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La Route du Rock : le festival qui marche sur l'eau

Published on

BruxellesLa ParisienneCulture

Foals, Jungle, Ratatat, NoTwist, Ride, Rone, Timber Timbre, Vietcong, Father John Misty... Un quart de siècle a passé et l'affiche de la Route du Rock continue de grandir et séduire. Cafébabel a rencontré l'homme derrière cette liste aléchante: Alban Coutoux, programmateur du festival.

En l'espace de 25 ans, un ancien fort près de Saint-Malo est devenu la Mecque du rock indé en France. Tous les mois d’août, sous le soleil comme sous la pluie, la Route du Rock — l'un des meilleurs festoches du pays— accueille entre 25 et 30 000 fans de guitares saturées et de synthés bizarres, pour un sabbat des plus revigorants. Car le festival a su conserver son esprit réellement rock à travers une programmation qui unit vieilles légendes et jeunes révélations, pour un prix encore modeste, dans un cadre plutôt cool.

 Un quart de siècle donc. Le plus bel âge. Pourtant, la Route du Rock a déjà failli mourir plusieurs fois. Mais ce n'est –heureusement—toujours pas cette année qu'elle rejoindra les centaines de festivals disparus. Raison de plus pour fêter cet anniversaire comme il se doit, du 13 au 16 août, avec des invités triés sur le volet. Cafébabel a discuté avec l'un des hommes clés de cet événement, Alban Coutoux, programmateur de la Route du Rock. Il revient pour nous sur l'histoire du festival, les raisons de sa longévité, ainsi que les travaux effectués pour rendre l'expérience encore plus agréable.

cafébabel : Alors, vingt-cinq ans de route du Rock, ça fait quoi ?

Alban Coutoux : En 25 ans, on n’a pas vu le temps passer. En même temps, il n'y a pas eu de plan de carrière. Si on nous avait dit à l'époque que l'on serait encore là dans 25 ans, on n’y aurait pas forcément cru. Parce que même s'il y a eu des moments posés,  il y a aussi eu des moments plus mouvementés, des éditions plus difficiles que d'autres...Mais bon a quand même eu de beaux succès. On n’a pas eu le temps de s'ennuyer, il n'y a jamais eu de routine. Tant mieux, d'ailleurs !

cafébabel : À ce propos, quoi de neuf cette année ?

Alban Coutoux : On devrait enfin pouvoir assister aux concerts les pieds au sec ! Des travaux de drainage ont été faits au mois de mars. C'est une bonne nouvelle pour le festival. Ce sont des travaux que l'on attendait depuis très longtemps, parce que le site est une vraie cuvette. Il n'y avait aucune évacuation d'eau, donc cela créait de grandes mares. Il suffisait d'une grosse averse et le site devenait impraticable pendant tout le festival. Maintenant ces scènes de boue dans le fort feront partie des images archives  (rires).

Grosse nouveauté aussi, on a adopté le système de paiement « cashless », donc plus de jetons sur le festival.

Et pour célébrer les 25 ans, même si ce n'est pas une édition nostalgique, on a prévu deux choses. On a installé une expo photo de Richard Bellia, un grand habitué de la Route du Rock. Plus d'une vingtaine de clichés grand format seront affichés sur le chemin d'accès au festival. Puis, on va éditer un livre qui paraîtra à l'automne et qui retrace l'histoire du festival, avec les portraits de certains personnages et pas mal d'iconographies.

cafébabel : Peux-tu revenir rapidement sur cette histoire ?

Alban Coutoux : La première édition de la Route du Rock s’est tenue en 1991 et s'est déroulée l'hiver, en février. Mais, en 1993 a eu lieu un événement très important dans l'histoire du festival : l'appel de Bernard Lenoir de France Inter qui cherchait à parrainer une manifestation. A l'époque, il soutenait les Eurockéennes, mais il ne se retrouvait plus vraiment dans la programmation qui était devenu grand public. Par contre, il voulait un événement estival. Donc l'équipe a cherché un lieu pour cela et on est tombé sur le Fort de Saint-Père qui était en friche à l’époque. On a décidé de faire un concert test, celui de Noir Désir et cela a bien marché. La quatrième édition s'est donc déroulée dans ce fort, en plein été, avec le soutien de Bernard Lenoir. Et par la suite, de Libération. Puis en 95, on est passé à deux soirs, en 96 à trois soirs... En 2005, on a fêté les 15 ans du festival avec le concert des Cure. Cela a été un moment marquant pour l'équipe et cela a apporté une reconnaissance nationale à La Route du Rock. Grace à ce succès on a  lancé l'édition d'hiver l'année suivante, ce qui est, en quelque sorte, un retour aux origines. Cela nous permet aussi d'éviter la frustration d'attendre un an avant de programmer des groupes.

cafébabel : Justement, comment vous y prenez-vous pour établir la programmation ?

Alban Coutoux : On est toujours en veille de l'actualité musicale. Après, si tu me demandes ce qu’on va programmer l'année prochaine, j'en sais rien, c'est le saut vers l'inconnu. Un mélange entre des choses du moment et des trucs plus anciens. Par exemple, la reformation de Ride : je trouvais ça intéressant de les faire venir, ce n’est pas juste un réflexe nostalgique, mais le mouvement shoegaze noisey pop, reste vraiment très actuel. Il y a énormément de groupes qui s'en revendiquent. Sinon, mon boulot c'est écouter des disques tout le temps, de lire la presse, d'écouter les suggestions des agents, d'essayer de sentir un peu ce qui va se passer, et puis de combiner avec toutes les contraintes budgétaires ou de calendriers... Au final, on obtient une bonne programmation. Je suis plutôt content, c'est un bel équilibre entre des esthétiques et des notoriétés différentes. Et ça marche plutôt bien.

cafébabel : L'été dernier la programmation était d'ailleurs assez géniale... Quel souvenir gardes-tu de cette édition ?

Alban Coutoux : C'est bien beau d'avoir une belle programmation, mais c'est mieux de pouvoir l'écouter dans de bonnes conditions ! C'était particulièrement dur l'année dernière à cause des conditions météo. On s'est vraiment rendu compte de nos lacunes en termes d'accueil du public. Pour les prochaines éditions, c'est quelque chose que l'on veut vraiment développer. C'est vrai que les finances du festival ne nous permettent pas d'investir énormément de ce côté-là, mais on se rend compte que ça devient vraiment une nécessité. On a un super cadre, maintenant faut peaufiner l'accueil.

cafébabel : C'est vrai qu'il y a eu pas mal de problèmes l'année dernière. Ce qui me vient tout de suite, c'est la question de l'embourbement des parkings, c’était compliqué d'en sortir à certains moments...

Alban Coutoux : Les parkings, ce sont des champs, donc quand il y a un certain passage, forcément de la boue se forme, et il y a donc risque d'embourbement. Après, on a de la chance d'avoir des agriculteurs compréhensifs qui mettent à disposition leur tracteur pour sortir les voitures. Donc, forcément, cela a pris un peu de temps... Mais là, il n’y a pas grand-chose à faire, on ne peut pas bitumer des champs entiers. On gère au coup par coup, on prévoit de la paille, les engins pour sortir les voitures.

cafébabel : Il y a quelques années, la santé financière du festival n'était pas au beau fixe, où en est-on désormais ?

Alban Coutoux : Ça va un peu mieux parce que l'on a eu de belles éditions en 2013 et 2014, mais cela reste fragile. En plus, le contexte actuel, avec le désengagement des collectivités n'aide pas. Après, on est un festival indépendant... La partie subvention est plus faible que chez certains, donc les baisses de subventions nous touchent moins. Mais le climat des festivals est instable. Il  y a des festivals qui marchent très bien  (les Eurockéennes ou les Vieilles Charrues), et d'autres qui disparaissent. La situation n'est pas idyllique pour tout le monde... Est-ce qu’on n’a pas atteint un trop plein ? Chaque ville voulait avoir son festival... Est-ce qu'il n'y a pas un rééquilibrage qui est en train de se faire ? Après, La Route du Rock, c'est un peu particulier, on a une ligne artistique un peu unique en France. Et sur certains festivals, il y a des programmations copiées-collées. Quand on voit le même artiste dix fois pendant l'été... Le public doit faire des choix.

cafébabel : C'est quoi en gros ton emploi du temps pendant le festival ?

Alban Coutoux : Organiser un festival, c'est un peu faire de la gestion de problèmes. Mon rôle c'est d'accueillir les groupes, de gérer certaines équipes, les accréditations presse, les équipes de billetterie... Faire en sorte que tout aille bien sur tous les services. On est sur le pont de 10h à 5h du matin. Tu dors 3/4h par nuit pendant trois jours. Tu marches un peu à l'adrénaline, en fait.

cafébabel : Et ça doit te faire beaucoup de souvenirs…

Alban Coutoux : Oui plein ! Un festival c'est un moment hyper-intense sur trois-quatre jours, où tu fais beaucoup de rencontres, que ce soit parmi les festivaliers, les équipes, les bénévoles, ou même les artistes. Il se passe vraiment beaucoup de choses et ça passe à une vitesse folle.

cafébabel : Et quels sont tes meilleurs et tes pires souvenirs sur ce festival ?

Alban Coutoux : Mes meilleurs souvenirs, c'est des choses toutes bêtes. Quand la première année où j'ai passé un an à bosser sur l'événement s'est terminée, il y a eu à la fois une espèce de soulagement et de vide intense. Un jour avant le début, t'avais tous les téléphones qui sonnaient, et puis tu te retrouves tout seul, et il ne se passe plus rien. C'est un petit coup de blues post-festival, que l'on a plus à force d'expérience. 

Pour ce qui est du pire, on en revient à la météo. Et en termes de fréquentation, des années comme 1997, ont été très dures. Le festival était près de s'arrêter. Et puis en 98 on a réussi à faire l'une des plus belles éditions avec PJ Harvey et Portishead. Cela a un peu été une édition miracle, qui a ressoudé l'équipe. Parce que quand tu pars de très bas, et que tu arrives à une édition comme celle-là, tu reviens vraiment motivé...

En ce qui concerne les souvenirs artistiques, il y en a tellement... Le concert de LCD Soundsystem, en 2007, reste vraiment pour moi un truc incroyable. Il y aussi Sonic Youth qui a rejoué Daydream Nation en 2005. C'était la première fois qu'un groupe rejouait un album en entier sur La Route du Rock. Pendant le concert, on savait quels morceaux allaient suivre donc dès les premières notes, on était à fond ! C'était vraiment très émouvant. Cette année justement, NoTwist va rejouer son album mythique, Neon Golden. J'ai vraiment hâte de voir ça !