La realpolitik en 2013 : un être en « et moi »
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Cécile VergnatImaginez un monde où la politique ne se conduit que par les réseaux sociaux. Qui sont les gens qui la véhiculent ? Nos profils virtuels remplaceront-ils nos vrais visages pour diffuser nos actions ? La selfie politics est-elle une réalité aujourd'hui ? Nombreux sont les politiques qui se délient des partis et essaient de faire campagne, seuls. Chronique d'une histoire en plus de 160 caractères.
Il prend son smartphone et tweet : « 7 h 00, bon réveil, jus d’orange et pain au chocolat ». En s’habillant, il trouve des tracts dans sa poche, déjà décolorés. Son bureau de presse les a imprimés quelques heures auparavant. Il est furieux. Comment pouvait-on imprimer des tracts d’aussi mauvaise qualité ? Il décide immédiatement d'appeler ses hommes de main. Mais à cause de ses doigts encore mouillés par l’eau utilisée pour laver son profil feisbuk, il n'arrive pas à composer le numéro. Il s’essuie rapidement les mains tout en mangeant des biscottes, un bout de confiture tombe malencontreusement sur l’écran de son smartphone. Encore furieux, il peste contre son équipe d’organisateurs puis s'écrie : « ça suffit ! Que Zwackenberg m’abatte, dès que je sors de mon mur je licencie tout le monde ».
Arrivé place de la Républog, il entre au siège de son parti et réprimande tous les bénévoles chargés d'organiser sa campagne électorale. Il voit une mouse s’éclipser le long du couloir et avant d’arriver aux toilettes il l'a prend dans sa main. Il relie la queue au premier PC qu’il trouve, sous le regard terrorisé de tous les autres – amis, bénévoles et collaborateurs. D'un simple clic, il efface tout son personnel. Il soupire. Toutes les personnes qui l’ont aidé les mois précédents sont erase. Un sourire sarcastique illumine son visage. Il décide alors de l’immortaliser en un selfie des écoles qu’il publie ensuite sur son mur. Il a finalement un contrôle total sur sa campagne électorale. Sur son destin aussi. Désormais, seul le congrès final du parti l’attend. Puis les élections.
En attendant le congrès, il passe les jours suivants tranquillement chez lui, installé dans son fauteuil. Il tient constamment son smartphone en main et tweet sans répit. Il s’est pris en photo dans sa chambre, dans sa salle de bain, pendant qu’il cuisinait : tous les moments sont opportuns. Puis il les envoie à tous ses nouveaux contacts et les insére dans ses albums virtuels. Son profil flicker est saturé. Du coup, il en ouvre deux autres. Gughel vient, entretemps, de bloquer son mail en l’accusant de « spasmmer tout le pays ». La veille du congrès, il est pourtant certain de mener la campagne électorale la plus sociale de l'Histoire.
Le jour du congrès, il se lève de bonne heure, prend son smartphone et tweet : « 7h 00, bon réveil, jus d’orange et pain au chocolat ». En s’habillant, il trouve des notes qui datent déjà de quelques heures : il a oublié de les écrire sur son mur. Il décide immédiatement de poster une photo de lui habillé pour le grand évènement. Mais à cause de ses doigts encore mouillés par l’eau qu’il a utilisée pour laver son profil feisbuk il n’arrive pas à faire grand-chose et photographie donc son buste en coupant la tête. Il s’essuie rapidement les mains et, tout en mangeant une biscotte, un bout de confiture tombe sur l’écran de son smartphone. Il peste contre toute l’équipe d’organisateurs. Puis il s'arrête un instant histoire de réfléchir, avant de partir dans grand fou rire.
Il passe par la rue de l’Agorà, mais contrairement aux autres fois, elle lui semble déserte. Entre les tuits qui virevoltent et quelques messages audio que l'on peut entendre au loin, il se sent soudainement seul. Tout à coup, à quelques mètres de là, il lui semble avoir vu un tumbler ouvert. Il s’approche d’un pas ferme et d’un air assuré lorsque le propriétaire baisse brusquement son volet. En guise de réponse, il l’insulte et décide de lui laisser un commentaire déplaisant sur son blog. Il réajuste sa veste, prend sa respiration et, prenant conscience de toute la désolation que cela suggère, tourne les talons puis prend le même lien pour la place de la Républog.
Arrivé au siège de son parti, il aperçoit une souris qui s’éclipse dans le couloirs. Il n’y a personne. Même la grande place sur laquelle donne l’édifice est déserte. Demeurent seulement des chiens errants et des renards aux yeux luisants qui rôdent comme des ombres sur le goudron. Il se sent soudainement vidé et sa tête commence à tourner. Où sont donc tous ses partisans ? A qui va-t-il réciter son discours final ? A-t-il fait quelque chose de mal ? « Impossible », pense-t-il. « Une campagne plus sociale que la mienne n’a jamais existée», souffle-t-il à son reflet dans le miroir. En réfléchissant à ce qu’il devait faire, il scrute une affiche datant de nombreuses années. Elle représente plusieurs personnes qui marchent, un vieil homme avec un chapeau, une veste à l’épaule, et une main dans la poche guidant la foule. A ses côtés se trouve une femme, un enfant au sein. Il lit la légende : « Quatrième État ». Songeur, il regarde le tableau et l’histoire de décennies semble tout à coup se dérouler sous ses yeux. Il esquisse un sourire sincère et regarde le plafond avec l’air de quelqu’un qui a tout compris. Il ne se sent plus seul. Il se tourne, dos au tableau, le regard vers la fenêtre, le soleil brille sur son visage qui se détache désormais du premier plan du tableau pour demeurer, bien visible, dans l'arrière-plan. Il plonge sa main dans sa poche et de la même façon que les jours précédents, il prend son smartphone, se lève, bénit le retardateur et s’immortalise.
Cet article fait partie d'un dossier de fin d'année consacré au narcissisme et n'obéit donc qu'à l'envie forcément très égoïste des éditeurs de cafébabel de publier enfin ce qu'on leur a toujours refusé d'écrire.
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