La quenelle de Dieudonné : le bras de fer français
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L’humour trash et controversé de l’humoriste français Dieudonné, condamné plusieurs fois pour injure et provocation à la haine, continue de faire polémique dans l’Hexagone. Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, a récemment annoncé sa détermination à interdire les spectacles de Dieudonné. Et pendant ce temps-là, « la quenelle » continue d’enflammer le Web parmi les partisans du comique.
Qu'est-ce que la quenelle ?
Officiellement : un geste du bras popularisé par Dieudonné, il y a une dizaine d’années dans ses spectacles, et qui consiste à placer le bras tendu, paume de main vers le bas, en plaçant son autre main sur l’épaule. Un signe de ralliement à la Dieudosphère. Officieusement : au mieux, un bras d’honneur modifié pour « glisser une quenelle » à un anti-système. Au pire, un salut nazi détourné. Et quand on sait que le petit jeu douteux des fans est de se prendre en photo devant des symboles de la culture juive, comme une synagogue, là c’est carrément haineux.
Dans son article « Quenelle, comment un geste antisémite est devenu un emblème », Le Monde revient sur les origines de ce mouvement : « S'il est difficile de dater les origines exactes de la quenelle, sa première utilisation remonte aux élections européennes de 2009. Il avait alors expliqué sa démarche lors d'une conférence de presse au Théâtre de la Main d'or, à Paris : "Glisser une petite quenelle dans le fond du fion du sionisme". Sur l'affiche de campagne, où il pose avec l'idéologue d'extrême droite Alain Soral. » Le Figaro y va aussi de son histoire : « Il y a dix ans, en 2003, c'est l'époque où Dieudonné provoque l'un de ses premiers scandales à caractère antisémite. Sur France 3, il y apparaît vêtu d'un treillis, en cagoule, avec des papillotes et un chapeau de juif orthodoxe sur la tête. À la fin du sketch, il lève le bras et lance : " IsraHeil ! ". L’humoriste lui-même ne cache pas ses intentions : c’est "un symbole d’insoumission au système" qui "balayera les élites du mensonge" et qui servira "une révolution" voire même "un coup d’État". Une théorie du complot en puissance à voir dans cette vidéo Youtube.
la quenelle en mug et en t-shirt
Le geste, réputé antisémite, a tour à tour embrasé l'armée, le milieu du sport et de la télévision. A l’image de ces célébrités qui exécutent ce « gimmick à la mode », sans même savoir ce qu’il signifie, prenons l’exemple du basketteur français Tony Parker ou de Yann Barthès (présentateur télé à la mode de chez nous, ndlr) qui s’est depuis platement excusé affirmant, sur son compte Twitter, qu’à l’époque il ne connaissait pas la signification de ce geste. Des anonymes surfent aussi sur la vague de la quenelle. Et coulent à pic. Nabil se serait-il fait piéger ? L’éducateur interviewé par Rue89 et proche des idées de l’humoriste, selon ses propres révélations, a perdu son emploi après avoir posé en mode Dieudonné devant des enfants dont il avait la garde. Il voyait « la quenelle comme une blague ».
Persona non grata dans les médias depuis plusieurs années, Dieudonné s’est construit une puissante communauté de fidèles sur Internet à grands coups de provocation. Pour ce qui est de la quenelle, en plus des signes et du site officiel qui recense les meilleures photos, elle se décline aussi en t-shirts, logos détournés et autres objets estampillés. « Elle est devenue une unité de langage. La voici parodiant le logo de Facebook, "réseau social sioniste" (...)», affirme la Toile. Adepte des références culinaires, Dieudonné ne s'est pas arrêté à la quenelle. Dans son délire sioniste, il a fait de l’ananas un autre symbole que le profane ne comprend pas au premier coup d’œil. Voilà ce qu’on peut lire dans un reportage de Slate sur « Le Bal des Quenelles », autre trouvaille de l’humoriste pour regrouper ses moutons : « Quant à l’ananas, décliné tout au long de la soirée sous de multiples formes (ananas frais au buffet, fresque géante devant la salle, t-shirts souvenir, déguisements, etc.), il est omniprésent pour rappeler la cause de la condamnation de l’intéressé pour provocation à la haine : la chanson Shoananas, qu’il reprend en cœur avec son public lors de chaque spectacle, sur l’air de la chanson Chaud Cacao d’Annie Cordy (Dieudonné a fait appel du jugement). »
Pas convaincu ?
Il ne suffit, pour cela, que de lire le témoignage d’un journaliste de l’AFP qui a eu la bonne idée de se rendre au théâtre de la Main d’or, propriété de l’humoriste et seul lieu où il peut encore se produire, pour en juger de ses propres yeux. Quelques extraits de son article : « Dans le théâtre, un mur de «quenelles» accueille le spectateur. Des photos du geste sont "glissées" par des anonymes, devant une pancarte "Shoah"… » Ou encore : "Arrêtez avec l’antisémitisme... Vous me faites de la pub. Je ne dis pas que je ne le serai jamais. Je me laisse un temps de réflexion." » Le témoignage du journaliste qui a été repris dans plusieurs médias est unanime : « Sur les 75 minutes que dure le spectacle, il ne s’en passe pas cinq sans une charge contre "les juifs", "la juiverie", "kippa city", "le maître esclavagiste banquier" ».