Le café des chats à Paris : l'expérience féline
Published on
Translation by:
Véronique MazetJe n’ai jamais été un fou des chats. Ces animaux sont comme des croqueuses de diamants, ou comme des prostituées : les chats se laissent caresser pour obtenir quelque chose, comme de la nourriture. Je préfère l’authentique fidélité du chien. Mais j’ai l’esprit très ouvert, aussi je suis allé au Café des Chats, dans le 3eme arrondissement de Paris.
En pénétrant dans le Café des chats, on me demande de me laver les mains avec un antiseptique à l’odeur bizarre. En général c’est ce que l’on fait après avoir touché des animaux, pas avant. Les humains seraient donc plus sales que les chats ? Heureusement, j’ai la peau dure et je ne suis pas vexé. Là, on me dit que caresser les chats qui dorment est interdit.
Je descends un escalier qui mène à une cave chaudement éclairée. On dirait qu’elle a été creusée directement dans les fondations de Paris. Une sorte de cachot confortable. Quelques chats dorment sereinement dans des niches murales. L'un est allongé sur une table, caressé par une famille. Un autre boit du thé dans la tasse d’un homme barbu. C’est comme si j'étais dans l'Internet.
Mais ce qui m’intéresse le plus, ce ne sont pas les chats mais les humains. Quel genre de personne prend son café avec un chat ?
J’observe les clients autour de moi et je ne peux m’empêcher de penser que ce sont eux les vrais animaux ici. Les chats dorment tranquillement ou s'éclipsent furtivement avec élégance. Les humains, eux, se bousculent, poussent des cris d’excitation. Deux jeunes hommes décident que s’ils ne peuvent toucher les chats endormis, ils n’ont qu’à les réveiller. Un chat dort près d’un piano. Les garçons martèlent les touches, un son affreux en sort, le chat se réveille et ils le chassent triomphalement.
Ali, un Algérien, est assis dans un coin. Il est grand et seul mais son sourire est immense. Il explique les différentes significations culturelles des chats par pays. « Dans certaines parties d’Afrique, ils brûlent un chat pour porter chance à une personne qui part en voyage, » dit Ali. Mais dans son Algérie natale, « les chats vont et viennent à leur guise. Ils rentrent même dans les mosquées. » Ali me raconte que quand il était jeune, il s’était disputé avec son père qui ne voulait pas que leur chat dîne à leur table, « alors j’ai mis une table dans ma chambre et je dînais là avec le chat. Il avait sa petite assiette à côté de la mienne, et on mangeait ensemble ».
Pourquoi est-il venu au Café des chats ? Il sort une page de journal de sa poche, et me montre l’annonce qui l’a attiré ici. Puis il se lève pour trouver un chat, cherchant sa proie avec enthousiasme comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Les chats, comme les bébés, compensent le malaise et la gêne des relations sociales non appropriées. Lorsqu’il y a un bébé ou un animal près de nous, les silences embarrassants disparaissent en s'occupant desdites créatures. On peut interagir sans avoir besoin de parler. Nous n’avons même pas besoin d’avoir quelque chose en commun, il suffit de toucher ces créatures et de sourire, et le lien est crée. Pour certains clients, c’est le rôle des chats. Des petits groupes sont assis en silence et regardent avec indulgence le chat qui est à leur table.
Vendre son corps dans une cave parisienne
Le Chat botté se retournerait dans sa tombe s’il voyait ces machines à tuer, féroces, lovées sur les canapés, vendant leur corps dans une cave parisienne. Il existe une différence étrange entre la vraie nature du chat et son quotidien domestique. Les chats domestiques mènent une double vie : chasseurs sans pitié d’oiseaux et de souris qu’ils déchiquettent, avant de retourner à la maison pour se faire gratter les oreilles en dormant. Un être humain qui se comporterait ainsi serait taxé de psychopathe schizophrène. Mais les autres clients n’ont pas l’air de penser comme moi.
Deux Américaines, dans le feu de l’action, courent dans le café en pourchassant joyeusement les petits groupes de chats. Je les arrache à leur chasse pour les questionner. Pourquoi sont-elles venues au Café des chats ? « Parce que les chats sont les plus mignons des animaux ! » Pourquoi sont-ils mignons ? « Parce qu’ils sont tellement mignons ! », s’exclame Sarah, 21 ans. Je suis émerveillé par le talent des Américains pour les lieux communs. « Ils sont très mignons, continue Sarah. Et ils sont vraiment doux. Ils sont réconfortants. Ils aiment juste se détendre et s’allonger, c'est l'ambiance qu'on recherche dans un café accueillant comme celui-ci. Ils donnent matière à se relaxer et simplement profiter de la vie ».
Les paroles de Sarah s'avèrent assez malignes. Nicole, une autre cliente du Café des chats me parle du pouvoir thérapeutique unique des animaux. « En prison, ils font des thérapies du chien, dit-elle, et certains prisonniers affirment que s’ils ne passaient pas 5 minutes par jour avec un chien, ils se seraient déjà suicidés ». Les capacités thérapeutiques des animaux sont de plus en plus utilisées dans les prisons. Cela aide les détenus à surmonter les traumatismes affectifs. En effet « la thérapie assistée par un animal » est un traitement reconnu pour les personnes dépendantes des drogues. Est-ce-que les clients du Café des chats sont engagés sans le savoir dans une thérapie affective ?
« Votre douceur contre mon argent »
Que peut nous révéler le Café des chats sur l’état de la société ? Est-ce un symptôme de notre obsession pour les stimuli sensuels ? Le matérialisme dans sa forme la plus brute ? Plutôt que de stimuler son cerveau en lisant un journal, le consommateur de café d’aujourd’hui stimule son corps avec un chat. Le sensuel remplace le cérébral. Ou bien peut-être que le Café des chats est un symptôme de la solitude de la condition humaine, une solitude accentuée par l’isolement des métropoles modernes. Alors que nous vivons plus près des autres, nous en paraissons plus éloignés. Peut-être que les animaux peuvent nous aider à surmonter cet éloignement ? Ou alors le Café des chats est un sous-produit d'une crise économique qui nous a volé la possibilité de garder nos propres chats, alors que nos envies de câlins réconfortants et d’affection débridée ne cessent de croître ?
Alors que je sors mon portefeuille, je suis frappé par l’horrible humiliation que ces chats doivent endurer (ou endureraient s’ils avaient été des chats marxistes). Cette indignité d’être manipulés par des hommes étrangers qui ne les connaîtront jamais et qui ne le souhaitent pas. « Votre douceur contre mes euros. » Ce n’est pas une vraie relation entre deux êtres, c’est une relation économique où un sujet devient un objet avec une valeur économique, une marchandise fétichiste, une réification pure et affreuse. Mais Samantha, une des employées du café, apaise mes craintes. Elle me dit que les chats ne sont pas sous pression. « Quelquefois, ils décident de dormir toute la journée… ils vont seulement vers les clients s’ils le désirent. » C’est une relation en symbiose où les chats et les clients partagent une émotion. Ce n’est pas demain la veille que je danserai au clair de lune avec un chat, mais mes préjugés sur eux ont changé.
Translated from The Paris Cat Café: Le Café Des Chats