Le fantôme du vote des étrangers
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florence brissetComment l’Europe des « Lumières » pourrait-elle refuser la participation politique de 7% de ses habitants ? D’autant que ce chiffre sera amené à augmenter d’ici à 2050…
Des devoirs, oui, des droits, pas tellement. Les étrangers, communautaires ou non, qui vivent en Europe, doivent remplir les mêmes obligations que n’importe quel autre citoyen. Ils ont aussi droit à quelques avantages, comme la protection sociale ou l’éducation. Mais l’heure de leur participation politique n’a pas encore sonné. Une part significative de la population reste exclue du suffrage universel. En Espagne cette frange mise au ban représente 2% de la population, et 7% dans l’ensemble de l’Europe, selon SOS Racisme.
De toute évidence, toutes les personnes qui vivent en commun dans une société devraient avoir le droit politique de participer et de choisir qui va les gouverner et selon quelle politique. Cependant, malgré le fait que les étrangers contribuent à la production de richesse –tant culturelle qu’économique d’un pays-, ils ne jouissent pas toujours de ce droit. En Europe le paysage politique, sous cet angle, est des plus bariolés. Si certains pays ont incorporé les étrangers à l’électorat depuis 26 ans, beaucoup d’autres –comme l’Espagne-, n’ont toujours pas commencé à débattre sérieusement de la question.
Le cas espagnol
1.500.000 étrangers sont recensés en Espagne, selon l’Institut National de Statistique (Instituto Nacional de Estadistica, INE). Seuls pouvant voter aux élections municipales les personnes nées dans des pays membres de l’Union Européenne, presque 75% de ces personnes restent exclues, étant donné qu’elles sont originaires d’Afrique, d’Amérique latine, ou d’Orient. Selon la loi sur l’immigration (<>ley de extranjeria, sur le statut des immigrants, adoptée en 2000), les étrangers originaires de pays qui reconnaissent ce même droit aux Espagnols –comme l’Argentine, le Chili, l’Uruguay et le Pérou-, peuvent eux voter. Cependant, la notion d’intégration- et le sentiment qui y correspond-, est si éloigné de la réalité que, dans la pratique, très peu exercent leur droit.
Cette divergence de droits entre les natifs de territoires extra-européens et les autres a déclenché des initiatives de la part de factions partisanes de gauche et de nombreuses ONG mais, jusqu’à maintenant, elles n’ont pas abouti. En Espagne, l’organisation « Réseau Citoyen » (Red Ciudadana) constate que justement, l’administration municipale est la plus proche des immigrés et que d’elle dépendent de plus en plus d’éléments en relation avec leur vie et leur intégration sociales (services sociaux, crèches, logement ou travail). Pour cette raison, la participation des étrangers à la vie politique s’avèrerait importante, en tant qu’électeurs ou en tant qu’élus. Pourtant les partis continuent de tourner le dos à ce type de propositions. Mais d’un autre côté, il est presque surprenant qu’ils ne se soient pas sentis tentés par la conquête de ces voix, pour le moment fantômes.
Les étrangers votent en Irlande depuis 1963
En Europe, 7% de la population –provenant de vagues migratoires-, est privée du droit de vote. Cependant, il y a beaucoup de pays qui ont fait un pas en avant sur ce plan depuis un certain nombre d’années. On peut citer la Norvège, le Danemark, la Suède, la Hollande et l’Irlande, qui reconnaissent le droit de vote aux étrangers aux élections municipales.
L’Irlande offre ce droit depuis 1963 aux étrangers qui résident sur son sol depuis plus de 6 mois. La Suède, depuis 1975, à ceux qui y vivent depuis au moins 3 ans ; le Danemark –avec les mêmes conditions- depuis 1981 ; et la Hollande, depuis 1985, à partir de 5 ans de résidence. Des cas moins parlants sont ceux de la Grande-Bretagne, qui depuis 1948 a offert ce droit à tous les résidents « citoyens du Comonwealth » et la Finlande, qui l’accorde mais seulement aux étrangers d’autres pays scandinaves qui comptent plus de 3 ans de résidence.
Toutefois, en Belgique et en Italie les gouvernements ont prévu dans leurs programmes électoraux d’accorder le droit de vote après un certain temps de résidence. Mais ce débat n’est apparu qu’en octobre lorsque Gianfranco Fini, leader du parti ex-fasciste Alleanza Nazionale (Alliance nationale) et vice-président du gouvernement de Silvio Berlusconi, a présenté une proposition plutôt caractéristique de la gauche : faire voter les étrangers.
Ni de gauche, ni de droite
Les arguments brandis pendant des années en faveur ou contre cette idée n’ont pas toujours collé à la dichotomie droite - gauche. Précisément parce qu’en matière d’immigration, il n’y a pas de pensée parfaitement homogène ancrée dans une idéologie, un parti ou un gouvernement déterminés. L’exemple de Fini le prouve.
En Espagne, du côté des partis politiques, la voix d’Izquierda Unida (« Gauche Unie » - IU) a été la seule à se faire entendre sur ce sujet, en mettant en marche cette année la campagne « Je vis ici, je vote ici » en faveur du vote des étrangers non-communautaires. Pour IU, cette marginalisation politique laisse en reste la légitimité de la démocratie. En plus, elle signifie l’absence de l’universalité des droits comme voie d’intégration. En effet, comment peut-on prétendre vouloir en finir avec la discrimination dont, de fait, souffrent les étrangers si ce type de discriminations légales persiste ?
D’autres voix, et pas nécessairement de droite, ont réfuté ces arguments, s’opposant à un processus d’intégration de peur que les vagues d’immigration affectent la « pureté » des civilisations ancestrales européennes. Oriana Fallaci est de celles qui ont le plus surpris, puisqu’elle écrit que « précisément parce qu’elle est définie et très précise, notre identité culturelle ne peut supporter une vague migratoire composée de personnes qui, d’une façon ou d’une autre, prétendent changer notre système de vie. Je dis qu’en Italie, en Europe, il n’y a pas de place pour les Messines, les minarets, les faux sobres, le chador maudit… Et même si cette place existait, je ne leur donnerais pas. Parce que ce serait rejeter notre civilisation. »
En 2050,un Européen sur trois sera immigré
Selon un communiqué de Bruxelles, afin de maintenir un niveau de population constant, quelques 16 millions d’immigrés seront nécessaires d’ici à 2050. il faut cependant revoir ces chiffres à la hausse si l’on établit d’autres critères : pour que le niveau de vie soit égal en 2050 à celui de 1998, 50 millions d’immigrés seront nécessaires ; et pour que la population active se maintienne, le chiffre devra atteindre près de 80 millions d’étrangers.
Avec ces prévisions, d’ici 47 ans il y aura en Europe un immigré pour trois natifs. 25% de la population aura une langue maternelle non-européenne et appartiendra à une communauté religieuse non-européenne. Il est certain qu’aucune civilisation n’a jamais vécu une telle expérience. Il faudra donc attendre pour voir si le débat sur le droit de vote renaît durant cette longue période à venir. L’Europe ne rajeunissant pas, l’intégration devra intervenir tôt ou tard ; le droit de vote ne peut dépendre seulement de l’identité nationale, et ce encore moins dans des Etats plurinationaux tels que l’Espagne ou l’Italie.
Translated from El fantasma del sufragio inmigratorio