La tauromachie en Espagne : de la culture ?
Published on
Translation by:
Amélie MarinÀ contre-courant des milliers de voix, citoyennes mais aussi politiques qui réclament au gouvernement espagnol l'interdiction de la maltraitance animale et celle des fêtes taurines, l'exécutif de Mariano Rajoy propose de créer un cursus de formation professionnelle en tauromachie. Qu'en pensent les jeunes espagnols ? La tauromachie est-elle du ressort de la culture ou de celui de l'éducation ?
Au cours des derniers mois, le rejet de la tauromachie en Espagne a augmenté. C'est devenu une évidence lors des affrontements tendus entre les animalistes et les participants à la mise à mort du taureau à Tordesillas. Il apparaît évident qu'il y a un sentiment de rejet croissant et qu'une grande partie de l'opinion publique se positionne, de manière plus claire aujourd'hui, contre la maltraitance animale en Espagne.
Il y a à peine trois semaines, le petit village de Aldaia, dans la communauté de Valence, a voté par référendum la suppression des festivités taurines pendant les fêtes patronales : le résultat a offert la victoire aux défenseurs de la cause animale. Cependant, le gouvernement central, bien loin de prêter oreille à toutes ces requêtes, a tapé du poing sur la table. Il prétend protéger la tauromachie en la casant de force dans la section « culture » du système éducatif. C'est pour cela qu'il a rédigé à la hâte et avant les élections un projet de loi proposant la création d'un cycle de formation professionnelle consacré à ce secteur. Évidemment, la cible de ces cycles est le public jeune, mais les jeunes espagnols pensent-ils que la tauromachie doit être étudiée dans des établissements d'enseignement supérieur ?
Sheila Cruz Sánchez, 26 ans (Almería)
« Il ne manquait plus que ça à notre système éducatif ! Un cycle de formation où la torture est intégrée comme enseignement. J'ai trouvé cela révoltant de voir comment on annonce ainsi un cours d'été sur la tauromachie dans mon université. Aujourd'hui, je trouve cela honteux. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de discréditer encore plus notre éducation. Les jeunes n'ont pas besoin d'apprendre de nouveaux actes de cruauté. Le plaisir éprouvé en voyant comment meurt un être vivant n'est pas une fête nationale.
Si jamais ce projet de loi était accepté, les valeurs que l'on transmettra aux jeunes seront les mêmes que celles transmises il y a des siècles au peuple romain : du pain et des jeux pour divertir le peuple. J'aime voir comme les gens de la "vieille école" prétendent que l'on subventionne toutes ces traditions que nous appelons culture. La culture, c'est l'enrichissement de l'âme, c'est penser, évoluer... Et je crois que cela n'a rien à voir avec la vue d'un animal maltraité. »
Aitor de Andrés Gonzalez, 23 ans (Tarragona)
« Les traditions et les valeurs que les différentes sociétés ont développées au fil de leur histoire sont aujourd'hui plus inconstantes que jamais. Écrasées par ces pays au fort pouvoir médiatique et économique, les cultures locales ont progressivement été adaptées ou remplacées pour laisser place à l'(in)culture de la mondialisation. Mais choisir la peste plutôt que le choléra n'est pas une bonne idée. Concentrer nos efforts pour maintenir le pire de notre culture, alors que nous regardons s'évaporer le pire, ce n'est pas ce qu'il faut faire.
Face à un scénario dans lequel la majorité des artistes et scientifiques n'ont d'autre remède que de fuir le pays pour pouvoir vivre, le pari culturel de notre gouvernement est, une fois de plus, de tuer des taureaux. Comme si vouloir faire de la culture en se basant sur la souffrance de l'autre n'était pas en soi assez répugnant, nous permettons, alors que nous débattons pour savoir si les animaux souffrent ou non, que la culture se meure jour après jour. »
Mauro Sirvent, 22 ans (Alicante)
« Je crois que l'image que nous renvoyons aux autres pays de l'Union européenne n'est pas correcte. L'Espagne est un pays dans lequel on ne parle que de réductions et, pendant ce temps, le gouvernement ne trouve rien d'autre à faire que d'essayer d'instaurer une formation professsionnelle en tauromachie. Je n'arrive pas à comprendre qu'ils prétendent prioriser une formation aussi absurde et sauvage et investir pour cela de l'argent public.
De la honte. C'est ce que j'ai ressenti en lisant l'info la première fois. Comment quelqu'un peut-il croire que c'est une bonne idée que d'encourager la maltraitance, que cela puisse apporter quelque chose à la société ? Alors que l'on expose le projet de loi de formation professionnelle, beaucoup d'étudiants seront en partance dans un aéroport parce qu'ils n'ont pas d'autre choix pour mener à bien leurs recherches ou leurs études. Et les gouvernants affirmeront ensuite qu'ils veulent copier le système éducatif de la Finlande, un pays où, je pense en être sûr, jamais on ne proposerait rien de tel. »
Nico Cabanes, 22 ans (Madrid)
« Je ne suis pas le mieux placé pour juger de ce qui fait partie de la culture ou pas, mais même si je n'ai jamais assisté à une fête taurine, je crois que tuer un taureau ne correspond pas à l'idée que je me fais de la culture. Je pensais auparavant que nous donnions déjà une assez mauvaise image en jetant des chèvres par les balcons ou en applaudissant la mise à mort d'un taureau, mais je vois maintenant qu'on peut encore faire pire. C'est déplorable.
Il existe beaucoup d'alternatives culturelles que le gouvernement pourrait promouvoir : la culture responsable et intellectuelle en fait. Encourager la possibilité que n'importe qui ait accès un cursus pour se former sur la manière de tuer un animal ou d'entretenir la cape et l'habit de lumière, non seulement cela me semble totalement inutile, mais je pense que cela en dit très peu de nous-mêmes. Les enfants doivent apprendre à lire. Les jeunes doivent aller au théâtre ou écouter de la musique... Face à cela, je pense que leur apprendre à nettoyer une cape est assez ridicule. »
Carmen Torreblanca, 22 ans (Valencia)
« En plein débat sur l'interdiction des "taureaux" en Espagne, ils proposent une formation en tauromachie dans laquelle l'enseignement irait d'une certaine "liturgie du taureau" à la manière de nettoyer l'habit de lumière. Nous devrions valoriser au moins la tentative du gouvernement de se cacher derrière la banderille qu'ils brandissent en prétendant "unifier l'enseignement de la tauromachie, non réglementé actuellement dans notre pays". Le problème est que cela ne répond pas à une fin éducatuve, mais politique : celle de revendiquer cette vision de la tauromachie en tant qu'art, en tant que culture. Avec un processus de Bologne mal adapté, des protestations dans les rues face à la proposition du 3+2 et une réforme éducative qui menace les disciplines comme la philosophie, je ne pense pas que cette formation professionnelle en tauromachie soit une priorité universitaire, je ne crois pas non plus que l'État doit investir du temps et de l'argent pour réglementer une profession qui implique une maltraitance animale aberrante et moyenâgeuse. Et ensuite ? Une formation professionnelle en traite d'esclaves ? »
Translated from La tauromaquia, ¿es cultura?