La présidence de l'UE : bicéphale ou schizophrène
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Un président, deux présidents : la pauvre Union est déchirée entre le fédéralisme et l’emprise des Etats.
La crise diplomatique liée à la situation en Irak, et le conflit qui s'ensuivit mirent en lumière de façon pour le moins dramatique l'indigence de la politique européenne de sécurité et de défense, et plus prosaïquement l'absence totale d'une diplomatie européenne. Alors que l'article 19 du Traité de l'Union européenne – ratifié, faut-il le rappeler, par les Quinze - prévoit que les représentants des pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU doivent se concerter avec les autres États de l'Union européenne sur les positions diplomatiques à adopter, nous avons assisté, impuissants, aux prises de position les plus divergentes de la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie, pour ne citer que les plus grands États membres, sur la crise irakienne.
On reproche fréquemment à l'Union européenne son manque de légitimité, voire de crédibilité : la crise que nous venons de vivre est sans conteste la preuve que ces analyses peuvent être fondées. Pour que l'Union européenne devienne un acteur qui pèse sur la scène internationale, pour qu'elle soit un véritable contrepoids à l'hyper puissance américaine, elle a besoin d'une seule voix, d'un seul visage qui s'exprime au nom des 380 millions de citoyens européens.
Depuis le sommet de Laeken qui a donné à la Convention pour l'avenir de l'Europe le mandat de penser, et de repenser, les institutions afin que l'Union soit plus efficace et puisse affronter l'immense défi que constitue l'intégration de dix nouveaux pays à partir du 1er mai 2004, les propositions relatives à la présidence de l'Union se multiplient.
A 25, un pays n’a la présidence que tous les 13 ans
En effet, l'actuel système déjà imparfait ne peut perdurer : le Conseil Européen et le Conseil des ministres sont présidés pendant six mois par le chef d'État ou de gouvernement d'un des Quinze pays de l'Union. Or, six mois, c'est insuffisant pour mettre en œuvre des chantiers ambitieux : la plupart des présidences ne font que poursuivre ce qui a été fait, en donnant l'impulsion sur tel ou tel sujet selon leurs priorités. Mais six mois, c'est également très long lorsque l'on pense que, à vingt-cinq, un pays comme la France n'aura la présidence que tous les treize ans. Le principe de la présidence rotative du Conseil, déjà très difficile à quinze, n'est plus du tout concevable à vingt-cinq.
De plus, le peuple européen doit être incarné aux yeux des nations du monde par une personnalité européenne prestigieuse, et non selon les aléas d'un calendrier. Dès lors, les propositions visant à pallier ce déficit de légitimité et d'efficacité se sont multipliées. Une des premières et des plus célèbres est la proposition A, B, C, de Aznar, Blair et Chirac. Cette proposition prévoit l'élection d'un Président de l'Union par le Conseil européen pour une période deux ans et demi ou de cinq ans. Outre le fait que le rôle de ce Président devrait être celui de la Présidence actuelle – organisation et préparation des travaux du Conseil européen, proposition des grandes orientations de la politique de l'Union - cette offre n'était pas dénuée d'arrière-pensées puisque certains des co-auteurs de cette proposition se voyaient bien dans le rôle dudit Président de l'Union. Cette proposition, dans la droite ligne de la tradition intergouvernementale reçut un accueil très peu chaleureux de la part des "petits" pays qui se voyaient ainsi durablement éloignés de la présidence.
Un compromis proprement fou
L'autre idée qui a eu un très large écho est la proposition Chirac-Schröder de double présidence. Partant du constat qu'il existe depuis les débuts de la construction européenne deux traditions, l'une intergouvernementale et l'autre fédérale, les tenants de ces deux méthodes si différentes l'une de l'autre ont cru trouver une solution pour parvenir à un compromis acceptable. Quelques jours avant la célébration du traité de l'Elysée, Jacques Chirac, partisan de l'intergouvernementalisme, et Gerhard Schröder, fervent défenseur du fédéralisme dans la plus pure tradition allemande ont trouvé un accord : Chirac voulait que le Président soit élu par le Conseil européen ; Schröder voyait dans le Président de la Commission élu par le Parlement européen le seul Président de l'Union possible. Ils se mirent donc d'accord sur l'idée d'une présidence bicéphale de l'Union. Proposition qui bien évidemment fit bondir les véritables Européens. Comment concevoir que les institutions européennes seraient plus lisibles, plus efficaces avec à leur tête deux présidents dont les fonctions ne pourraient manquer de se chevaucher : quel serait celui qui prendrait à terme le pas sur l'autre ?
Outre le fait qu'il est proprement fou que les deux chefs d'État ou de gouvernement aient cru trouver la solution à leurs divergences avec ce "compromis", cette proposition est proprement ridicule. Pour nous français qui avons connu la cohabitation et ses méfaits, comment vouloir transposer cela au niveau européen ? Kissinger aurait toujours le même problème à savoir quel est le numéro de téléphone de l'Europe : comment gagner crédibilité sur la scène internationale avec un tel dispositif ?
La problématique de la présidence de l'Union pose en réalité la question même de la nature de l'Union européenne que nous souhaitons. Être partisan d'une Union des États et non des peuples pousse naturellement vers une présidence de l'Union par le président du Conseil élu par ses pairs, laissant à la Commission la seule fonction d'exécution. Être favorable à une Europe communautaire intégrée plaide pour un Président de l'Europe qui soit le Président de la Commission. Il faut une voix et une seule en Europe, afin que les citoyens puissent s'y identifier, et que l'Union gagne en lisibilité.
En tant qu'européenne convaincue et partisane d'une intégration beaucoup plus importante, je suis naturellement favorable à une Présidence de l'Union par le Président de la Commission européenne. Bien évidemment, il ne suffit pas de dire cela : il faut également redessiner le contour des institutions actuelles. Je suis favorable à la transformation progressive de l'actuel Conseil en une chambre des États, à l'image du Bundesrat allemand, qui aurait la fonction d'une chambre haute (pouvoir législatif, participation à l'élection du Président de l'Union,…). Proposition qui certes, aura du mal à convaincre les grands pays soucieux de préserver leurs prérogatives : mais a-t-on fait l'Union européenne pour conserver la dichotomie grands/petits pays ?
Ce dispositif nécessite des aménagements institutionnels et des changements de mentalités. Mais à l'heure de la Convention sur l'avenir de l'Europe, n'est-ce pas le moment ou jamais ?