La psychiatrie française, grand corps malade de l’Europe ?
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Au lendemain de la mort d'un étudiant poignardé par un schizophrène « évadé » d’un hôpital psychiatrique, l’hyperactif président Sarkozy exigeait une « réforme en profondeur » de la psychiatrie. Moins de trois semaines plus tard, le 2 décembre, ladite réforme était déjà annoncée…
Une réforme au parfum d’avant-guerre. Au programme : un durcissement de l’hospitalisation sous contrainte et la « sécurisation » des établissements psychiatriques. Le président prévoit notamment d’allouer 30 millions d'euros pour « mieux contrôler les entrées et sorties », équiper certains patients de systèmes de localisation par satellite ou aménager de nouvelles chambres d'isolement. Quatre unités pour malades difficiles seront créées en plus des cinq déjà présentes en France. On l'entend partout, la psychiatrie française va mal. Elle doit surtout faire face à ses contradictions.
Hospitalisations en hausse, moyens en baisse
En loi française, le préfet peut décider l’hospitalisation d’office au vu d’un certificat médical, lorsque les troubles mentaux du patient menacent la sûreté des personnes ou portent atteinte à l’ordre public. L’hospitalisation à la demande d'un tiers nécessite quant à elle seulement deux certificats médicaux. Depuis 1992, l’ensemble de ces hospitalisations sans consentement a plus que doublé en France, dépassant 70 000 par an. Soit trois à quatre fois plus qu'au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie.
Or, si son ratio de 90 lits pour 100 000 habitants continue de placer la France au-dessus de la moyenne européenne (source Eurostat), ce sont plus de 50 000 lits qui ont été supprimés en vingt ans. Face à la multiplication des demandes d’hospitalisations et la contraction des ressources hospitalières, les professionnels déplorent les conditions toujours plus difficiles de l’exercice de leur métier : « On pratique de plus en plus une psychiatrie de turnover », s’indignait Nadia Missaoui, infirmière, dans un article du Monde, le 21 novembre dernier.
Prise en charge inadaptée en France
Les hospitalisations deviennent de plus en plus courtes, alors que les traitements mettent plusieurs semaines à agir : avant même d’être stabilisés, les patients sont mis dehors. Et, trop souvent, s’enlisent dans un cercle vicieux hôpital-rue-prison. On estime que moins de 5 % des Français souffrent de troubles psychiatriques chroniques, contre 25 % des sans-abri et 20 % des détenus. Autant de malades insuffisamment pris en charge.
Dans un rapport publié en décembre 2007, le comité européen de prévention de la torture (CPT) a ainsi qualifié de « dramatique » l’état de la psychiatrie pénitentiaire en France. Ce comité d'experts du Conseil de l'Europe dénonce notamment le fait que les détenus qui « souffrent de décompensations psychotiques graves » sont souvent placés en quartiers d'isolement, voire en quartiers disciplinaires. Il fait mention de patients contraints de rester nus dans une cellule d'isolement pendant deux à sept jours, sous les yeux du personnel pénitentiaire, en attendant de pouvoir être hospitalisés.
« On pratique de plus en plus une psychiatrie de turnover »
Dans ce contexte, l’approche sécuritaire du président méprise ouvertement les attentes des malades comme des soignants, en déshumanisant davantage la psychiatrie sans consentement. Il faut savoir que les permissions de sortie sont déjà largement encadrées, nécessitant l’accord du psychiatre en charge, ainsi que du préfet s’il s’agit d’une hospitalisation d’office. « Au départ, les sorties d’une journée se font dans le milieu familial ou accompagnées par un soignant. Si cela se passe bien, le patient peut être autorisé à sortir seul mais toujours de manière très progressive », explique le professeur Jean-Louis Senon, président du collège de psychiatrie médico-légale à la Fédération française de psychiatrie. Ces permissions contribuent à la réinsertion graduelle du patient dans la société.
Ces sorties seront rendues plus difficiles : le préfet décidera de la sortie des malades en hospitalisation d'office après avis d'un « collège de trois soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier qui connaît la personne et ses habitudes, et un psychiatre qui ne suit pas le patient ».
Les malades mentaux : « racaille » de l’imaginaire collectif
Ce durcissement global de la psychiatrie institutionnelle traduit un amalgame dangereux entre malade et délinquant. Même Maître Gerbi, l'avocat de la famille de Luc Meunier, l’étudiant tué le 12 novembre par un schizophrène en fugue, a fait savoir que « le drame de la famille Meunier ne peut servir de prétexte à une réforme finalisée dans l'urgence et dans l'émotion oubliant de signaler que tous les malades psychiatriques ne sont pas dangereux. »
En effet, les statistiques criminelles ne justifient pas, loin de là, un emballement sécuritaire. Dans un rapport remis au gouvernement français en mars 2005, la Commission « violence et santé mentale » soulignait déjà que « dans l’imaginaire dominant, la maladie mentale a toujours été associée à la violence (...). En fait, le risque attribuable aux personnes malades mentales (le pourcentage d’actes violents qui peuvent leur être attribué) est faible. Les taux estimés par des études épidémiologiques varient entre 2,7 % et moins de 10 %. » Il y a donc peu de raisons de craindre les fous. Si la France continue de viser l’impossible « risque zéro », c’est davantage pour nos libertés qu’il faut s’inquiéter.