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La presse tunisienne assassinée, l'Europe complice

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Les médias tunisiens, face à la répression, se retrouvent aux ordres du pouvoir. Ce qui arrange bien les Européens, qui préfèrent un régime ferme qui laisse les mains libres à leurs multinationales.

Il est midi. Le quartier Lafayette, dans le centre ville de Tunis, est quadrillé, ce samedi 27 mars. Des dizaines d’agents de la police politique interdisent aux passants l’accès à toutes les issues menant à la Maison de la Radio et de la Télévision Tunisienne (RTT). Les instructions données sont strictes : empêcher que se tienne le rassemblement auquel a appelé le Comité de liaison pour une information libre, composé des représentants de l’opposition démocratique et des associations pour protester contre la politique officielle en matière d’information. Mais, en dépit de cette démonstration de force policière, quelques dizaines de militants ont réussi à parvenir jusqu’au lieu du rassemblement, défiant les policiers massés en grand nombre à quelques dizaines de mètres de la RTT. Des slogans appelant au respect du droit à une presse libre et dénonçant le fascisme sont alors scandés. La police intervient avec la sauvagerie à laquelle elle est accoutumée, cherchant à disperser les militants. Le rassemblement s’est alors mué en manifestation de rue. Les citoyens qui passaient par là étaient refoulés d’une façon brutale afin d’empêcher qu’ils se joignent à la manifestation. Le message est passé.

On achève bien la presse

Depuis que les Tunisiens regardent les chaînes de télévision par satellite, leur dépit est grand face à une télévision nationale qui continue à débiter des mensonges et à cacher les vrais problèmes que vit le peuple, dont le pouvoir d’achat ne cesse de se détériorer et dont les droits sont de plus en plus spoliés. C’est dire l’importance que prend le cri lancé par les manifestants pour des médias qui dévoileraient leurs vrais problèmes et qui auraient, surtout du respect pour leur intelligence. A vrai dire, la situation de la presse en Tunisie n’a cessé de se détériorer. Quelqu’un a rappelé, à juste titre, que si, en Algérie on tue les journalistes, en Tunisie, on a, tout simplement, achevé la presse. Celle-ci a d’ailleurs rendu l’âme depuis la disparition de titres comme le Phare, le Maghreb, el Badil et el Fajr, et l’incarcération des directeurs de ces trois derniers journaux. Depuis, certains journalistes ont accepté de se convertir à l’ordre nouveau, tandis que d’autres ont préféré aller servir dans les médias étrangers.

Face à cette situation dramatique où un peuple est contraint au silence, on comprend les raisons qui poussent à museler la presse. Une presse libre ne pourrait-elle pas informer sur les nombreuses morts sous la torture dans les locaux du ministère de l’Intérieur, les postes de police et les prisons ? N’informerait-elle pas sur les lourdes peines, prononcées à la suite de procès iniques, contre des militants attachés à leurs opinions ? N’évoquerait-elle pas le lourd problème de la corruption et la mise à sac des richesses du pays par la famille régnante et ses proches serviteurs ?

Rewriters des dépêches du régime

L’assassinat de la presse s’avère donc être, pour un régime politique dictatorial une nécessité et une garantie de survie. Le journal, la radio et les chaînes de télévision ne sont plus des moyens conçus pour informer sur ce qui se passe, mais sur ce qui devrait passer pour blanchir un Etat corrompu et ennemi de la société civile. Un Etat dont les faits d’arme sont le muselage des associations et la mise au pas d’organisations telle que l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT).

Les journalistes tunisiens qui ont désespéré de pouvoir ruser avec cette situation se voient réduits au rôle de rewriters des dépêches des agences de presse. Le profil du journaliste investigateur, critique et créatif a, ainsi, disparu, laissant la place au journaliste zélé et, parfois, auxiliaire du ministère de l’Intérieur. Aussi, comprend-on que, face à ce déni d’information, l’Association Tunisienne des Directeurs de Journaux s’est vue exclure de l’Organisation Mondiale des Journaux en mai 1997. De même, la FIJ (Fédération Internationale des Journalistes) a décidé au début du mois de mars dernier d’exclure de ses rangs l’Association des Journalistes Tunisiens après s’être assurée que cette organisation a failli à son devoir. Depuis 1998, le Comité International de protection des journalistes place régulièrement Ben Ali parmi les dix premiers chefs d’Etat et de gouvernement les plus hostiles à la liberté de la presse. Dans son rapport annuel, Reporter sans frontières range régulièrement la Tunisie dans la zone noire, celle où la liberté de la presse est la moins respectée. La Tunisie se trouve, ainsi, classée loin derrière des pays comme le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire...

Ne pas gêner les intérêts des multinationales

Or, malgré cette situation, des pays comme la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne continuent à estimer que le bilan de Ben Ali en matière des droits de l’homme est positif. Mais, comment expliquer les positions de chefs d’Etats représentant des régimes qui se disent démocratiques, sinon que les intérêts économiques de leurs pays sont mieux servis par des Etats musclés, capables de leur garantir la meilleure exploitation des richesses locales. Que deviendraient les intérêts des pays riches si, dans les Etats dépendants les syndicats étaient capables de gêner les intérêts des multinationales, si des partis politiques indépendants pouvaient remette en cause des traités injustes et si une presse libre était là pour informer les peuples des voies dangereuses dans lesquelles on les engage ?

Ainsi, la manifestation du 27 mars dernier prend-t-elle son sens. Ce sens, les autorités l’ont compris. Aussi, ont-elles frappé dur comme à leur habitude.