest qu’ils réparent et bricolent. Ils peuvent du coup convertir trois épaves en une voiture neuve, » s’exclame Skail, qui se dédie depuis plusieurs années déjà au transport de véhicule en provenance d’Europe vers le Kazakhstan.
Commerce équitable
A Vilnius, le commerce de voitures de deuxième main est devenu un secteur économique florissant. Donatas Askinis, porte parole de l’Ambassade lituanienne d'Almaty, se montre satisfait que son pays soit devenu une référence importante dans le domaine. « 52% de nos exportations jusqu’au Kazakhstan sont des voitures d’occasion venant d’Europe occidentale. Pour notre pays, c’est un très bon signe. A l’Ambassade, notre objectif est de protéger le commerce autant que possible, » explique t-il.
Chaque jour, l’Ambassade lituanienne accorde entre 150 et 300 visas pour entrer dans le pays : 90% de ces formalités administratives concernent les marchands de voitures kazakhs et provenant d’autres pays d’Asie centrale.
Nikolai fait partie de ces vendeurs qui ont acheté une voiture à Vilnius pour la revendre sur le marché de Kaskelen. Ce Russe n’hésite pas à vanter les mérites de sa Honda, un parfait modèle de rafistolage lituanien effectué dans les règles de l'art. Nikolai observe la construction de la nouvelle Route de la soie avec enthousiasme mais aussi circonspection : « pour l’union entre Europe et Asie, l’autoroute représente certes une opportunité légale mais je doute qu’elle soit un avantage pour ce marché de Barys. De nombreuses petites échoppes vont s’installer le long du tracé et se placer clairement en concurrents. Cette route signera peut-être l’arrêt de mort du léopard des neiges. »
Translated from Der Leopard an der Seidenstraße