Le citoyen : mal aimé du droit communautaire
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L’Europe serait-elle trop peu accessible et juridiquement inadaptée aux besoins de chacun ?
« L’accès au droit et à la justice en Europe ». C’est sur ce thème que se sont récemment réunis des professionnels du droit, politiciens et représentants de la Commission européenne. En effet, selon le rapport intitulé « le citoyen et l’application du droit communautaire », une enquête menée par l’eurodéputé conservateur Alain Lamassoure, ce droit commun aux Etats membres, s’il est satisfaisant pour les entreprises, reste inadapté au citoyen européen, mobile et avide de flexibilité.
L’Europe au quotidien : un parcours du combattant ?
« Légiférer en matière civile touche à la souveraineté des Etats membres »
Face à des règles communautaires censées faciliter la circulation des citoyens en Europe, ces derniers sont quotidiennement confrontés à des incohérences et des complexités administratives toujours plus nombreuses. M. Cornelissen, chef d‘unité à la direction générale « emploi » de la Commission, l’a confirmé. Il explique notamment que la coordination communautaire des régimes de sécurité sociale laisse encore place à des situations aberrantes. Ainsi, un Italien travaillant en France a été reconnu bénéficiaire de la sécurité sociale par la Cour de justice des Communautés européennes seulement à hauteur des prestations auxquelles il aurait eu droit s’il était resté travailler en Italie.
Ce sont finalement l’« opting out » et la règle de l’unanimité au Conseil, facteur principal de la mauvaise application de règlements complexes et désuets par les Etats membres, qui sont ici montrés du doigt. Jacques Toubon, député conservateur européen, a pour sa part conclu à l’inefficacité de la directive en tant qu’instrument, qui « prise en sens inverse », est utilisée pour satisfaire les velléités des Etats membres plutôt que pour construire une Europe dont « on ne sait plus bâtir le droit ».
Une justice ordinaire
Jacques Toubon s’est aussi étonné de l’absence de réglementation dans des domaines ordinaires, soit tente-t-il de comprendre, « légiférer en matière civile est vulgaire, soit cela touche à la souveraineté des Etats membres ». Il reconnait pourtant que la création du mandat européen et l’Eurojust (l’organe européen de coopération judiciaire entre Etats créé en 2002) sont des avancées considérables !
Pour Béatrice Weiss-Gout, présidente du groupe de travail « famille » auprès du Conseil des barreaux européens, « l’Europe des familles qui se construit et se déconstruit ne rencontre pas l’Europe, pas une Europe du droit ». Les règlements dits « Bruxelles I » et « Bruxelles II Bis » légifèrent sur les conflits de juridiction, la garde des enfants et les obligations alimentaires en matière de divorce transfrontalier mais la loi applicable diffère d’un Etat membre à un autre. Les parties au divorce se livrent alors au « forum shopping » choisissant le juge en fonction de la loi que celui-ci applique. Face à une situation peu tenable, la Commission a proposé le règlement « Rome III » qui permettrait de voir la même loi appliquée, quelque soit le juge saisi en Europe.
Autre difficulté pour le citoyen lambda face à la justice en Europe : être représenté. Comme Jean-Yves Feltesse, avocat au barreau de Paris, le rappelle : « Le droit, ça a un coût ». Or citoyens et avocats se heurtent encore à l’hétérogénéité des régimes d’aide juridictionnelle et de TVA sur les services qui obéissent à la règle de l’unanimité au Conseil.
Des avancées encore timorées
Les récentes initiatives de la Commission telle que le réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale ou encore le portail « e-justice » faciliteront certes l’échange et l’accès à l’information en matière civile. Le droit communautaire du quotidien n’en reste pas moins balbutiant en Europe et à en croire l’eurobaromètre sur la coopération judiciaire en matière civile, c’est plus l’absence d’Europe que son omniprésence qui contribue aujourd’hui à nourrir un certain euroscepticisme.