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La révolution musicale venue d’Iran

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Strasbourg

Par Tania Gisselbrecht « The Iranian Dylan is in town!». Voilà comment le New York Times aurait pu annoncer la visite à Strasbourg de l’un des musiciens iraniens contemporains les plus réputés. En effet, en 2007, le quotidien américain n’avait pas hésité à associer Mohsen Namjoo à l’icône nord américaine. Aussi flatteuse soit-elle, cette comparaison masque cependant l’essentiel.

Car derrière ce patronyme méconnu se cache un ovni vocal qui opère un dépoussiérage audacieux des traditions de son pays d’origine. Une démarche qui suscite autant l’admiration que la controverse.

L’image qui restera certainement gravée dans l’esprit des spectateurs d’un concert acoustique unique est celle d’une silhouette longiligne, cerclée d’un halo de lumière, béret à la Che Guevara vissé sur une épaisse crinière argentée. Etonnamment, ces deux derniers attributs sont quasi-emblématiques de la démarche de l’artiste. Naviguant entre révolution et tradition, cet artiste inclassable bouleverse les codes de la musique persane classique. Lors de ce concert, fans et curieux auront ainsi apprécié un patchwork d’influences musicales éclectique et détonnant. Accents rock, blues, ou folk, emprunts au folklore régional iranien, référence mélodique à David Bowie… rien ne résiste à la capacité de fusion des genres du musicien iranien. Mais Namjoo c’est avant tout une voix incomparable dont la souplesse permet toutes les excentricités. Un instrument à part entière qu’il maitrise avec une dextérité stupéfiante. Mélopée orientale, conversation théâtralisée, onomatopées proches de l’improvisation jazzy, tout y passe. Au cours d’un entretien au lendemain du concert, il affirme d’ailleurs ne pas être le plus talentueux des musiciens. « D’autres maitrisent bien mieux que moi le setar (NDLR instrument à corde traditionnel proche du luth), ou l’écriture ». Interrogé sur la remarquable plasticité de son organe vocal, il explique que celle-ci est le fruit d’un travail intensif entamé à l’âge de douze ans. « Ma voix a la particularité de s’étendre sur près de trois octaves, sur une gamme de 24 à 25 tons, alors que le registre d’un chanteur lyrique professionnel couvre généralement entre 1 et 2 octaves, soit 8 à 15 tons ». A l’instar des interprètes classiques, il chante les vers des grands poètes iraniens. Mais son talent particulier lui permet d’alterner les échelles musicales persane et occidentale d’un verset à l’autre. Plus redoutable encore, il est capable de reproduire ces variations d’échelle d’un mot à l’autre! De la voix de fausset au souffle profond, un timbre inimitable qui vous entraîne dans un voyage riche en émotions.

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Un rebelle musical

Invité à décrire sa musique en trois mots, Mohsen Namjoo cite le théoricien littéraire russe Mikhaïl Bakhtine. « Ironie, dialogue et liberté ». Ironie des textes, dialogue entre emprunts culturels, liberté de création. Voilà les ingrédients de la recette Namjoo. Dépasser une tradition figée n’a pourtant pas été une mince affaire. Ainsi l’étudiant en musique abandonne les bancs de la fac au bout de deux ans, lassé par « le poids des dogmes dans l’atmosphère académique ». « J’ai su très tôt que je voulais accomplir quelque chose dans le domaine de la musique traditionnelle, qu’elle tiendrait une place importante tout au long de ma vie… Mais je voulais accommoder la poésie et la musique traditionnelles d’une façon nouvelle ». Le service militaire marquera une deuxième rupture dans sa pratique musicale. Sous l’influence de ses camarades de chambrée, il découvre le rock et le blues. A partir de ce moment, il n’aura de cesse d’expérimenter ce mariage improbable entre traditions persanes et styles occidentaux. Une œuvre qui restera malheureusement longtemps confidentielle. Sa démarche non-conformiste et décalée lui vaut en effet de nombreux détracteurs. « J’enregistrais énormément dans des studios privés, sans parvenir à obtenir de licence de diffusion des autorités ». Au poids de la censure des autorités s’ajoutait aussi la défiance des gardiens de la tradition musicale classique. L’avant-gardisme ne fait pas l’unanimité auprès des puristes qui accusent Namjoo de dégrader, de caricaturer un héritage millénaire. « Pour les tenants de la tradition, la passion n’a aucune place dans l’interprétation … Moi je suis juste un musicien et j’essaye de créer un son différent».

S’abandonnant à la confidence, le chanteur admet que sa vie privée a terriblement souffert des pressions conjuguées des autorités et de l’arrière-garde musicale. « Pendant des années, personne ne pouvait m’écouter. Je n’avais plus de but, plus d’espoir. Tout s’écroulait ». Puis en 2003, tout bascule. Les salutations inopinées et répétées d’inconnus alors qu’il déambule dans les rues de Téhéran lui font prendre conscience qu’il jouit d’une certaine notoriété. « J’ai longtemps nié cette réalité mais, petit à petit, j’ai compris que je devais cette reconnaissance à internet. » En 2008, après bien des péripéties, il parvient finalement à sortir un album basé sur des textes de poésie traditionnelle. Ironie du sort : quelques mois plus tard, il a l’opportunité de quitter son pays pour prolonger ses études et se confronter à d’autres univers musicaux. Un an plus tard, c’est hors de son pays qu’il apprendra sa condamnation par contumace pour outrage au Coran (http://www.guardian.co.uk/music/200...). Une décision de justice qui lui impose l’exil.

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Tout pour la musique

Les fans de Namjoo admettent volontiers qu’ils admirent leur idole autant pour sa virtuosité vocale que pour son engagement politique. Quelques paroles ironiques, satiriques qui reflètent les frustrations de ses compatriotes et voilà le musicien affublé d’une étiquette tenace de ‘dissident’ qu’il ne revendique guère. « Sur une vingtaine de chansons, je n’ai pourtant que six ou sept morceaux de ce genre. Tout le reste, c’est de la musique expérimentale, de la poésie. » s’étonne-t-il. Le message est clair : « Je mourrai pour la musique mais pas pour une autre cause ! Ma seule obsession, c’est l’échelle musicale, la mélodie. Quand je crée, je ne pense pas au dialogue entre les civilisations par exemple, je ne sais même pas de quoi il s’agit. »

namjoo

Une aura ‘politique’ fatalement alimentée par son statut d’exilé. Pour qui se perçoit avant tout comme un artiste, être classé dans la catégorie « symbole de résistance politique » est un fardeau lourd à porter, admet-il à mots couverts. « En vivant à l’étranger, j’ai découvert que pour les artistes du Moyen Orient la seule façon d’exister sur la scène artistique internationale était de (parler de la situation politique de leur pays), en quelque sorte de se présenter comme un ‘pauvre gars qui vient d’un pauvre pays’. L’industrie de la culture a besoin de produire des histoires de ce genre car elle repose sur du marketing.». C’est l’une de ses multiples collaborations avec sa compatriote artiste Shirin Neshat (http://www.denoirmont.com/biographi...) qui lui a ouvert les yeux. « En découvrant la couverture médiatique portant sur l’œuvre à laquelle je contribuais, j’ai compris que celle-ci reposait sur le concept d’exil. » Mais pour Namjoo rien de tragique dans son ‘exil’. « C’est juste un changement, une nouvelle vie, de nouvelles expériences, de nouvelles sources d’inspiration ». « Tu ne vis pas en exil » répétait-il à Shirin Neshat, car « le mot recouvre de nombreuses interprétations. On peut être en exil lorsque l’on est incarcéré, lorsque l’on survit dans des conditions difficiles. Certes ma famille me manque mais nous vivons dans un pays libre, et nous pouvons nous exprimer. Ce n’est donc pas un exil. Le seul problème, c’est que je ne suis remarqué qu’à cause de mon statut d’artiste ‘exilé’ !».

Alors Dylan iranien ou pas ? Il avoue que la comparaison l’a d’abord fait sourire « car musicalement elle est incorrecte. Lui a surtout interprété de la country. Pour moi, il est avant tout un brillant parolier. Mais il faut être fier d’une telle comparaison !».

Mohsen Namjoo se produisait à Strasbourg dans le cadre de la quinzaine culturelle iranienne qui a lieu du 11 au 24 mars 2013. Le programme complet des manifestations est disponible sur http://www.semaineiranienne.eu/

Crédits photos : © Babak Payami - Mohsen Namjoo official website