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La Lettonie : soviétique ou européenne ?

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Société

Le 4 mai dernier, la Lettonie fêtait 27 ans de son indépendance de l'Union soviétique. Si le pays a plongé dans un monde nouveau en rentrant dans l'Union européenne, il reste fortement influencé par son héritage. Nous avons interrogé deux membres de générations bien distinctes : celle qui a grandi dans l'URSS et celle qui est née dans l'UE.

Le 4 mai 1990, la Lettonie prenait son indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique. Il s’agissait de la seconde indépendance pour le pays après celle du 18 novembre 1918, suite à la fameuse guerre d’indépendance contre la domination russe. Après avoir passé près d’un siècle sous domination russe et allemande, le pays commence aujourd’hui à se montrer tel qu’il est vraiment : jeune, dynamique et tiraillé.

Il faut dire que la Lettonie a vite basculé dans un autre monde. En choisissant de passer de l'Union soviétique à l'Union européenne, le pays s'est accroché à un tout autre destin. Avant, on ne pouvait voyager qu'en Russie, Géorgie, Lituanie et dans les pays communistes. Aujourd’hui, il y a Schengen. Avant, tout le monde avait un emploi et un logement. Aujourd’hui, certains en ont dix et d’autres font l’aumône. Avant, la liberté était très limitée. Aujourd’hui, le libéralisme transpire dans toute la société.

Cela dit, l'histoire ne s'est pas fracassée sur ce mois de mai de 1990. Si la Lettonie est désormais un pays jeune et officiellement libre, il chemine encore beaucoup avec l'influence de l'héritage soviétique. L'architecture, l'économie, la langue, certaines mentalités témoignent d'un passé qui se dilue encore dans les temps modernes. cafébabel a interviewé deux membres de générations bien distinctes : une femme qui a grandi dans l'Union soviétique et une autre née 20 ans plus tard qui fait partie de ce qu'on appelle la « Génération Perestroïka ». Deux visages de la Lettonie d'aujourd'hui, qui confient leurs souvenirs, leur quotidien et leur désir d'avenir.

cafébabel : Quels seraient les avantages et les inconvénients de l’Union soviétique ?

Génération Perestroika : On n’avait probablement pas la possibilité de choisir. L’enseignement, le travail, les voyages, tout était choisi d’en haut. Tu ne pouvais presque rien choisir pour ta vie. Ce n’était pas possible de sortir du système fermé de l’État. Si je devais dessiner le monde soviétique, je ferais un cercle dans lequel tous les points sont unis. Aujourd’hui, ce serait plus une toile de Jackson Pollock. Chacun pour soi. La solidarité et l’esprit communautaire se sont peut-être un peu affaiblis. Mais, dans l'Union soviétique, tout le monde avait un emploi. Le chômage n’existait pas, aucun jeune se sentait coupable de ses échecs vécus comme des catastrophes personnelles. Il y avait de la place pour tout le monde. Peut-être peu, peut-être limitée, mais pour tout le monde.

Génération soviétique: Je suis ravie de fêter l’indépendance de la Lettonie. J’ai tellement envie d’Europe et j’ai le sentiment d’appartenir à ce projet continental. Quand j’étais petite ma mère était assureur, et mon père directeur d’une école. Nous vivions à la campagne près de Rezekne. Les supermarchés n’existaient pas, on ne trouvait que de l’huile, du sel, du sucre et du pain de mauvaise qualité. C’était nous qui nous occupions du lait et de la viande. Que de la nourriture saine, les produits industriels n’existaient pas. On travaillait dans les champs. Les voyages que font les jeunes d’aujourd’hui ne nous venaient même pas à l’esprit. Le logement était fourni par l’État à un prix très modéré, mais tu devais vivre avec toute la famille dans l’appartement qui t’étais destiné et tu ne pouvais bien entendu pas t’opposer. Il était petit, moche et sombre, c’était ce qui te revenait.

Le travail, souvent inutile, était garanti à tout le monde. Une sorte d’égalitarisme au rabais régnait. Les ingénieurs gagnaient moins que les travailleurs. Les prolétaires bénéficiaient d’une reconnaissance socio-économique. Mon père gagnait moins que certains ouvriers qui travaillaient à l’usine à côté de chez nous. Le téléphone et les médicaments étaient gratuits.

Tu ne pouvais rien choisir, mais ta survie était garantie. Tu ne redoutais pas de te retrouver  sans argent comme aujourd’hui. Tu savais que tu aurais une retraite. Tu savais que l’État garantirait ta survie en contrepartie d’une absence presque totale de liberté. Personne n’avait peur du futur. Ce n’était peut-être pas une promesse, mais sûrement pas la hantise d’aujourd’hui. Les différences sociales scandaleuses auxquelles nous sommes à présent contraints d’assister n’existaient pas. Il n’y avait pas ce fossé qui sépare l’ouvrier du manager. L’individualisme effréné n’existait pas, on faisait tous partie d’un projet commun, avec ses limites et ses contre-indications. Mais avec ses qualités aussi.

cafébabel : Vous souvenez-vous du 4 mai 1990 ?

Génération Perestroika : Et comment ! J’étais dans ma poussette quand la radio a annoncé la grande nouvelle ! (rires) Ça me fait sourire quand je pense que moi aussi je suis née en Union soviétique. Lorsqu'elle a pris fin, j’avais 2 ans. Je suis Lettone et c’est comme si j’étais déjà née en Lettonie. Pour être sincère, la question soviétique ne me passionne pas vraiment. On n’en parle pratiquement jamais avec ma famille ou mes amis. Votre question me fait un peu sourire pour être honnête.

Génération soviétique : Si j’avais su qu’il s’agissait d’un évènement aussi important, j’aurais écrit un journal intime. En annotant méticuleusement où je me trouvais, avec qui, ce que je buvais et pourquoi. Mais je ne l’ai pas fait parce que je ne le savais pas. J’étais bien entendu au courant que depuis 1986, avec l’Helsinki group, l’Union Soviétique était en crise. Puis il y a eu Solidarnosc en Pologne. Mais je mentirais si je disais que je le savais parce qu’on ne savait rien. J’habitais à la campagne. C’est grâce à la télévision que j’ai découvert qu’on votait pour l’indépendance. Comment l’aurais-je su sinon ? À l’époque il n’y avait pas les téléphones portables ni Internet.

Je n’imaginais absolument pas le bouleversement que ça impliquait. Il fallait créer une nouvelle police, un nouveau Parlement et une nouvelle défense. Mais pendant ce temps, les citoyens ont continué à régulièrement se rendre sur leur lieu de travail. Tout le monde venait nous donner des conseils. Tout le monde voulait mettre la main sur la nouvelle petite république. Les gens cherchaient le pouvoir, ils cherchaient à réduire à néant la vraie indépendance. Les Russes ont tiré profit de la proximité linguistique et culturelle.

Je me souviens par exemple du problème de la propriété. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, quasiment personne ne possédait son propre logement. L’État letton néocapitaliste a fourni des cartes ayant une valeur nominale équivalente à 40 euros aujourd’hui (le chiffre pourrait ne pas être exact aujourd’hui, ndlr) pour chaque année de vie du citoyen. En rassemblant celles de ma mère et les miennes, je me suis achetée un appartement près de la gare. J’habite encore ici.

Mais la vraie question est de savoir si les choses ont beaucoup changé dans notre pays depuis ce mois de mai. D’après vous, pourquoi les dossiers contenant les noms des inscrits au KGB n’ont jamais été ouverts ? Ils ne trouvent pas à Moscou, mais à Riga, conservés sous clefs par les autorités. Le Parlement affirme qu'il est préférable de ne pas créer de scandale et de retournements dans un pays déjà fragile. En l’occurrence, parce que les politiques au pouvoir sont les mêmes qu’à l’époque.

cafébabel : D’après vous, quelle est la plus grande différence entre l’Union européenne et l’Union soviétique ?

Génération Perestroika : C’est une question trop compliquée. Je ne sais pas quoi dire, j’ai du mal à les comparer. Elles sont trop différentes. Peut-être la liberté de circulation, la possibilité de travailler librement. C’est la démocratie.

cafébabel : Des propriétés toutes positives donc. Rien d'autre ? 

Génération Perestroika : Non. Vraiment, je ne sais pas. Je ne sais même pas pourquoi vous me posez ces questions à propos de l’Union soviétique. Moi, je ne l’ai pas connue. Ce que je sais vient de récits confus et différents. Il y a les nostalgiques et les détracteurs. Comment je fais moi, pour me faire ma propre opinion ?

Génération soviétique : La liberté.

cafébabel : Que pensez-vous de la célébration de ce jour de l'indépendance ?

Génération Perestroika : Ici, beaucoup de personnes le fêtent. Mais beaucoup sont aussi contre. On trouve par exemple ceux qui déposent des fleurs aux pieds de la statue des Lettons qui sont tombés pour libérer l’Europe du nazisme et qui ont perdu leurs proches en Sibérie. La guerre en Afghanistan divise aussi : certains se souviennent de leurs propres héros morts pour l’honneur et la grandeur de l’Union soviétique, d’autres pleurent les victimes d’une guerre inutile. Il y a un monument aux morts sur la place centrale, derrière l’église orthodoxe, pour célébrer ceux qui se sont battus contre les moudjahids. Aujourd’hui, elle est remplie de roses. Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui souffrent en silence chez elles, qui même sans hurler, montrent leur désaccord vis-à-vis de cette célébration. En tout état de cause, la question n’intéresse que les anciens. Nous les jeunes, excepté ceux qui ont des victimes au sein leur propre famille et qui désirent s’en souvenir, nous ne participons pas à la célébration.

Génération soviétique : Moi je n’y vais pas. Mon père a été déporté en Sibérie juste après la libération, ce que j’appelle « invasion soviétique ». Il a passé les meilleures années de sa vie là-bas. Il jouait du violoncelle dans l’orchestre militaire allemand. Il a été déporté parce que toutes les personnes qui avaient des liens avec l’Allemagne l’étaient. Il était fort et a créé un nouvel orchestre là-bas. Il se trouvait près de Novosibirisk, c’est à peu près tout ce que je sais. J’ai gardé ses lettres. Écrites en russe car le letton était interdit et ne passait pas la censure.

Story by

Bernardo Bertenasco

Venuto al mondo nell’anno della fine dei comunismi, sono sempre stato un curioso infaticabile e irreprensibile. Torinese per nascita, ho vissuto a Roma, a Bruxelles e in Lettonia. Al momento mi trovo in Argentina, dove lavoro all’università di Mendoza. Scrivo da quando ho sedici anni, non ne posso fare a meno. Il mio primo romanzo si intitola "Ovunque tu sia" (streetlib, amazon, ibs, libreria universitaria)

Translated from Generazione sovietica e generazione europea a confronto