Le jour d'après
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[OPINION]. Vendredi 13 novembre 2015. Un jour comme les autres, jusqu’à 21h20. Les premières alertes sur nos portables. L’atmosphère se transforme petit à petit dans ce bar du Quartier Latin où nous étions, jusqu’à atteindre la panique quand un homme passe devant nous en courant et qu’il crie qu’il y a une fusillade à 500 m. Fausse info. Mais nous décidons de rentrer.
Ce que je raconterai ici ce n’est pas la soirée du drame, mais la journée du lendemain. Cette journée si bizarre pour beaucoup d’entre nous, je pense. On tente de « faire comme si », en regardant un film, O’brother des Frères Cohen. Mais rien n’y fait, tout nous ramène à ce qui s’est passé la veille. Des photos de disparus postées sur facebook, des phrases qui resteront gravées dans nos têtes pour un bout de temps : « ce n’est que le début de la tempête », « La France est en guerre ». On prend la mesure des choses, petit à petit. Enfin, c’est ce qu’on pense, même si ce n’est que dans les jours suivants que se fera vraiment la prise de conscience. Qu’est-ce que cela veut dire pour nous ? Pour notre quotidien ? Comment je serai la prochaine fois que je prendrai le RER A à l’heure de pointe ? « J’ai peur d’avoir peur », une phrase vue dans les journaux. La peur d’avoir peur, on l’a tous. Et pour l’exorciser, on met la musique fort, plus fort que d’habitude, on se force à danser. En sortant rejoindre des amis le soir, j’ai entendu de la musique cubaine à une fenêtre, du rock à une deuxième. On entend tous la fausse note, mais on continue, parce qu’il faut continuer. S’accrocher à cette liberté de vivre qu’on nous arrache.
Vendredi soir, c’est notre vie quotidienne qui a été touchée. C’est la rue où j’habite, le bar où je bois des coups, la salle de concert où je vais écouter mes groupes préférés. Nous sommes punis de vivre heureux et en paix. Et depuis vendredi soir, on s’y accroche deux fois plus fort à cette liberté. Mais comment vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? « Notre mode de vie va changer et ça me rend fou de rage ». Joann Sfar, ce matin sur France Inter, est lucide. Et rageur. Combattre les kalachnikovs avec des idées, ça peut sembler perdu d’avance. Et pourtant. « Les saloperies se développent sur le vide et on a trop laissé en jachère le cœur de nos enfants. »
« Il n’y a pas un enfant qui préfère l’islamisme à la culture. Ils tombent dans l’islamisme quand il n’y a pas de bibliothèque ouverte dans leur quartier. La littérature, c’est plus riche que la pensée religieuse, et ça, il ne faut pas avoir peur de le dire. » Joann Sfar.
Marine Le Pen, tu dis pleurer pour la France ? Quelle hypocrisie ! Ravale-les vite tes larmes. Si on en est là aujourd’hui, c’est aussi à cause de tes idées d’exclusion, de cette religion que tu stigmatises depuis tant de temps, de tes « valeurs françaises » qui ne sont pas les miennes, et de toutes ces conneries débitées par ton parti. Tu vis dans la France du siècle dernier, sans aucune nuance, sans aucune couleur, sans aucune différence. L’historien Pierre-Jean Luizard, spécialiste du Moyen-Orient interviewé par Médiapart disait ceci :
« Dans les quartiers attaqués, on peut voir des jeunes, cigarette et verre à la main, sociabiliser avec ceux qui vont à la mosquée du quartier. C’est cela que l’EI veut briser, en poussant la société française au repli identitaire, […] que chacun considère l’autre non plus en fonction de ce qu’il pense ou de ce qu’il est, mais en fonction de son appartenance communautaire. »
Si notre pays se divise aujourd’hui, c’est aussi par ta faute. Joann Sfar était ce matin l’invité de l’émission Boomerang sur France Inter. Pour une réponse politique, ce sont ses mots et non les tiens qu’il faut écouter. Merci infiniment à lui pour avoir dit « Il est temps d’être fier de notre mode de vie. »
L’histoire s’écrit sur le fil de nos vies.