Le cinéma et l'Azerbaïdjan, une histoire fossile
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Les courts-métrages en compétition pour cette nouvelle saison du Festival de Cannes s’annoncent particulièrement audacieux, et pour la première fois, l’Azerbaïdjan sera représenté. Le film Sonuncu, interroge sur la solitude, l’espace et le temps. Si le pays du Caucase est plus connu pour son extraction d’hydrocarbures que pour sa production de films, le cinema gagne à être connu et reconnu.
Sur les 3450 court-métrages proposés au comité de sélection du Festival de Cannes, neuf ont été retenus pour la palme d’or de cette 67ème édition. Le court-métrage azerbaïdjanais Sonuncu (The Last One) de Sergey Pikalov fait partie de ces privilégiés. La récente visite officielle de François Hollande en Terre de feu et le rapprochement économique de l'Azerbaïdjan et de la France ont-ils un rapport avec ce choix ? Difficile à dire. On peut tout de même imaginer que ces éléments ont donné un coup de pouce à une oeuvre qui, quoi qu'il en soit, mérite amplement sa place dans cette sélection. Et passer à côté serait regrettable tant elle est ambitieuse. Un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, le seul homme vivant de la planète, s’égare dans l’espace et le temps. Il erre dans le monde issu de son imagination en tenant des conversations avec son frigidaire, où il conserve secrètement son passé.
Shakespeare, les frères Lumières et beaucoup de pétrole
Pour Nasib Piriyev, le producteur du film « c'était un point d'honneur de faire mon premier court-métrage dans mon pays natal et de dire au public, d'une manière franche et sincère, ce qui est vraiment pertinent pour nous: les leçons du passé, les liens entre les générations, la solitude des personnes âgées, et l'importance de vivre et de respirer indépendamment de tout ».
Bande-annonce de Sonuncu de Sergey Pikalov
Les allures philosophiques que prend le film font écho à la longue histoire d’un cinéma azerbaïdjanais malheureusement encore ignoré. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est bien le pétrole qui est à l’origine de l’histoire du cinéma azerbaïdjanais. À partir de 1898, Alexandre Michon, un industriel français proche des frères Lumières, séduit par l’exploitation pétrolière azerbaïdjanaise et la féerie des décors, décide de tourner des images des paysages environnants. La Puissance du Puits de Pétrole de Bibi Heybat est le premier documentaire diffusé sur le territoire et sans le savoir, Alexandre Michon posera les premières pierres d’un cinéma florissant, mais tourmenté.
En 1920, la machine commence à s’emballer. Une vingtaine de films sont tournés au cours de la décennie et ce sont des réalisateurs aussi brillants qu’engagés qui émergent sur la scène culturelle azerbaïdjanaise. Abbas Mirza Sharifzadeh est un exemple édifiant. Fameux pour son interprétation de personnages shakespeariens, l’acteur et réalisateur s’est fortement investi pour améliorer la vie des travailleurs et initier la population aux œuvres littéraires mondiales. Ses documentaires Bismillah et Haji Gara ont été un outil de lutte contre les vieilles traditions ancestrales et les fanatismes religieux exacerbés. Pionnier, il a soutenu la libération des femmes azerbaïdjanaises en favorisant leur entrée dans le monde de l’art jusqu’alors réservé aux hommes.
Un pouvoir et un contre-pouvoir
Le cinéaste visionnaire, peut-être trop moderne, accusé d’espionnage par le régime soviétique, fut condamné à mort. Un tournant décisif pour le cinéma azerbaïdjanais, victime d’une série d’années noires. Les productions cinématographiques désormais nationalisées furent contrôlées par le régime caractérisé par l’idéologie et la propagande. Pourtant, certains ont pu échapper à la censure et servir de support aux protestations de la société. Ce, à travers les légendes et traditions locales. Le premier opéra musulman Arshin mal alan, retranscrit à l’écran, est à ce titre, un exemple éloquent. L’intrigue y met en scène un jeune marchand, beau, riche, revendiquant le droit de choisir son épouse à une époque où la religion encore éminente ne propose que des mariages arrangés. Au demeurant, c'est l’humour piquant comme pied de nez aux valeurs archaïques qui a assuré le succès du film.
Dans les années 70, le cinéma, témoin des réflexions collectives, prendra un nouvel essor. Si la majorité des sujets relatent les événements historiques passés, certains films comme La dernière nuit d’enfance, d’Arif Babayev, Le prix du bonheur, d’Hasan Seyidbeyli ou encore L’interrogation de Rasim Odjagov supposent une quête identitaire azerbaïdjanaise à l’heure où le bloc soviétique commence à s’effriter.
Durant les années 90 la production cinématographique azerbaïdjanaise se voit fortement ralentie par le manque de qualifications et l’absence de moyens financiers. Une histoire désormais ancienne, car aujourd’hui, nous avons assisté à sa renaissance. Le film Fortress, de Shamil Nacafzada tourné en 2006 raconte l’histoire d’une équipe de tournage partie filmer la guerre et qui finit par y participer. Si le film ne manque pas d’aplomb, il prend des allures politiques et, riche d'interrogations, il était au programme du festival du film azerbaïdjanais à Vancouver en octobre 2013.
Bande-annonce de Steppe Man de Shamil Aliyev.
Le film Steppe Man (2012) de Shamil Aliyev est quant à lui représentatif du nouveau mouvement cinématographique en cours dans le pays. L’histoire des pérégrinations d’un jeune berger dans les steppes du territoire a séduit Hollywood. Ce film a officiellement représenté l’Azerbaïdjan aux Oscars 2014 dans la catégorie « Meilleur film langue étrangère ». En endossant de multiples facettes à travers les âges, le cinéma azerbaïdjanais mérite donc une attention toute particulière. Désinvolte, il est un outil de réflexion et le support d'une certaine revendication qui n’aura de cesse d’étonner. Même à Cannes.