Le cinéma d'école, tout un art
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Pour la 36éme année consécutive, les Rencontres Henri Langlois ont mis à l'honneur la crème du cinéma d'école. Ils étaient 45 en compétition pour défendre leur film, leur école et leur pays. Retour sur ce cinéma singulier où se côtoient les grands réalisateurs de demain.
Qu'ils soient belge, italien, danois, français, israélien, britannique ou allemand, qu'ils présentent une fiction, un documentaire ou une animation, les réalisateurs présents au festival ont un point commun : leurs films traitent tous de sujets propre à la jeunesse. La question de l'identité, des métamorphoses liées à l'adolescence et des étapes menant à la vie d'adulte sont traitées avec un regard neuf, loin des clichés. Pour Julie Bezerra Madsen, réalisatrice danoise du documentaire Boy, le cinéma d'école - terme utilisé par le festival pour catégoriser les films qu'ils reçoivent - prend tout son sens aux Rencontres Henri Langlois. Son film suit les débuts de la transformation d'une jeune femme s'injectant de la testostérone pour devenir un garçon. Pour elle, tout est venu d'une rencontre, avec Oliver, son personnage principal, « je suis vraiment tombée amoureuse », confie-t-elle.
Dans Cloro, Laura Plebani soulève un des problèmes les plus importants de l'adolescence : la séparation. Chiara et Futura forment un binôme en natation synchronisée jusqu'au jour où l'une d'elles rencontre un garçon. Tout se complique alors et leurs chemins se séparent. « Si je fais du cinéma, précise-t-elle, c'est pour créer des émotions. Ce duo de sportives me permet de parler de la rupture et des émotions très fortes qui en émergent. »
Florian Berutti, jeune réalisateur belge de Tristesse Animal Sauvage, voulait faire un film brut autour du premier rapport sexuel. « Je voulais parler d'un sujet simple et qui ait du sens, l'histoire de la première fois est un passage symbolique que l'on vit tous, c'est simple et complexe à la fois. »
L'école de cinéma, entre liberté et restrictions
Pour Joseph Stray, réalisateur de The Eternal Not - histoire d'un mari paranoïaque qui veut disparaitre et ainsi échapper à sa femme - le cinéma d'école permet une très grande liberté. « On peut casser les règles », affirme t-il. Neta Braun va dans le même sens : « nous n'avons pas de pression du monde du cinéma et du public. On ne doit rien à personne. C'est en cela que nous sommes libres ».
Jan Gerrit-Seyler minimise cette liberté. « Tout dépend de l'école », précise t-il. Au sein de la Hamburg Media School (en Allemagne, nda) les élèves sont très suivis. L'école est connue pour ses contraintes et sa professionnalisation. Les scénarios sont imposés, le tournage doit être réalisé en 8 jours et le montage doit suivre des règles très strictes. Still Got Lives raconte l'histoire de deux jeunes amoureux qui à travers un jeu vidéo vont finir par se rencontrer dans la réalité. « L'école nous apprend la rigidité du monde cinématographique, surtout pour la télévision. Cette école n'est pas faite pour se tourner vers le cinéma d'auteur », regrette le jeune réalisateur. Mais loin de se démotiver, il veut maintenant faire des films qui lui correspondent, « malgré les risques de ne pas trouver de financeurs ».
Still Got Lives - Bande-annonce
Tous sont d'accord sur un fait, ils ont des conditions de travail exceptionnelles qu'ils ne retrouveront pas une fois lâchés dans la nature. L'école fournie un cadre idéal pour réussir un premier film. En plus de l'accompagnement de professeurs expérimentés, l'école finance leur projet de l'écriture du scénario jusqu'à la postproduction en passant par le tournage. La contrepartie, c'est que l'école impose ses contraintes. Pas question de dépasser le temps imparti. « Je n'ai eu que 8 jours de tournage, c'est très court », explique Florian Berutti.
Les Rencontres Henri Langlois, un gage pour l'avenir
La projection de leur film aux Rencontres Henri Langlois est une de leur première fois face au public. Cette mise en confrontation avec des spectateurs est une dernière étape avant de faire carrière. Mees Peijnenburg, réal hollandais, confirme : « Pour moi, c'est vraiment très important de voir comment le public réagit car mon film (We were wolves, nda) parle d'une jeunesse que nous ne retrouverons pas. C'est un sujet intemporel. J'ai besoin de savoir si mon film touche le public. Et j'adore voir de beaux films d'étudiants ».
L'ambiance est cool, détendue. Tous regardent les films des autres, ils sortent ensemble le soir, créent des relations, forgent des amitiés. « Je ne croyais pas être autant au cœur du festival. Ici il y a une bonne ambiance, un bon dynamisme », souligne Julie Bezerra Madsen. C'est sûrement une des raisons de la si grande popularité du festival de Poitiers (le comité de sélection a reçu cette année 1424 films venus du monde entier, nda).
Peu osent l'avouer mais au fond d'eux, chacun espère rencontrer un professionnel qui leur permettra de créer un nouveau film. A l'abri des regards indiscrets du public, les jeunes réalisateurs participent à des tables rondes et des rencontres où sont présents producteurs, scénaristes et directeurs de casting. Angèle Chiodo a eu cette chance l'année précédente. Sélectionnée et primée en 2012 pour son film La Sole, entre l'eau et le sable (Prix Découverte de la Critique Française), Angèle a rencontré à Poitiers la compositrice de son nouveau film, Les Chiens, pendant un atelier d'écriture musicale.
Jan Gerrit-Seyler rajoute qu'être sélectionné en festival donne une légitimité pour continuer. « Mon école n'aimait pas mon film, j'ai eu 8/20 à ma soutenance. Mais quand mon film a participé à plusieurs festivals, ils ont reconnu l'intérêt de mon travail. Je suis toujours surpris d'être sélectionné parmi tant d'autres. »
Qu'ils obtiennent où non un prix récompensant la qualité de leur film, l'expérience des Rencontres Henri Langlois est une chance pour eux de lancer leur carrière. Des projets, ils en ont tous plein la tête. Le cinéma a de beaux jours devant lui avec ces jeunes là.
Tous propos recueillis par Flavien Hugault, à Poitiers.