La mécanique du stress au travail
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Le salarié, esclave de son rythme et de son outil de travail ? Le stress s’installe dans les rouages de l’entreprise et fait la Une de nombreux journaux français. Quelles sont les causes de ce phénomène ? Analyse.
En février dernier, le constructeur automobile Renault a annoncé le troisième suicide d’employé en moins de six mois. La lettre laissée par le défunt mettait en cause la pression au travail et le stress lié à sa promotion récente. Ce genre de drame n’est pas isolé. En mai 2007, le constructeur PSA Peugeot-Citroën avait déjà du faire face à trois autres suicides. Une situation inquiétante qui laisse entrevoir les conséquences des nouvelles méthodes de management et de l’emploi de nouveaux outils de travail.
Où donner de la tête ?
L’apparition d’un management libéral, qui se veut antihiérarchique, tend à responsabiliser et à autonomiser toujours plus le salarié. Mais il a aussi une part de responsabilité dans l’augmentation du stress au travail. Certes, les modes d’organisation au sein de l’entreprise ont beaucoup évolué et diminué la monotonie d’une tâche. Alors qu’auparavant, les tâches assignées à chaque salarié, étaient clairement définies, aujourd’hui, le salarié doit faire face à une multiplicité de choses à effectuer. A la pénibilité due aux cadences de travail élevées, se substitue une pénibilité liée aux responsabilités supplémentaires que doit assumer le salarié.
Comme le souligne le journaliste Xavier de la Vega, de la revue française Sciences Humaines, deux causes de stress au travail se distinguent : l’introduction de la polyactivité qui peut conduire à un cumul de tâches. Là, le salarié ne sait plus où donner de la tête. Et à ce changement dans l’organisation productive, s’ajoute souvent l’intensification du travail : les salariés doivent en faire de plus en plus, alors qu’ils sont de moins en moins.
Le stress et les maladies professionnelles sont aussi liés à l’utilisation de nouveaux outils de travail. En particulier : l’informatique. Par exemple, l’étude des troubles musculo-squelettiques (TMS) a démontré l’existence d’un lien entre une maladie du poignet et le maniement de la souris par des salariés de la bureautique. Par ailleurs, l’interaction en temps réel permise par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) fait que le salarié reçoit en permanence des informations. Il est sans cesse sollicité par les sonneries de téléphones portables et des avalanche de mails, ce qui bien-sûr accroît son stress et sa nervosité.
Le cas Google
Quelle attitude doit adopter la société vis-à-vis de ces problèmes ? Le sociologue Philippe Askenazy, qui a comparé la France et les Etats-Unis au niveau de la santé au travail, montre qu’on a pu réduire le nombre de maladies professionnelles de l’autre côté de l’Atlantique en introduisant davantage de réglementation, de manière à inciter les entreprises à prendre en compte le coût du stress au travail. Cette responsabilisation des entreprises passe par exemple par un arsenal légal plus sévère qui va obliger les entreprises à affronter les conséquences judiciaires (et donc financières…) des suicides, qui vont être considérés comme des accidents du travail.
Il est possible d’obtenir les mêmes résultats en Europe, et notamment en France, si l’on accepte de rompre avec le mutualisme, qui est pourtant à la base du système de protection sociale français. C’est l’entreprise qui doit être au centre du dispositif. « Au niveau microéconomique, la prise en compte de situations stressantes au sein de l'entreprise et la mise en place d'actions de prévention peuvent s'avérer économiquement très positives avec des retours sur investissement rapides », observe Christian Trontin, économiste à l’Institut français pour la sécurité et la santé au travail (INRS). Mais il faut aussi encadrer les politiques menées par les entreprises.
Google, par exemple, a mis en place une politique attractive pour réduire le stress grâce à des salles de jeux et de sport, des salons de détente pour les salariés… Cette méthode est séduisante, mais seulement en façade : car elle conduit à internaliser certains aspects de la vie du salarié. Ces nouvelles relations de travail font que l’entreprise occupe une place prépondérante dans sa vie. Et peuvent se révéler nocives en termes de rapports sociaux au final.