L'Allemagne n'est pas si bio...
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Philippe-Alexandre SaulnierLe développement durable, c'est la tendance du moment. On choisit nos yaourts au rayon bio et hors de question de laisser couler l'eau pendant qu'on se brosse les dents ! Soit.
Mais pour être tout à fait sincères, notre comportement pêche parfois par incohérence car dans le même élan nous survolons l'Europe en « low-cost » et ne résistons pas à de nouvelles chaussures de sport, tout en continuant à nous délecter de tomates en plein hiver. Vu d'Allemagne, voici u précis d'économie sur ce qui reste à faire pour devenir vraiment écolos.
L'Institut de recherches sur la consommation Greendex révèle que les Européens évoluent moins dans le sens du développement durable qu'ils ne le pensent. Dans cette matière, les Allemands, bien que soucieux de la protection de l'environnement, se considèrent probablement comme les fortiches de la classe. Pourtant, interrogés sur leur consommation d'énergie, l'utilisation des moyens de transport et les denrées alimentaires dont ils se nourrissent, loin d'arriver en tête au tableau d'honneur, ils ne figurent qu'en douzième position sur une liste de 17 pays recensés ! En fait, côté développement durable, ce sont plutôt les Indiens, les Brésiliens et les Chinois qui occupent les premières places. Il apparaît en effet clairement que les pays émergents se montrent plus respectueux de l'environnement bien qu'ils ne roulent pas à bord d'automobiles équipées de catalyseurs ou qu'ils n'achètent pas de produits estampillés bio. Il en résulterait donc que la pollution de notre environnement découle de notre mode de vie et de la consommation effrénée qui l'accompagne. Ce constat vise aussi l'Allemagne. Comme nous l'explique Ulf Schrader, expert en développement durable à l'Université technique de Berlin : « La consommation durable est le lot des plus pauvres ». Ces derniers n'ayant pas l'argent nécessaire qui leur permette de voyager en avion, de posséder une voiture ou d'acquérir tous les joujous technologiques dernier cri et bien... Ils polluent moins ! Mais si le développement durable n'est pas lié au seul critère d'opulence, alors à quoi l'est-il ?
Chaque chose a son prix !
En observant d'un peu plus près le concept, il est temps d'affiner un peu la notion même de croissance durable. En aucun cas elle n'implique plus... de consommation ! Un mode de vie en accord avec une croissance proche de la pérennité invite à ne pas consommer plus que la Terre ne le permet. Un produit qualifié de durable ne doit pas être seulement commercial, il lui faut aussi être équitable et bienveillant à l'égard du milieu naturel. Avec chaque pizza surgelée, chaque ordinateur, nous achetons un produit dont la conception a représenté une dépense notable d'énergie et de matières premières en vue de le finaliser. Or, très souvent, le prix avantageux des produits proposés ne reflète nullement le montant des dépenses initiales. Comment un tee-shirt étiqueté 5 euros pourrait-il, à un tel prix de vente, couvrir tous les frais de transport et de fabrication ? Sans parler du coût indirect qu'entraînent les pesticides utilisés, les émissions de Co2 dans l'atmosphère et la précarité dans laquelle se débattent celles et ceux qui confectionnent le produit.
Pourtant, face à cette disproportion entre le prix et le coût réel des objets que nous nous procurons à l'arrivée, nous nous contentons seulement de fermer pudiquement les yeux. Melanie Jaeger-Erben qui est collaboratrice au centre social de l'Université technique de Berlin a une explication très simple pour rendre compte de cette cécité : « Un grand nombre de gens pense qu'une consommation en accord avec le développement durable n'est pas compatible avec leur vie quotidienne. » Celui qui prend le parti d'acheter en toute bonne conscience doit fournir de gros efforts afin de collecter toutes les informations nécessaires qui l'aideront à le guider dans ses choix. Toutefois, la psychologue constate que le pari en faveur d'une croissance durable se révèle cependant plus facile à relever qu'il n'y paraît puisqu'il s'agit avant tout de solutions pratiques aisément applicables au quotidien : « Prendre le bus ou son vélo est rapide. Le marché qui propose des produits locaux se trouve au coin de la rue et quand on saute dans un train de nuit pour se rendre à Paris, on peut se réveiller frais et dispos le lendemain matin avant de partir à la découverte de la ville ».
Qu'il existe un fossé entre l'idéal et la réalité, l'Agence fédérale allemande de l'environnement nous le démontre. De l'étude entreprise en 2010 par cet organisme dans le but de mettre en lumière la conscience et le comportement écologique des Allemands, il ressort que la question de l'environnement constitue l'un des trois thèmes politiques majeurs pour nos voisins d'Outre-Rhin. Le commerce et la politique sont souvent désignés comme les principaux responsables des nuisances dont pâtit l'environnement.Toutefois, si 85% des personnes interrogées se montrent favorables à un accroissement des énergies renouvelables, seules 8% d'entre elles reconnaissent s'alimenter au courant « vert » de production locale. Et quand deux tiers des sondés considèrent qu'un comportement de consommation responsable représente une attitude civique importante, une autre moitié avoue ne pas accepter de dépenser quelques euros de plus pour l'achat de produits respectueux du développement durable. Les plus ardents défenseurs de la cause de l'environnement se rencontrent parmi les jeunes. 12% des moins de 29 ans déclarent se sentir concernés par ce problème. D'autant plus que l'utilisation accrue d'Internet contribue au prestige social de ce type d'engagement. Néanmoins, le mode de vie « à l'occidentale » reste encore fortement ancré dans nos mœurs. Bien que le nouveau jean, le petit séjour régénérant en thalasso ou le week-end à Londres ne soient pas encore devenus des objets de réprobation publique, chacun de ces menus plaisirs exigent, malgré tout, en vue de leur satisfaction, une grande débauche de ressources énergétiques et de matières premières dont on retrouve les traces dans notre vie quotidienne. Or, ces contraintes que représentent les émissions de Co2, le changement climatique ou le travail des enfants, loin de s'imposer dans les consciences et le mode de vie des Européens, en sont pourtant déjà les désagréables conséquences.
Pourquoi on ne change rien ? (...à notre mode de vie !)
Les bonnes résolutions ne suffisent pas à changer nos habitudes. Seuls les évènements alarmants réussissent à nous interpeller. Du moins... durant un certain temps ! Comme ce fut le cas dernièrement en Allemagne quand éclata le scandale de la dioxine décelée dans des aliments servant à engraisser le bétail. Alors, dans ces moments-là, on exige soudain une transparence globale. L'un se préoccupe fébrilement de la composition de son steak ou de sa saucisse pendant que l'autre veut impérativement tout apprendre sur l'identité de l'œuf qui vient juste d'être pondu dans l'assiette de son petit-déjeuner. Puis, aussi soudainement qu'il est apparu, l'intérêt décroit et chacun retourne à ses petites affaires.
De profonds changements dans nos modes de vie s'avèrent donc souhaitables afin que nous puissions méditer pleinement sur des sujets aussi confus que la durabilité. Une maladie, un déménagement dans une autre ville ou la naissance d'un enfant peuvent être l'occasion rêvée d'en découdre un peu avec nos réflexes irréfléchis. Durant sa thèse de doctorat, Melanie Jaeger-Erben a analysé l'impact de tels évènements sur les décisions d'achats de certains consommateurs : « Interrogés après la naissance de leur enfant, les parents concernés, bien que gênés financièrement parlant, ont tous déclarés avoir choisi des produits bio au moment de faire leurs achats. Parce que cet évènement est tout simplement important, aucun ne s'est plaint du prix élevé de ces denrées. » D'aucuns, bien sûr, estiment que vie durable ne saurait rimer qu'avec renoncement. C'est à eux d'en juger ! Au risque de se sentir malheureux, celui pour qui shopping et joie de vivre restent indissociables se montrera certes fort réticent s'il faut se restreindre en faisant certains choix.
Le pouvoir du consommateur
Ne dit-on pas que le client est roi ? « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est quand le client se sent sous-estimé que son pouvoir d'influence devient plus puissant, souligne au passage Melanie Jaeger-Erben. Naturellement, face au marché, au moment de faire ses achats,il dispose grâce à sa détermination d'une arme efficace. » C'est ainsi qu'en 2007, les consommateurs allemands ont boycotté la chaîne de supermarchés bio Basic après avoir appris que le discounter Lidl en était actionnaire. Les chercheurs en développement durable tentent à présent de délimiter le pouvoir réel du consommateur. Afin de rendre les fruits d'une croissance durable plus abordables, plus pratiques et plus aptes à se hisser au rang de produits de consommation de masse, nous devons changer nos structures sociales. « Car si nous continuons à vivre, à commercer et consommer comme nous le faisons actuellement, quelques milliers de personnes de plus ou de moins qui achètent des yaourts bio ne suffiront pas vraiment à faire bouger les choses ».
Photos : Bionade : (cc)formanella/flickr; scandale de la dioxine : (cc)alles-schlumpf/campact/flickr
Translated from Ein bisschen öko: Warum wir weniger nachhaltig leben, als wir denken