La peur selon Jan Gross
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julie strozUn essai défraie la chronique en Pologne. Son auteur, un américain d'origine polonaise, y décrit l'antisémitisme d'après-guerre. Une thèse qui n'est pas du goût de tous ses lecteurs. Débat entre mémoire et histoire.
Aujourd’hui encore, Jan Gross voit de nouveau son nom apparaître sur la Une des journaux. Son dernier livre intitulé La peur. L'antisémitisme en Pologne au lendemain de la guerre. Une histoire de faillites morales réveille d’ardentes polémiques dans les églises polonaises, les cercles d’historiens et les médias. Professeur américain aux origines polonaises, cet auteur avait déjà publié en 2000 le très controversé Les Voisins, un livre passionnant sur la ville de Jedwabne dans laquelle, en 1941, les Polonais, inspirés par les Allemands, avaient brûlé des centaines de juifs.
La peur avait déjà été critiqué il y a deux ans, lors de sa sortie aux États-Unis. Au fil des pages, Gross y accuse les Polonais d’antisémitisme et s’appuie sur des exemples de violences commises envers les Juifs avant et juste après la seconde guerre mondiale, avec une attention particulière apportée au pogrom de Kielce.
Manque de rigueur journalistique
Selon lui, cette haine est née de la peur que les Polonais ont ressentie envers les Juifs survivants qui rentraient chez eux en 44. Les Polonais avaient, en effet, fait main basse sur leurs biens et portaient la culpabilité d'un tel comportement. Gross émet également des reproches en direction de l'église polonaise et la thèse selon laquelle l’antisémitisme d’après-guerre plonge ses racines dans l’immense influence qu’avaient les Juifs au sein du pouvoir communiste.
Suite à la sortie de l'ouvrage, les répliques ne se sont pas faites attendre. Reproche fondamental que les historiens avancent à l’adresse de Gross dans les médias : des recherches historiques insuffisantes. Ses détracteurs l’accusent de donner à son travail journalistique une apparence scientifique et dénotent une certaine « nonchalance dans la présentation des faits et des chiffres ». Ils lui reprochent aussi de ne citer que les parties de témoignages qui appuient la thèse centrale de son livre. Janusz Kurtyka, responsable de l’institut de mémoire nationale (IPN), critique Jan Gross et le surnomme même le « vampire de l’historiographie » en évoquant un manque réel de rigueur scientifique.
Brûlot anti-polonais ?
Dans un entretien avec l’auteur et publiciste Halina Bortnowska sur TVN24, l’éminent professeur et historien Andrzej Paczkowski a également fait part de son point de vue : « Le chercheur doit faire des découvertes par passion mais pas par mission. Jan Gross, lui, est habité par sa mission », observe-t-il. « La rapidité avec laquelle il généralise les problèmes est très traumatisante pour nous. Les mémoires polonaises et juives s'entrechoquent. L'une relève de la mémoire, noire ou blanche, l'autre de l'histoire qui doit être plus nuancée », explique enfin l'historien. Dans ses commentaires, Andrzej Paczkowski souligne que le livre polémique simplifie trop les relations entre Juifs et Polonais à l'après-guerre, surtout la dimension politique du conflit et le rôle des Juifs dans les structures des autorités communistes.
Cardinal Stanislaw Dziwisz, dans ses articles parus au moment même de la publication du livre, reproche à l'ouvrage de réveiller « les démons anti-polonais et antisémite ». Rzeczpospolita, journal de droite, partage la même opinion. Son rédacteur en chef a d'ailleurs lui aussi qualifié ce livre d’ 'antipolonais'. Les réactions extrêmes provoquées par la sortie du livre de Jan Gross prouvent bien que le sujet attise encore de vives controverses. Malgré ses faiblesses, l'ouvrage contribue à alimenter les débats sur le sujet des relations entre Juifs et Polonais.
Translated from Strach przed Grossem