Participate Translate Blank profile picture

La loi des pionniers

Published on

Objets, majorités, formes : les coopérations renforcées sont juridiquement codifiées dans les traités d’Amsterdam et de Nice. Après analyse, la fin importe-t-elle plus que les moyens ?

Le sommet de Bruxelles fut une impasse. Pourtant, il aura au moins a relancé le débat sur la création d’un noyau dur dans une Europe dont la mécanique consensuelle risquerait d’être grippée du fait de l’élargissement à dix nouveaux membres. Historiquement, l’Europe à deux vitesses est depuis longtemps un fait communautaire, illustré notamment par de brillantes réalisations (UEM, Schengen et le protocole social) et un instrument juridique, les coopérations renforcées, introduites par le Traité d’Amsterdam et affûtées, avant même usage, dans le traité de Nice. Ces coopérations sont-elles, au plan juridique, susceptibles de constituer le fameux « miracle » qui permettra de renforcer la capacité décisionnelle de l’Union et de progresser dans l’intégration.

Flexibilité limitée

Les coopérations renforcées sont potentiellement exploitables pour renforcer la capacité décisionnelle du Conseil. En particulier, en cas de blocage dans un domaine requerrant l’unanimité – et c’est là que l’élargissement à 25 est le plus problématique – les Etats désireux d’aller de l’avant pourront demander l’autorisation de s’engager dans une coopération renforcée au Conseil qui statuera alors à la majorité qualifiée. Outre le fait que ce mécanisme permet effectivement de surmonter l’obstacle de l’unanimité, il constitue de surcroît une évidente incitation pour les Etats réticents à assouplir leur position, sous peine de se retrouver exclu d’une coopération. À cet égard, il paraît légitime d’analyser les récentes déclarations comme autant de signaux destinés à renforcer la crédibilité de ce risque pour l’avenir.

La portée réelle de cette incitation est toutefois limitée par le fait qu’un Etat membre peut décider de participer ab initio à la coopération renforcée (aucun critère de capacité n’étant à ce jour prévu) et exercer ensuite son pouvoir de « nuisance » en son sein, par exemple lorsque l’unanimité est requise. Les coopérations devant en effet respecter « le cadre institutionnel unique de l’Union », les bases juridiques sur lesquelles les institutions doivent se fonder pour adopter une mesure. Par conséquent, les procédures et les modalités de votation sont les mêmes au sein d’une coopération renforcée que dans l’Union. Il est ainsi impossible, au sein d’une coopération, de voter à la majorité là où le traité exige d’habitude l’unanimité. Ce principe de mimétisme constitue d’ailleurs une sérieuse limitation à la flexibilité des coopérations. En revanche, le projet de Constitution issu de la Convention assouplit le régime des coopérations en permettant justement aux Etats qui y participent de modifier les modalités de votation.

S’agissant de leur champ d’application, le traité prévoit, entre autres, que les coopérations doivent rester dans les limites des compétences non exclusives, c'est-à-dire partagées entre les Etats-membres et l’Union ou la Communauté. Une telle formulation apparaît restrictive, notamment au regard de l’alternative qu’aurait constitué une référence aux « objectifs » et non aux « compétences » de l’Union. Il n’est dès lors pas possible de mettre en œuvre des coopérations dans des domaines pour lesquels la Communauté ne dispose pas aujourd’hui de compétences juridiques, quand bien même ces coopérations pourraient servir les objectifs de l’Union.

La Constitution va plus loin

Si elles ne font pas l’objet de restrictions particulières dans les premier et troisième piliers (« communautaire », pour l’un et intergouvernemental relatif à la justice et aux affaires intérieures pour l'autre), les coopérations renforcées restent en revanche strictement limitées à la mise en œuvre d’actions ou de positions communes dans le cadre du second pilier (intergouvernemental relatif à la politique étrangère et de sécurité commune – PESC). Elles ne peuvent en outre porter sur des questions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Les coopérations dans le deuxième pilier relèvent ainsi plus du mandat d’exécution qu’elles n’offrent véritablement l’occasion de poursuivre dans la voie de l’intégration, ce qui doit être regretté dans la mesure où le 2nd pilier nécessiterait sans aucun doute d’être approfondi. Les Conventionnels semblent d’ailleurs avoir partagé ces préoccupations puisque le projet de Constitution abandonne ces restrictions dans son article III-325.

Avant-Garde ?

On remarquera enfin que le traité de Nice aura souhaité faciliter la constitution de groupes pionniers en rapportant à huit le seuil minimum d’Etats requis pour créer une coopération là où le traité d’Amsterdam exigeait la majorité. Selon la logique considérée, cette modification est insuffisante ou regrettable : insuffisante, si l’on considère que les coopérations constituent un outil d’intégration sub-systémique qui n’a pas forcément vocation à être étendu à tous les Etats et dont le nombre de participants optimal pourrait très bien être inférieur à huit ; regrettable, si l’on se place dans une logique d’avant-garde, où la coopération se veut avoir un effet d’entraînement. La condition de majorité semble alors préférable et ce d’autant plus qu’elle éloigne le risque de coopérations concurrentes, aux effets hautement centrifuges.

Force est de constater que les coopérations renforcées offrent une réponse imparfaite aux préoccupations ravivées par le sommet de Bruxelles. Si elles constituent une source de flexibilité bienvenue dans une Europe élargie, leurs effets, faute de pratique, restent encore à découvrir. À court terme, leur principal atout pourrait être d’aider à surmonter les blocages au sein d’un Conseil où certains Etats semblent plus attachés à leur capacité de blocage qu’à la mise en place d’un système de prise de décision efficace.