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« Le journalisme participatif nous oblige à réinventer notre métier »

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L’essor du journalisme citoyen ou participatif ne remet pas en question le journalisme traditionnel. A condition de savoir s’adapter à cette nouvelle révolution. Interview.

Benoît Rapahël, 36 ans, est journaliste et responsable de la stratégie internet du quotidien régional français Le Dauphiné Libéré. En février 2007, son journal lance Quelcandidat.com, un site participatif qui permet aux internautes de s’impliquer davantage dans la campagne présidentielle française. Six semaines après sa création, le site revendique entre 40 et 50 000 connexions par jour. Raphaël, qui anime aussi un blog professionnel consacré au phénomène du journalisme citoyen, juge que c'est aux médias de valoriser cette nouvelle richesse produite par les internautes.

Quels sont selon vous les facteurs qui ont favorisé l'essor du journalisme participatif ?

« Les internautes n’ont pas envie de se mettre à la place des journalistes : ils veulent participer au débat, s’exprimer et apporter des infos »

La presse vit aujourd’hui la même crise que celle traversée par les élus politiques ou les magistrats. Les journalistes se sont notabilisés, il y a trop de proximité et de connivence avec les cercles de pouvoir. En outre, certains membres de la profession se sont enfermés dans une tour d’ivoire, refusant de reconnaître leurs erreurs et de miser sur l’intelligence des gens. Aujourd’hui, chacun essaie de faire dans le participatif : les politiques avec la démocratie participative, les médias avec le journalisme citoyen... Mais les internautes n’ont aucune envie de se mettre à la place des journalistes : ils ont envie de participer au débat, de s’exprimer et d’apporter des infos. Le journalisme participatif nous oblige finalement à réinventer notre métier.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les sites participatifs ?

La participation. Elle doit être naturelle et spontanée. Ensuite, il est important d’accompagner l’internaute dans sa démarche, l’encourager à s’exprimer. C’est une démarche que la presse locale a longtemps cultivé avec ses correspondants régionaux. Sur moncandidat.com, nous retravaillons les textes, refaisons les titres, les chapeaux. AgoraVox s’affiche comme le média du peuple mais la majorité des contributeurs restent des journalistes, des experts ou des personnalités. Il faut que le média soit participatif à tous les niveaux.

Vous dites qu'il ne faut pas opposer journalisme et journalisme citoyen. Pour l'instant, les articles relevés dans la blogosphère ou sur les sites participatifs relèvent plus de l'opinion que de l'information...

La première photo du tsunami de 2004 en Thaïlande a été prise par un citoyen et transmise sur un blog 15 minutes avant que l’info ne tombe dans les rédactions du monde entier. Dès qu’un événement se produit, il se retrouve immédiatement sur le Web grâce à des sites comme dailymotion, youtube, flickr. Pour autant, les sites de journalisme citoyen existant ne reflètent pas ce vivier d’infos : il leur manque une certaine spontanéité. Les internautes ne vont pas apporter de scoops ou des infos exclusives - qui restent l’apanage du journaliste - mais un regard différent ou des témoignages. Tout le travail des médias va consister à se brancher sur ces outils de contenus générés par les utilisateurs puis de vérifier, trier, hiérarchiser ces infos. Les journalistes ne devraient pas avoir peur de voir disparaître leur métier mais devraient plutôt profiter et valoriser cette richesse produite par les internautes.

Le rapport Tessier, remis en février dernier au gouvernement français, suggère un encadrement des ‘journalistes citoyens’ sur le modèle des correspondants de presse locaux . Pensez-vous qu’il faille rémunérer les internautes pour leurs contributions ?

C’est une vraie question et on n’a pas fini de se la poser. Je ne crois pas qu’il faille payer les internautes. Tout particulier qui collabore à un journal en apportant une info, voire un chroniqueur régulier doit évidemment être rétribué. Mais les journalistes citoyens n’ont pas vocation à remplacer les journalistes : ils souhaitent simplement contribuer au débat, participer à l’information, vérifier la fiabilité de ce que racontent les journalistes. Je crois que ce dialogue qu’ils imposent aux journaux est très sain. Donner de l’argent reviendrait à créer des castes de journalistes citoyens, au pire de les notabiliser. Ce serait passer à côté d’une belle révolution.

(Cette interview a été publiée une première fois en avril 2007)

Pour en savoir plus...

Une situation qui s'aggrave pour les journalistes professionnels

L’existence des journalistes indépendants est de plus en plus précaire, situation que l'évolution du paysage médiatique ne fait que rendre plus difficile encore.

C’est l’une des conclusions à laquelle aboutit le colloque international ‘Pigistes pas Pigeons’, qui a été organisé à Liège en Belgique les 29 et 30 mars 2007. Cet événement se situe à mi-parcours dans la campagne menée par l’Association des Journalistes Professionnels de Belgique (A.J.P.) dont l’objectif est d’améliorer le sort des journalistes indépendants à travers l’Europe.

Le problème des salaires

Selon une étude de la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ), les indépendants sont payés au signe, au mot ou à la page dans certains pays (comme en Belgique et en Croatie) et non à l’heure ou sur la base d'un forfait journalier, pratique courante au Danemark, en Finlande et en Allemagne, selon les contrats.

Les publications qui paient les journalistes en fonction du volume des articles et non du temps passé à les rédiger privilégient la quantité à la qualité. Ces derniers peuvent alors être amenés à faire du copier coller à partir de coupures de presse en y insérant quelques citations. Ainsi, ils n’ont pas à chercher l’information eux-mêmes et économisent du temps.

La polyvalence

Une masse de travail importante empêche les journalistes à plein temps comme les pigistes de mener des enquêtes dignes de ce nom, travail pourtant nécessaire à une démocratie digne de ce nom. Il est important que les syndicats de journalistes assurent une rémunération à la hauteur du niveau de qualification requis. Cependant, ils ne doivent pas oublier que maîtriser de nouvelles techniques (la vidéo, le son, le graphisme, l’utilisation de l’intranet) permet d'augmenter les chances de trouver un emploi.

Saafi Allag-Morris, membre du Syndicat des Journalistes Français, SJF, parle du manque de solidarité qui existe entre les pigistes et les journalistes à plein temps. Selon elle, plus le salaire des pigistes est bas, plus ils ont de chances de travailler, au détriment des journalistes à plein temps. Or, il est dans leur intérêt de résoudre de ce problème : un jour ou l’autre, ils pourraient eux-mêmes devenir salariés à temps plein.

L’exploitation des stagiaires

On compte en France de nombreux stagiaires peu ou mal payés qui obtiennent leur diplôme sans avoir été mis en garde contre la précarité qui caractérise cette profession. Les jeunes quittent l’université et se lancent immédiatement dans des stages non rémunérés. Selon Renate Schroeder, directeur de la F.E.J., c’est un « problème très grave» que l'organisation s'attelle à résoudre.

Encadré : Julien Hale, Bruxelles - Traduction de Florence Cartigny.