« La qualité du cinéma européen est en baisse »
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juliette lemerleBarry Norman, célèbre auteur et critique de film britannique, nous fait part de son opinion sur le cinéma européen.
Qu'est-ce qui différencie le cinéma européen du cinéma américain?
La différence essentielle entre l’Europe et les Etats-Unis vient du fait que, sur le vieux continent -exception faite de la Grande-Bretagne-, le cinéma a toujours été considéré comme une forme d’art. De leur côté, les Américains considèrent le cinéma comme un business. Cependant, ce clivage tend s’estomper peu à peu.
Y’a-t-il selon vous des tendances dominantes dans le cinéma européen, que ce soit dans le choix ou dans le traitement des sujets ?
La succès des films américains au box-office a eu, semble-t-il, un effet négatif sur le cinéma européen. Autrefois, les films européens étaient réputés pour leur sophistication, leur subtilité, leur approche spirituelle et perspicace des relations humaines, sexuelles ou autres. L’intrigue émanait des personnages, et non du scénario. Ce cinéma s’adressait à un public plus adulte. Aujourd’hui, le choix du public se porte davantage sur les films américains, plus simples et truffés d’action. Cela a conduit le cinéma européen à s’orienter vers les méthodes hollywoodiennes, qui privilégient le style sur le contenu et confondent action et mouvement (effervescence, explosions, poursuites). Pourtant, l’action devrait être générée par les personnages plutôt que par le scénario. Les films européens semblent désormais adopter une vision plus large, moins élaborée, moins subtile ; autrement dit, le niveau baisse dans l’espoir d’attirer un public de masse. (Cela vaut aussi pour les films britanniques, à l’exception du travail réalisé par des personnes comme Mike Leigh ou Ken Loach).
Parmi les films européens en salle actuellement, quels sont les plus novateurs, ceux qui sortent du lot?
Je ne vois rien de franchement innovant en ce moment. Il y a certes d’excellents films comme Vera Drake, de Mike Leigh, La Mauvaise Education, de Pedro Almodovar, ou Les Choristes, de Christophe Barratier. Mais il est difficile, voire impossible, de trouver des réalisateurs aussi novateurs qu’ont pu l’être Godard, Truffaut, Tarkovsky, Kieslowsky, Wenders, et bien d’autres encore. Le film le plus avant-gardiste de l’année 2004 est peut-être Eternal Sunshine of the Spotless Mind. C’est d’ailleurs un film américain, même si son caractère novateur vient en grande partie de son réalisateur français, Michel Gondry.
Sur quels réalisateurs et acteurs faut-il garder un œil en 2005 ?
Pour les acteurs, il y a bien sûr Audrey Tautou, qui est une étoile montante. Mais à en juger par les films européens présentés en Grande Bretagne, aucune nouvelle star de l’envergure de Jean-Paul Belmondo ou Jeanne Moreau ne se profile à l’horizon.
En ce qui concerne les réalisateurs, il faudra garder un œil sur des personnes comme Michel Gondry, Pedro Almodovar, Jean-Pierre Jeunet, François Ozon, Agnès Jaoui, André Techiné et Christopher Nolan.
Mais il est toujours difficile de prévoir quel acteur ou quel réalisateur laissera une impression durable. Pour le moment, l’Europe a plutôt l’air de faire du sur place, et aucun nouveau talent ne se démarque vraiement.
Va-t-on voir arriver plus de films d’Europe de l’Est grâce au récent élargissement de l’Union européenne ?
Il est certain qu’avec l’élargissement, nous allons voir davantage de films en provenance de ces pays. Auparavant, le plus gros problème des pays de l’Est était de trouver des distributeurs occidentaux. Cela va certainement changer. Mais il est encore trop tôt, à mon avis, pour évaluer l’impact que cela aura sur l’ensemble de l’industrie cinématographique européenne. Cela va dépendre en grande partie de la qualité des films de cette région. Par exemple, si les cinéastes polonais restent influencés par l’esprit de personnes comme Kieslowsky et qu’ils parviennent à faire des films intelligents et adultes, pour un public intelligent et adulte, cela aura certainement un effet bénéfique sur le cinéma d’Europe de l’Ouest. L’avenir nous le dira.
Translated from Barry Norman on European Cinema