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La Turquie, marches orientales de l’Empire ?

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La Turquie va sans doute intégrer l’Union européenne du fait de la démarche intergouvernementale : aucun pays ne pourra négliger les enjeux turcs au point de s’opposer à l’entrée de cette puissance atypique.

Les adhésions de 2004 : de petits pays d’Europe centrale ou orientale, à la culture voisine, dotés d’infrastructures à peu près modernes et d’un système éducatif performant. Ces pays n’aspirent qu’à atteindre une prospérité économique qui demande des investissements somme toute limités et à garder leur indépendance face à une Russie appelée à entretenir de bonnes relations avec l’Union.

Au contraire, l’entrée de la Turquie dans l’Europe changera le visage de l’Union : on ne sera plus en présence d’un club de pays riches, aux institutions stabilisées et aux enjeux stratégiques à peu près en harmonie. La Turquie est d’une autre nature et une Europe réellement présente sur la scène internationale serait profondément marquée par son emprise sur le Moyen-Orient.

Les démêlées de la Turquie avec la Grèce et avec Chypre seraient pour leur part résolues et deviendraient assez semblables à celles qui opposent parfois la France et l’Espagne au sujet de la pêche. Rien de bien grave entre des nations qui reconnaissent un même arbitrage.

Par contre l’entrée de la Turquie dans l’Europe donnerait à l’Union des frontières tendues et des avantages stratégiques vis à vis des pays arabes. Pour l’instant, l’Union et les États membres qui tiennent à se projeter au niveau international se livrent au marché de dupes des politiques arabes. Un constat d’impuissance s’impose : si l’Union Européenne peut apporter aux pays de l’Est ce à quoi ils aspirent (sécurité politique et prospérité économique), elle n’a pas grand chose à offrir aux pays arabes. Un contrepoids à l’influence américaine ? Un règlement du conflit israélo-palestinien ? Rien de tout cela mais seulement un débouché pour le pétrole et un soutien aux oligarchies en place.

La Turquie est par contre dans une position de force, comme pièce maîtresse du dispositif stratégique américain dans la zone, dont Israël n’est que l’avant-poste. La Turquie dispose de forces armées sans équivalents chez les pays arabes depuis le désarmement de l’Irak. Le système stratégique qui comprend les forces turques, l’armée israélienne et les bases américaines dans la zone est l’élément dissuasif qui fait du Moyen-Orient un espace dominé. De plus, c’est par la Turquie qu’arrive l’essentiel des ressources en eau de cette région aride. Les programmes hydroélectriques de la Turquie (pas moins de 11 barrages sur l’Euphrate et le Jourdain) permettent de couper l’eau à volonté à ses voisins comme elle en a parfois fait la démonstration vis à vis de la Syrie.

C’est cette position privilégiée de la Turquie qui lui permet d’ailleurs de survivre en tant qu'État fort : elle est en effet sujette à des crises économiques (-11% du PIB en 2001), budgétaires et d’hyper-inflation qui lui seraient fatales sans le soutien que les États-Unis lui apportent auprès du FMI (et dont l’Argentine n’a pas pu bénéficier).

Quelles évolutions en cas d’adhésion de la Turquie ?

Dans l'optique où l'Union Européenne se doterait des mécanismes qui lui permettent de parler d'une seule voix sur la scène internationale, deux scénarii extrêmes seront en présence, la Turquie pouvant devenir européenne ou l’Europe impérialiste.

Dans le scénario européen, la Turquie suit une évolution à l’allemande : elle devient pleinement démocratique, accorde une vraie liberté à ses minorités ethniques et religieuses et fait la paix avec ses voisins pour se concentrer sur son développement économique. Son rayonnement deviendrait alors pacifique, tête de pont de l’Europe vers les pays arabes et vers le Turkestan post-soviétique.

Dans le scénario impérialiste, l’Europe remplace les Etats-Unis comme partenaire stratégique privilégié de la Turquie. Il ne resterait plus qu’à fermer les yeux sur l’oppression des Kurdes et des Palestiniens, et à mener une politique d’agression à l’américaine avec le remplacement des régimes ennemis par des gouvernement fantoches moins exigeants en terme de cours du baril de pétrole.

Un scénario intermédiaire est bien sûr le plus probable mais tel est l’enjeu de l’adhésion de la Turquie : pour la première fois, l’Union Européenne aura une frontière dans toute l'acceptation du mot. Sur cette limite entre eux et nous, les oppositions religieuses, culturelles, politiques, économiques, sociales et stratégiques ne demandent qu'à s'exprimer de façon violente. Une tentation dangereuse pour le pacifisme européen...