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« La Pologne est un pays beaucoup trop méconnu »

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RawVarsovie

Correspondante à Varsovie pour différents médias français, Maya Szymanowska a écrit un livre, Les Polonais Audacieux, fruit de ses nombreux allers-retours dans le plus grand État du bloc de l’Est. Née à Varsovie, la journaliste franco-polonaise raconte en plusieurs histoires les mutations d’un pays qui a décidé de mener des réformes à grand train. Trop ? Interview culottée. 

cafébabel : En quoi les Polonais seraient-ils audacieux ?

Maya Szymanowska : Par rapport à l’atmosphère de sinistrose qui règne en Europe de l’Est quant au marché économique par exemple, la Pologne fait figure d’ovni avec son taux de croissance à 3,5%. Mais c’est surtout l’ambiance qui m’a frappée. Quand tu lances une idée en France, il faut la préparer, l’analyser. En Pologne, plus elle est folle, plus elle suscitera l’enthousiasme. Ensuite, je voulais réagir aux clichés dont les Polonais font l’objet : ils seraient antisémites, cathos... En réalité, c’est une société qui bouge énormément. La société civile est très dynamique. Bref, c’est une autre Pologne que je voulais présenter.

cafébabel : Tu décris les changements que tu observes à mesure de tes allers-retours à Varsovie. À quel point la ville a-t-elle changée ?

Maya Szymanowska : C’est comme si un film passait du noir et blanc à la couleur. Je reviens beaucoup à Noël pour voir ma famille. Chaque fois que j’y retourne, j’ai l’impression de voir une nouvelle carte postale qui prend de la couleur. En 1990, à Varsovie, il n’y avait qu’un distributeur de billet et trois cafés. Aujourd’hui, tu as une banque à chaque coin de rue et un centre financier en chantier avec des gratte-ciel. Le dernier film de Jerzy Skolimowski, 11 minutes, présente Varsovie comme le nouveau New-York quand même. Cette ville a énormément changé.  

cafébabel : Est-ce que tout s’est vraiment accéléré dès la fin du communisme ?

Maya Szymanowska : Clairement. Il a peut-être fallu attendre un ou deux ans mais l’élection de Lech Walesa en 90 signe la fin d’une époque. On a d’abord assisté à une phase de libéralisme sauvage, à l’américaine, où l’on parlait même de « Far East ». Puis, entre 99 et 2004, le pays a su réguler son économie. Ce n’était pas simple à l’époque. On parlait énormément de corruption, de collusion entre l’État et les grandes entreprises. La Pologne aurait pu prendre le même chemin que l’Ukraine et devenir une démocratie oligarchique.

Bande-annonce du film '11 minutes' de Jerzy Skolimowski.

cafébabel : La Pologne reste encore très attachée à son passé. Est-ce encore un pays en quête d’identité ?

Maya Szymanowska : Je crois que c’est la grande définition. Je ne sais pas si ce n’est qu’un problème polonais mais en tout cas, ici, c’est patent. Il faut rappeler que la Pologne est un jeune pays, qui n’existe que depuis 1918. Et encore, c'était un pays semi-libre puisqu’en 1945, les Russes ont de nouveau débarqué. La démocratie n’existe que depuis 1989. C’est un pays crispé sur son identité parce qu’il la cherche encore. Ce qui explique beaucoup de tiraillements internes. 

cafébabel : Les gens parlent-ils de cette histoire ?

Maya Szymanowska : Les gens connaissent très bien l’histoire. C’est un sujet de conservation permanent, y compris au sein de la jeune génération. En soirée, on va décortiquer tous les évènements actuels en rapport avec leur passé. Je n’ai jamais vu ça en France. Ils parlent plus de leur passé juif, par exemple. Ils organisent des débats depuis 15 ans de manière très décomplexée où tous les points de vue sont représentés. 

cafébabel : Il y a quand même des crispations, notamment au sujet de l’immigration...

Maya Szymanowska : C’est vrai qu’il ne faut pas oublier la montée inquiétante du conservatisme. Jaroslaw Kaczynski (président  du parti conservateur, Droit et Justice, ndlr) vient de faire une sortie affreuse en disant que les réfugiés allaient emmener des maladies avec eux. Par ailleurs, il existe aussi une frange de la population qui a peur, qui n’a pas profité de la manne européenne et qui est très mobilisée. Ce sont des gens qui vont à l’église, qui sont très disciplinés et qui deviennent en quelque sorte le bras armé des conservateurs. 

cafébabel : À l’inverse, tu insistes beaucoup sur une jeunesse mobilisée, ouverte sur les questions sociales, prête à descendre dans la rue quand il s’agit de ses libertés.

Maya Szymanowska : Les jeunes se mobilisent et descendent dans la rue, mais surtout pour des sujets qui les concernent, comme Internet. C’était particulièrement frappant lors des protestations contre le traité ACTA en 2012 (pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement, un traité international sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle, ndlr). Par -20 degrés, ils se sont rassemblés en masse pour contester l’absence de transparence dans les négociations.

cafébabel : Cette agitation se traduit-elle dans les urnes ?

Maya Szymanowska : Non, car les jeunes ne sont pas représentés. Un élément important : la gauche n’existe pas en Pologne. Elle n’a pas su se reconstituer après la fin du communisme. Il y a simplement une union de la gauche mais d’après les derniers sondages, elle ne rentrerait même pas au Parlement après les élections législatives du weekend prochain.

cafébabel : Qui pourrait incarner leurs revendications ?

Maya Szymanowska : Personne. Et du coup, les jeunes votent généralement pour un mec inconnu. Aux dernières élections présidentielles, les jeunes ont soutenu un ancien rockeur des années 90 (Pawel Kukiz, ndlr). C’est devenu le troisième du paysage politique, juste parce qu’il était différent et qu’il ne venait pas de la classe politique traditionnelle.

cafébabel : On parle de plus en plus de Razem, présenté comme « le Podemos polonais ». Il ne pourrait pas symboliser le changement selon toi ?

Maya Szymanowska : Oui, oui... mais à petites doses. Mais c’est comme les écolos en France, les membres ne s’entendent pas. Les chamailleries internes empêchent leur avancée. Un leader peine à émerger.

cafébabel : La Pologne a rejoint l’UE en 2004. Comment juges-tu l’image du pays en Europe plus de 10 ans après son adhésion ?

Maya Szymanowska : Inexistante. Bon, en Allemagne, des sondages montrent qu’ils ne sont plus assimilés à des voleurs de voitures, c'est déjà bien. Mais ailleurs, on ne parle jamais de la Pologne. Je crois que c’est un pays très méconnu. On ne parle du pays qu’à travers des stéréotypes. C’est dommage. Il fut un temps où les relations avec la France étaient plus fortes. La classe politique parlait français, les échanges culturels étaient beaucoup plus fréquents...

cafébabel : Sur la scène européenne, on a l’impression que le pays pèse tout de même un peu plus. Donald Tusk (ancien premier ministre, ndlr) est président du Conseil européen, la Pologne est parfois présentée comme un nouvel eldorado économique...

Maya Szymanowska : Oui, vis à vis de l’Europe, on ne peut pas le nier, les Polonais sont clairement europhiles. Le problème c’est qu’ils ont besoin d’idéaux. Et l’Europe est perçue comme un organisme purement économique. Du coup, la population se crispe beaucoup sur son identité et l’État nation reste plus important que le reste. 

cafébabel : Quel rôle le pays est-il amené à jouer au sein de l’UE ?

Maya Szymanowska : Malgré tout, je pense que la Pologne est en train de vivre une nouvelle mutation. Sur le plan économique, elle suscite beaucoup d’intérêt. J’ai rencontré beaucoup d’entrepreneurs étrangers qui sont très contents de l’activité du pays. Ils trouvent que les Polonais sont travailleurs, qu’ils parlent bien anglais, que le niveau de diplôme est en moyenne très élevé pour des salaires qui ne le sont pas. La Pologne est devenue l’atelier de l’Europe.

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Le 25 octobre 2015, la Pologne votera son nouveau Parlement. Cet article fait partie d’une semaine spéciale polonaise. L'occasion d'en savoir plus sur le pays de la Vistule, de Polanski et des cornichons. 


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Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.