L’allemand en France : Goethe de bois
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En France, professeurs, élèves et élus sont en train de s’écharper sur le nouveau projet de réforme mené par le ministère de l’Éducation nationale. Pour beaucoup, le texte de la ministre saborde l’apprentissage de l’allemand. Mais pour Amélie, prof en collège depuis 4 ans, la langue de Goethe souffre depuis longtemps d’un mal plus profond : les stéréotypes.
cafébabel : On ne voit pas bien clair dans les réactions sur la réforme du collège qui menacerait l’enseignement de l’allemand en France. En tant que prof, peux-tu nous dire ce qui est en jeu ?
Amélie : Jusqu’à maintenant, les élèves choisissent une LV2 en classe de quatrième et bénéficient de 3h par semaine sur les deux années. Le projet prévoit de commencer l’apprentissage de la seconde langue vivante dès la classe de cinquième, à raison de 2h30 par semaine. Si cela semble un progrès, il ne faut pas oublier de préciser qu’il est difficile pour un débutant de progresser en langue étrangère avec moins de trois heures hebdomadaires.
cafébabel : C’est en partie pour cela que les classes dites « bilangues » existent...
Amélie : Les sections bi-langues sont un vrai succès. Créées il y a dix ans pour relancer l’apprentissage de l’allemand dans l’enseignement secondaire, elles permettent de prendre le temps de consolider les connaissances. Elles ont même trouvé leur public dans les zones défavorisées. L’ouverture d’une classe bilangue a permis de créer un pôle d’excellence dans des établissements dits difficiles et de rendre ceux-ci plus attractifs. Pour certains parents d’élèves de ces collèges, inscrire leur enfant en classe bilangue permettait à celui-ci d’être dans une « bonne classe ». Certains élèves ont donc « choisi » l’allemand grâce au dispositif bilangue, alors qu’ils auraient naturellement choisi l’espagnol en LV2…Les classes bi-langues ont tout de même permis de maintenir l’allemand au rang de troisième langue vivante enseignée en France ! Pour la langue de notre plus proche voisin et de notre premier partenaire commercial, c’est le minimum ! Beaucoup ne savent pas que la langue la plus parlée en Europe en terme de locuteurs est l’allemand (langue officielle en Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, au Luxembourg et au Liechtenstein, et même au Nord de l’Italie !) et que l’allemand reste largement enseigné en Europe de l’Est, dans les nouveaux pays membres de l’UE !
cafébabel : Pourtant, derrière la volonté de « veiller à favoriser la diversité linguistique », il y aurait un mépris du gouvernement vis à vis de ces classes « bilangues », taxées d’élitisme. Pourquoi ?
Amélie : Pour beaucoup – dont la ministre de l’Éducation Nationale, l’allemand est une langue réservée aux seuls bons élèves capables d’ingurgiter les déclinaisons et les verbes irréguliers… Certains parents hésitent à inscrire leur enfant en bilangue par crainte d’une surcharge de travail et d’heures de cours. S’il n’y a pas de critères d’inscription, la sélection se fait « naturellement » au regard des résultats de l’élève en CM2. Mais la classe bilangue reste ouverte à tous ! Un élève plus « lent », plus réfractaire à l’apprentissage des langues, aura donc tout intérêt à choisir cette classe puisqu’on pourra prendre le temps de réexpliquer les choses, de faire davantage d’exercices.... La classe bilangue est donc tout sauf élitiste, puisqu’elle rend au contraire plus accessible une langue qui n’est pas si difficile que cela, mais qui nécessite une certaine rigueur – rigueur toute germanique ! – en début d’apprentissage, pour se montrer ensuite logique et clair.
cafébabel : En France, on dit souvent que l’allemand, c’est chiant et compliqué. Comment faire pour changer les mentalités ?
Amélie : Les professeurs d’allemand luttent au quotidien pour rendre leur matière plus attractive, font de la promotion à l’école primaire, en classe de 5ème, se démènent pour organiser des échanges ou séjours linguistiques afin de « récompenser » leurs élèves pour avoir eu le courage de choisir l’allemand. Pouvoir emmener nos élèves dans le pays était un de nos « atouts charme », à la fois une finalité et une motivation, mais avec cette réforme, nous n’aurons plus ni le temps ni la possibilité de le faire…
cafébabel : Pourquoi ?
Amélie : Parce que, derrière ce projet de réforme, on ressent un réel refus de sauver l’apprentissage de l’allemand… Imaginer que du jour au lendemain, les effectifs en allemand vont augmenter, c’est vraiment se voiler la face et refuser de voir la réalité : l’allemand est en perte de vitesse depuis des années. Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est qu’il faut se battre au quotidien contre les préjugés sur l’allemand, langue « difficile », « dure », que le prof d’allemand se retrouve à devoir expliquer Hitler et le nazisme plusieurs fois par an, que des « Heil Hitler » sont parfois scandés devant la porte de la salle d’allemand… Heureusement que nos élèves germanistes prennent parti pour l’allemand et relaient d’eux-mêmes l’idée que l’allemand n’est pas difficile, que cela ressemble à l’anglais, qu’en allemand on fait ça et que c’est « dar », et que le chanteur dont on a étudié la chanson est « trop swag ».