Le bookcrossing ou se livrer à son prochain
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La journée mondiale du livre, c’est aujourd’hui. En déclarant le 23 avril, journée mondiale, l'UNESCO s'applique depuis 1995 à promouvoir la lecture, l'industrie éditoriale et la protection des droits d’auteurs. Depuis quelques années, une nouvelle façon de lire apparaît. Les livres sont dans les cafés, trains ou encore dans les parcs. Vous n’allez pas vers les livres, les livres viennent à vous.
Il y a déjà plus d’une décennie un jeune homme assoiffé de lecture et de liberté a entrepris de réunir les deux en ôtant aux livres leurs chaînes, leurs limites, et leurs contraintes. Les livres sont alors libres de circuler et surtout ils le doivent. Le bookcrossing est le phénomène mondial dont le principe est de faire circuler des livres en les « libérant » dans la nature pour qu'ils puissent être retrouvés et lus par d'autres personnes, qui les relâcheront à leur tour. Le bookcrossing, depuis ses débuts, connaît beaucoup de variantes. Instaurée par l’utilisation massive du Web, la libération des livres se réalisait en les enregistrant sur une liste sur un site internet et les lecteurs/libérateurs pouvaient suivre, s’ils le désiraient, le voyage de leur livre. Jamais il n’est prévu que le propriétaire initial retrouve alors son livre. Il circule, libre au gré des rencontres. Aujourd’hui, la formule la plus répandue est celle de l’étiquette ou du tampon tels que « Livre libéré, veuillez l’adopter le temps d’une lecture, puis le relâcher ou libérer un autre livre ».
Les livres pour une nécessité
Mais au juste qu’est-ce qu’un livre ? Ce sont des pages reliées entre elles, des mots qui se suivent mais encore et surtout des histoires qui ont besoin d’être lues, d’être vécues, écrites et partagées. Il faut une histoire attirante et bien sûr un lieu. Les bibliothèques n’ont toujours pas prévu de fermer leurs portes et d’autres lieux de partage se sont créés à travers le monde. À Québec, le mouvement citoyen Libérez les livres ! a vu le jour en 2011 « dans le but de favoriser la rencontre inattendue d’un passant et d’un livre » selon Catherine Blaquière, co-directrice du mouvement. La diffusion des livres se fait régulièrement et tout au long de l’année dans des lieux informels appelés point de partages. À Strasbourg, une formule plus locale s’est également installée en 2011. L’association ADIQ qui a pour but de défendre les intérêts généraux du canton 4 de Strasbourg, s’est lancé la mission de faciliter l’accès à la lecture et plus largement à la culture à travers une cabane Livres en liberté abritant des livres de toutes sortes à l’entrée du parc de l’Orangerie. Un important partenariat avec la ville est formé mais Jean-Luc Déjeant, président de l’association ADIQ, met un point d’honneur à faire remarquer que « l’association tient à son indépendance de parole, c’est pourquoi nous ne sommes pas subventionnés par la ville ». L’association existe grâce aux cotisations des adhérents, habitants du quartier. Le mouvement citoyen Libérez les livres ! fonctionne au quotidien grâce aux deux directrices bénévoles passionnées de littérature, Catherine Blaquière et Gabrielle Brisebois. La victoire du concours Forces Avenir qui récompense l'implication des jeunes dans leur communauté a permis au mouvement de prendre son envol. En plus d'un prix en argent, Libérez les livres ! a acquis une certaine notoriété grâce à la publicité à la télévision d'État Radio-Canada. Le Bureau de la vie étudiante (BVE) et la Direction des services aux étudiants (DSE), la coopération Zone de l’Université Laval ainsi que l’association de création et d’études littéraires de l’Université Laval (ACÉLUL) ont offert un petit budget au début. Des bouquineries ont été une source précieuse de livres et de soutien pour les points de partage.
Passe le livre à ton voisin
Chaque histoire est une invitation à l’aventure et plus les livres sont libres et donc partagés et lus, plus il y a de surprises. Les points de partage et la cabane ont été témoins de merveilleuses histoires, le lien social dans la ville et le quartier s’est développé en donnant à chacun des livres l’espoir d’être lu et à chaque lecteur la certitude de lire la bonne histoire. Libérez les livres ! est un mouvement qui vit et grandit grâce à l'implication de citoyens qui cherchent à intégrer le livre de manière originale dans leur quotidien. Le partage de livres devient ainsi une façon pour le citoyen de réinvestir les lieux publics, d'y trouver une nouvelle vocation. Centré sur des manifestations de partage de livres, Liberez les livres ! connaît un vif succès auprès de la population québécoise comme le prouve la libération massive de plus de 1000 livres en 2011 lors du lancement au Musée de la civilisation à Québec. Livres en Liberté à Strasbourg rencontre également un succès important qui se mesure par la quantité de livres apportée chaque jour à la cabane et par la ferveur des usagers. La particularité des livres-voyageurs strasbourgeois est qu’ils sont abrités par une cabane en bois mise à disposition par la mairie ouverte sur le parc. Dans le but de conserver les livres en bon état et d’en prendre soin comme ils le méritent, la cabane se vide sous le coup de la nécessité climatique, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. À Québec, une formule plus adaptée a été choisi. Ce sont les points de partage, qui peuvent être le café du coin de la rue ou la salle de sport du quartier. Les livres circulent sans frontière.
Du livre-voyageur au voyage
D’ailleurs, des branches de Libérez les livres ! existe ailleurs dans la francophonie, à Paris bien sûr avec un partenariat avec Circul’livres mais aussi des branches en Guadeloupe, en Corse, et une en Belgique qui émergera dans les prochains temps. À Strasbourg, c’est par la langue que l’on voyage. Il y a en effet toute une section sur des livres en langues étrangères, notamment en russe, en polonais, en allemand.
Les livres que l’on y trouve ne sont pas tous du même genre. Un heureux mélange se présente sous nos yeux, en nous conviant à de délicieuses recettes à dévorer, de mystérieuses histoires policières à résoudre ou encore croiser des comédies qui aiment à détendre l’atmosphère. Toutes les histoires comptent, de celles des plus connues à celles des plus solitaires. Elles n’ont pour but que de rencontrer un lecteur et d’apporter un peu de joie, de peine, d’espoir ou de savoir. Somme toute, un peu de couleur. À Québec, le but premier est de lutter contre l’analphabétisation de la population, de faire basculer un non-lecteur dans la lecture quelle qu’elle soit. Le mouvement est très démocratique. Il s’agit simplement de tenter l’aventure d’une lecture sans préjugé et sans engagement. À Strasbourg, le défi est d’encourager la lecture en sortant du cadre parfois considéré comme formel des librairies ou des bibliothèques. « Sortir d’une librairie ou d’une médiathèque sans un livre à la main, ça ne se fait pas », diront certains. La cabane est ouverte à toute expérience de lecture, lire uniquement le titre, la quatrième de couverture, les premières pages et puis s’en aller avec ou sans le livre. Aucune obligation morale de lire et de lire « bien ».
Et si un livre vous plaît une fois entré dedans, il est souvent difficile d’en décrocher et c’est pour cela que le temps est lui aussi libre. Vous pouvez vous perdre dans chacun des livres le temps qu’il vous plaira, en l’emmenant à la maison, au travail, en voyageant à travers le monde en avion ou en train - même si la SNCF s’est également éprise du phénomène en distribuant 60 000 polars aux voyageurs sur le réseau transilien en Ile-de-France dans le cadre de l’opération « Le livre aime le train, faites le voyager de main en main ». Vous pouvez ensuite redéposer votre livre à la cabane ou dans l’un des 70 centres de partage pour le faire circuler et en ouvrir un autre si l’envie vous prend.
Le bookcrossing et les efforts fournis par la population pour sa réalisation est une belle manière en ce jour spécial de démontrer que le livre est central et indispensable dans une communauté saine. Le partage, le lien social n’est pas désuet ou absent. Il est là où nous voulons bien le vivre. Libérez les livres ! à Québec et Livres en liberté à Strasbourg sont deux exemples bien différents du bookcrossing qui finalement se réunissent autour des mêmes valeurs : partage, confiance et l’amour de la lecture.
Par Nadia Bendjebbar, à Strasbourg.
Note de la rédaction :
Le bookcrossing existe aussi à deux pas de Strasbourg de l'autre côté du Rhin, sur la place du marché / Marktplatz à Kehl.