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La Grèce, une future province allemande ?

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Lorelei

Presse à la grecque

On connaissait les colonies de touristes allemands au bronzage incandescent sur les plages grecques, il semble à la lecture des journaux parus les dernières semaines qu’un autre type de colonie allemande est à craindre sur le territoire hellène. Elle prendra cependant la forme, non de casquettes et de sandales à fortes semelles, mais de capitaux et d’actions. Expliquons-nous.

fils téléphone Le ministre grec de l’économie, M. Alogoskoufis, a révélé jeudi 29 mai à l’Assemblée le contenu de l’accord passé entre la société grecque de télécommunication OTE et le groupe Deutsche Telekom. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une accentuation de la privatisation de l’”organisme de télécommunication grec” (=OTE). L’Etat a cédé encore dernièrement 5 % de sa participation à la gestion de la société pour se trouver à 28% de part de l’OTE. Cela a bien sûr suscité la convoitise d’investisseurs privés, dont un certain Viénopoulos, mis cependant hors d’état d’agir par le gouvernement grec (voir Ta Nea du 28 mai). Et c’est donc l’investisseur allemand qui a obtenu la part du lion.

Le journal Ta Nea nous livrait jeudi la primeur des clauses du contrat. Le ministre a assuré que les missions de l’OTE restent celles d’un service public sur tout le territoire grec et qui doit, en cas de besoin, être mise au service de la défense et de la sécurité du pays; son siège restera en Grèce. Le comité de gestion sera composé pour moitié de représentants grecs et pour moitié de représentants de Deutsche Telekom. Le président sera choisi par la partie grecque, mais son rôle, conformément à la loi sur les sociétés anonymes, ne comprendra pas le pouvoir exécutif, lequel reviendra au conseiller exécutif choisi par la partie allemande.

Ces derniers aspects ne risquent pas de satisfaire les opposants au projet. Déjà dans l’édition du 06 mai d’Eleftheros Typos, on pouvait lire les réactions indignées de plusieurs responsables syndicaux et politiques. Le thème de la nation est prépondérant dans leurs propos. Le président du parti de gauche radicale SYN s’écrie: “Au train où vont les choses, on verra bientôt le drapeau allemand hissé sur le toit du palais Maximou (siège du gouvernement grec)”. Le président du syndicat GSEE Giannnis Panagopoulos s’insurge:" “La vente de l’OTE (…) constitue non seulement un scandale, mais encore un véritable crime contre l’Etat”. Quelques jours plus tard, dans le même journal, le président de LAOS (parti du Rassemblement populaire orthodoxe) M. Karatzaféris s’exclame: “Les deux grands partis politiques grecs ont décidé de faire de la Grèce une province allemande: le PASOK a donné l’aéroport, la Nouvelle Démocratie les télécommunications”.

Il faut également relever des voix plus modérées qui tentent d’analyser cette privatisation à l’aune du grand marché européen. Kostas Iordanis, dans Kathimerini'' du du 25 mai, par exemple, tente de se faire une raison: “(…) La Grèce appartient à la zone euro. L’intégration complète de notre pays au noyau dur de l’Union signifie en langage clair qu’il n’y a plus de capitaux “ennemis” ou “étrangers” qui tiennent dès lors que ces capitaux viennent de pays-membres de la zone euro. Avec l’adoption de l’euro, l’économie a perdu son caractère national et les gouvernements leur capacité à manoeuvrer seuls dans le domaine économique.” C'est aussi le message que veut faire passer le gouvernement par la voix de son ministre de l'économie: "l'OTE fonctionne dans un cadre concurrentiel et de mondialisation du marché. La collaboration avec l'organisme de télécommunication le plus puissant en Europe va renforcer l'OTE à la fois sur le plan technologique et sur le plan économique". (voir Eleftheros Typos'' du 14 mai).

Parmi les clauses qui ont été présentées aux députés rassemblés place Sintagma jeudi 29 mai, deux peuvent cependant faire figure de compensations pour la partie grecque (il y en a en fait d’autres, mais j’ai délibérément effectué cette sélection très subjective) ; elles permettent aussi une meilleure compréhension de l’affaire à un niveau européen. Tout d’abord, le conseiller exécutif choisi par la partie allemande devra répondre au critère linguistique suivant: savoir parfaitement communiquer en langue grecque. Ce point doit nous interroger, et peut-être nous faire espérer que les conseils d’administration de la société se dérouleront en grec, et non dans un anglais international de business. Il risque cependant de limiter les candidatures, à moins qu’il ne favorise au contraire le développement de l’enseignement du grec dans les milieux d’affaires – ce serait une bonne nouvelle ! Par ailleurs, le contrat oblige Deutsche Telekom à “ne pas développer d’activités concurrentielles contre l’OTE en Albanie, en Bulgarie, en Roumanie et en Serbie, de même qu’en République de Macédoine où elle est déjà présente”. Voici donc représentées les zones d’influence économique de la Grèce, qui, au-delà des frontières de l’Europe, et, on le note aussi, au-delà des conflits diplomatiques, doivent rester une chasse gardée hellène. De fait, comme le constate amèrement le secrétaire général du PASOK “si l’OTE, jusqu’à maintenant, achetait des sociétés de communications dans les Balkans, elle se fait aujourd’hui elle-même acheter”.

Certes, mais les dirigeants grecs ne semblent pas encore décidés à lâcher le juteux marché balkanique, déjà très rentable pour l’exportation de produits alimentaires : Ta Nea consacrait dernièrement un article sur les exportations de charcuterie grecque vers les Balkans, en particulier vers la Roumanie et Bulgarie, qui stimulent fortement les producteurs et commerciaux grecs.

Téléphone allemand contre jambon grec: un point partout.

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