La guerre des langues anciennes : reportage sur le front
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Adrien Souchet« Gallia est omnis divisa in partes tres », a écrit César, soit « Toute la Gaule est divisée en trois parties ». Certes mais lorsqu'il s'agit d'enseigner les langues anciennes, en combien se divise l'Europe ? Y a-t-il une utilité quelconque à apprendre le latin ? Et pourrait-elle être une panacée des problèmes des jeunes européens ? Des réponses, vite !
Le premier livre que j'ai emprunté de mon plein gré dans la bibliothèque de mes parents a été Mythology de Jan Parandowski. Je n'oublierai jamais la satisfaction que j'ai ressentie lorsque j'ai découvert pour la première fois qu'une fracture du crâne se trouvait être un excellent remède contre la migraine (ainsi que pour donner naissance à sa fille), ou que le meilleur moyen de se débarrasser de son neveu ou de son successeur au trône était de l'envoyer à la conquête de la Toison d'or. Ce livre a été comme une révélation. J'ai immédiatement considéré Mythology comme le meilleur livre au monde et ai tout de suite décidé que je voulais apprendre les langues anciennes.
Mais j'ai grandi un peu et la vie en a décidé autrement. J'ai préféré me concentrer sur des langues qui étaient toujours utilisées par des personnes vivantes. Malgré ce constat, j'ai été très heureuse de commencer à apprendre le latin au cours de mes études, dans le secondaire. Bien que je ne sois jamais devenu une latiniste – j'en ai pourtant secrètement rêvé – j'ai toujours trouvé que c'était une belle langue. Elle est à la fois économique, logique et poétique. Chaque mot a un sens et s'avère indispensable.
J'ai toujours été intéressée par les tentatives successives pour ramener le latin sur le devant de la scène, en Pologne, en tant que matière obligatoire. Il y a quelques semaines, une autre lettre ouverte sur le sujet a été envoyée au ministre de l'Éducation. Même moi, avec mon amour débordant, quoique passionné, pour le latin, j'admets qu'il est essentiel de nous demander : cela a-t-il vraiment un sens ?
La grammaire et la vie en harmonie
Partons pour un petit tour d'Europe. Les langues anciennes telles que le latin et le grec ne sont pas obligatoires en Belgique, en France ou en Grande-Bretagne, bien qu'elles soient présentes ici ou là dans les écoles secondaires et les universités. Les pays qui se consacrent le plus aux études classiques sont l'Allemagne et l'Autriche. Dans ces deux pays, les élèves du secondaire choisissent entre le latin et le français pour leur deuxième langue étangère (après l'anglais). Les pays les plus dévoués aux études classiques sont bien sûr la Grèce et l'Italie. En Italie, le latin est enseigné dans les deux grands types d'écoles secondaires, à savoir le liceo scientifico (qui se consacre davantage aux sciences) et le liceo classico (qui se concentre sur les arts et les humanités). Dans ce dernier, il est obligatoire d'apprendre également le grec ancien. Enfin, à la grande surprise de tous, les Pays-Bas arrivent également en tête de classement. Les programmes des écoles secondaires proposent les enseignements de base à la fois en latin et en grec, avec la possibilité de continuer au moins l'une des deux langues. Dans presque chaque pays européen, les bases du latin sont enseignées en tant que matière obligatoire dans les écoles de médecine, en droit et en philologie.
Mais qu'en pensent les étudiants ? L'approche est plutôt positive. En sondant l'opinion de jeunes européens, ceux-ci déclarent apprécier apprendre les langues anciennes, notamment le latin, car cela leur facilite l'apprentissage des langues modernes (en particulier les langues romanes). L'argument selon lequel le latin est utile en médecine et en droit est souvent répété. Certains mettent en avant l'apprentissage d'une pensée logique.
Cependant, il est difficile de trouver dans leurs réponses les éloges généralement prononcés par des parents et enseignants inquiets, certains que le latin enseigne non seulement la grammaire mais aussi la vie en harmonie. J'ai parcouru l'un des plus importants forums dédiés aux traducteurs et linguistes polonais et le sujet du retour du latin comme enseignement obligatoire dans les écoles suscite toujours un vif débat dans la communauté. L'un des commentaires les plus populaires est le suivant : « Ce serait une bonne chose pour les petits merdeux. En plus de la langue, ils apprendraient la vraie valeur du travail ». Hey Houston, il semblerait que nous ayons un conflit de générations.
Du latin pour la génération Y
Ce n'est pas une coïncidence que la lettre ouverte susmentionnée ait été envoyée par le Lech Kaczyński Institute au cours du débat sur la nouvelle réforme de l'éducation. La fondation, dont l'activité se concentre sur « la diffusion et la protection des droits de l'homme et de la liberté » regroupe les communautés proches du parti actuellement au pouvoir, connu pour ses positions conservatrices. À l'instar de la religion, de l'éthique, de l'éducation patriotique et de l'histoire, les langues anciennes deviennent une arme, inoffensive à première vue mais en réalité profondément symbolique, d'une guerre politique et idéologique. Les langues et cultures anciennes ne sont plus une branche des sciences (et des arts) indépendante et légitime. Prises dans ce conflit, elle représentent désormais un symbole illusoire des études classiques et des valeurs traditionnelles.
Les groupes conservateurs se réclament de leur amour pour les langues anciennes mais, en réalité, celles-ci ne sont utilisées que comme mot-clé dans leur programme de campagne. L'accent n'est pas mis sur le réel apprentissage des langues anciennes, de l'histoire et de la culture classiques mais sur « le renouveau spirituel et linguistique » que pourraient apporter, selon eux, les études classiques. Le latin représenterait de nouveaux coups de baguette qui s'abattraient sur les doigts des élèves indisciplinés et est présenté comme la panacée pour tout, allant des problèmes de mémoire à la dyslexie, en passant par le bien-être général du corps et de l'esprit. Le latin voudrait même que dès que les petits merdeux voient la table avec la première déclinaison - ainsi va la théorie - leur envie de fumer de l'herbe disparaîtrait instantanément et ils arrêteraient de se plaindre du marché du travail.
Sinon, vous souvenez-vous du temps où les écoles enseignaient aux individus comment penser au lieu de leur dire quoi penser ?
Romanes eunt domus
La conclusion que nous pouvons tirer de ces échanges est que les jeunes aiment le latin, tant que celui-ci leur permet de développer des compétences qui favoriseront leur carrière. C'est très surprenant. L'Italie est un bon exemple. Bien qu'il y ait une longue tradition d'enseignement du latin, beaucoup croient que le marché du travail en déclin signifie que les jeunes ne peuvent plus se permettre d'apprendre le latin, notamment si nous prenons en compte leur manque de compétences dans l'apprentissage des langues modernes.
Une partie du problème réside dans le fait que le latin est étiqueté comme une matière humaniste « inutile ». « Il ne s'agit pas de ramener le latin sur le devant de la scène », décrète ma prof de latin, « mais de ramener sa dignité et tout son sens ». « La dégradation du statut du latin est étroitement liée à la dégradation des humanités, qui n'existent pas sans le latin et le grec. Ces langues nous permettent d'observer des choses au sein de notre culture qui, dans le cas contraire, resteraient invisibles. Lorsque nous les apprenons, une dimension supplémentaire apparaît. » Pourtant, est-il légitime de forcer les gens à explorer de nouvelles dimensions alors qu'ils souhaitent garder les pieds sur terre ? Où est la limite entre réveiller les consciences et forcer quelqu'un à devenir un intellectuel ?
J'ai toujours voulu apprendre le latin mais je n'ai jamais voulu que celui-ci contrôle mon développement personnel. Façonner un être humain prend plus de temps que quelques heures de classe par semaine.
Translated from O wojnie łacińskiej