La langue des signes, ça vous parle ?
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Hélène GouhierIl existe en Europe une multitude de langues – plus de deux cents! 23 d’entre elles sont des langues officielles de l’Union Européenne, et en marge des langues officielles des pays membres il existe de nombreux dialectes ou langues régionales, ainsi que des langues minoritaires.
Pour les autres, il existe aussi les langues des signes, auxquelles une première semaine d’action officielle a été consacrée à Berlin lors de la Deafweek (« semaine des sourds muets ») 2010.
A l’inverse des dialectes ou des langues minoritaires, chacun de nous a déjà entendu parler du langage des signes. Mais qui sait qu'il est autonome, qui connait sa culture ? En discutant avec Sofia Crabu, interprète de la langue des signes en Allemagne, il est vite apparu qu'elle reçoit toujours les mêmes questions : non, la langue des signes n’est pas comme un pantomime ou de l’allemand gestuel. Et non, le langage des signes n’est pas une langue universelle.
Une minorité peu connue
Environ 900.000 sourds muets vivent en Europe, dont à peu près 80.000 en Allemagne. Mais la langue des signes n'est utilisée que par environ 220.000 personnes. Voilà une langue qui occupe une place particulière parmi les langue minoritaire, car elle n’est pas parlée par une minorité ethnique. En raison d’une malformation à la naissance ou suite à une maladie, ceux qui la parlent sont malentendants et ne peuvent donc naturellement pas apprendre les langues parlées à voix haute. Pour les sourds muets d’Allemagne, l’allemand est une langue étrangère. La langue des signes est une langue perceptible visuellement et tridimensionnelle; chacune s’est développée de manière singulière dans chaque pays : en Allemagne par exemple, on parle le « Deutsche Gebärdensprache » (DGS), en Autriche il s’agit de l’OGS (« Osterreichische »). Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la langue des signes n’a rien en commun avec les langues officielles respectives des pays.
Sur les lèvres
Pour les sourds et muets d’Allemagne, l’Allemand est une langue étrangère.
Déjà au 18ème siècle, beaucoup d’efforts avaient été faits pour l’intégration des malentendants. Une lutte entre pédagogues, en particulier Charles-Michel de l’Epée et Samuel Heinicke, avait eu lieu au sujet de la « vraie » pédagogie à adopter en vue de cette intégration. Heinicke avait défendu la « méthode orale », qui fut ensuite adoptée lors du second congrès pour l’amélioration de la condition des sourds muets de Milan en 1880. Les participants au congrès – des spécialistes pratiquement tous bien entendants - décidèrent de bannir le langage des signes de l’école. Les sourds devaient donc apprendre la langue du pays avec ses sons et s’entraîner à lire sur les lèvres. On était convaincu que leur adaptation à la société ne pouvait être garantie et opérée que de cette manière. Impossible alors d’apprendre la langue des signes, laquelle a été rangée au placard pendant des décennies. Ce n’est que dans les années 1960 qu’une réorientation a eu lieu, lorsque les scientifiques spécialistes des langues Ben Tervoort et William Stokoe ont reconnu linguistiquement les langues des signes.
La liberté par l'interprète
Cependant, au sein de l’Union Européenne, seul la Finlande (1995), le Portugal (1997) et l’Autriche (2005) ont placé leur langue des signes respective dans la Constitution. En Allemagne, l’entrée en vigueur de la « Behindertengleichstellungsgesetz» (« loi sur l’égalité de traitement des handicapés ») du 1er mai 2002 a permis de reconnaître juridiquement le DGS. Les sourds muets peuvent donc avoir recours à un interprète lors de sorties, réunions de parents ou visites médicales.
Lors du 1er congrès international de la « formation à travers la langue des signes » en août 2010, plus de 300 participants ont proposé des cours bilingues, lors desquels des enfants sourds muets ont pu apprendre et expérimenter les langues des signes et les langues de sons et leurs cultures. A l’école Ernst-Adolf-Eschke de Berlin, un projet pilote permet de délivrer ces cours depuis 2001. La langue des signes est l’unique langue dans laquelle les sourds puissent penser et s’exprimer, elle est donc primordiale pour l’accumulation de savoir, mais aussi pour se forger une identité. Sur le modèle de l’Université américaine Gallaudet, il y a aujourd’hui aussi une initiative lancée pour le premier lycée européen des signes, dans lequel peuvent étudier ensemble sourds comme bien entendants – en langue des signes.
Mais le quotidien d’un sourd muet reste synonyme de difficultés. Ils sont en permanence confrontés aux barrières de la langue, car la plupart des gens dans leur environnement ne maîtrisent pas la langue des signes. Beaucoup de gens restent persuadés que les sourds peuvent lire sur les lèvres et que l’on peut échanger avec eux des informations écrites. D’après Sofia Crabu, la vérité est cependant toute autre. L’implication des interprètes est nécessaire car on gagne du temps lors des conversations et les incompréhensions peuvent ainsi être évitées.
Toutefois, lorsque la question de la prise en charge des coûts se pose, le chemin laborieux continue – à travers des textes de loi compliqués.
Slam sourd muet
De nombreuses associations, comme Deutsche Gehörlosen Bund en Allemagne ou European Union of Deafdu côté de l’Union Européenne, bataillent pour que les textes de lois changent et que l’offre de formation pour les sourds s’améliore. Mais diverses manifestations culturelles œuvrent aussi pour que la considération des sourds dans la société change, comme la Deaf-Poetry-Slam ou des pièces de théâtre en langues des signes. En bref, ceux qui souhaitent savoir à quoi ressemble la culture des langues des signes auront l’occasion de la découvrir le 4 décembre 2010 à Utrecht, aux Pays-Bas, lors du concert du groupe hip hop finlandais Signmark, après l'avoir découverte du 24 au 25 septembre pendant le festival de la langue des signes de Berlin.
Photos: (cc)sicoactiva/flickr; Signmark ©signmark.biz
Translated from Sprachlos in Europa