Participate Translate Blank profile picture
Image for La Roumanie et les chiens sauvages: tensions politiques sur fond d’héritage communiste

La Roumanie et les chiens sauvages: tensions politiques sur fond d’héritage communiste

Published on

Société

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné, le 26 juillet dernier, la Roumanie pour son incapacité à gérer le problème des chiens errants. Parallèlement, une loi votée par le Parlement suscite la polémique. Elle vise à légaliser l’euthanasie de ces canins, appelés maïdanezi. Comment un tel problème est-il venu se greffer au cœur du débat politique ?

La page des faits divers d’un journal donne souvent un bon aperçu de la société. En Roumanie, par exemple, les cas de morsures graves infligées par les chiens sauvages sont courants. Ils seraient environ 40.000 à occuper les trottoirs de la capitale ce qui permet souvent d’alimenter cette rubrique. Le plus illustre incident concerne celui de Georgeta Stoicescu. En octobre 2000, cette retraitée bucarestoise de 71 ans avait été violemment attaquée par une meute de sept chiens. À la suite de cet incident, son état de santé se dégrada. Elle mourut sept ans plus tard. Son cas fut porté à Strasbourg devant la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme), l’instance saisissable lorsque tous les autres recours juridiques ont été épuisés, celle des « cas désespérés ».

Photo prise en 2009.

Le 26 juillet, la CEDH a rendu son jugement final, le gouvernement roumain est forcé de verser 9.000 euros à la famille de Mme. Stoicescu pour préjudice moral. Strasbourg a observé que : « Le gouvernement n’a fourni aucune indication quant aux mesures concrètes à prendre (...) pour faire face à ce grave problème de santé publique et de menace à l’intégrité physique de la population. » En 2010, 13.200 des 2 millions de bucarestois ont été victimes de morsures.

Un étrange lègue du communisme débattu au sein du Parlement

À l’échelle du pays, ces quelques milliers d’euros d’amendes sont une somme risible. Pourtant, cette décision marque une étape. L’inertie des autorités roumaines est sanctionnée. Ce problème est néanmoins ancien, il remonte à l’ère Ceausescu. Le programme immobilier de l’auto-proclamé « génie des Carpates », consistant à raser 1/5 de la ville pour construire d’immenses logements sociaux, a engendré un effet pervers. Les chiens furent interdits dans les appartements et leurs maîtres se trouvèrent forcés d’abandonner leurs compatriotes canins. Dans l’espoir de mettre un terme au sujet, un texte législatif a été adopté par le Parlement en mai. Suivant la nouvelle procédure, les chiens adultes accueillis dans des refuges qui ne seraient pas « revendiqués ou adoptés » dans un délai de 30 jours pourraient être soit « mis à mort », soit « gardés dans les abris ». Le préfet de Bucarest, Mihai Cristian Atanasoaei, a assuré à l’AFP que ce texte est « démocratique » car la décision d'euthanasier les chiens, ou non,  est laissée à la charge des autorités communales.

L’euthanasie, une option déjà employée

Ce discours flirte avec la langue de bois, mais rappelle surtout que l’euthanasie des chiens est une solution qui a déjà été employée en Roumanie. Bien avant d’arriver à la tête de l’État roumain, Traian Basescu a occupé la mairie de Bucarest. Sa profession de foi de 2001 contient un argument de choc pour les électeurs : il promet d’enrayer la reproduction massive des maïdanezi. Une fois élu, il entame donc un programme de capture, de stérilisation et enfin d’adoption de ces chiens, notamment en partenariat avec la Fondation Brigitte Bardot. Rapidement les associations se désolidarisent du projet et les bucarestois ayant accepté de recueillir les quadrupèdes finissent par les relâcher. Ils ne sont pas adaptés à la vie domestique.

Une société clivée entre « pro » et « anti-chiens »

L’euthanasie finit par être votée au niveau national et ce choix paye. Alors qu’il y avait 200.000 chiens errants au début des années 2000, il n’en resterait plus que 50.000 au moment de l’adhésion à l’Union européenne, en 2007. Le processus est pourtant stoppé par Bruxelles, car déclaré non conforme au règlement de l’organisation supranationale. Retour à la case départ : l’État dépenserait 1,3 millions d’euros par an pour gérer les conséquences et un service hospitalier entier est consacré aux victimes de morsures. La ville se divise désormais entre « pro-chiens » et « anti-chiens ». Mirel Bran, correspondant du Monde à Bucarest, élargit ce clivage à la situation économique du pays : « Le sentiment d'abandon par un Etat corrompu, ressenti par la majorité des Roumains depuis la chute de la dictature communiste il y a vingt et un ans, les pousse à s'identifier à ces chiens errants, victimes eux aussi de la dictature et de la transition qu'a connue la Roumanie dans les années 1990. » Une polémique à multiples facettes.

Photos : Une, SteveMcN/flickr ; Texte, Galerie de photos de Panaromas/flick 1uk3/flickr ; ©Anne-Lore Mesnage ; Vidéo afpfr/youtube