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La Grande-Bretagne serait-elle à la botte de Bush ?

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Il est temps de faire une différence claire entre la politique menée par Tony Blair et celle quil devrait suivre sil prenait en compte ce que pensent la plupart des Anglais.

Depuis que George W. Bush a intensifié sa guerre rhétorique contre le régime de Saddam Hussein, menaçant dune intervention unilatérale, le soutien de Tony Blair na pas failli. Récemment, les deux chefs dEtat ont semblé inséparables, bien quils soient censés se situer aux opposés du spectre politique, du moins en théorie. Plus nous voyons Tony Blair à luvre, plus il est difficile de croire quil est socialiste. Bien sûr, très peu de gens pensent que Saddam Hussein est une victime innocente, cible sans défense dune politique américaine agressive. Cependant, également peu nombreux sont ceux qui pensent que les Etats-Unis ont de bonnes raisons dagir unilatéralement. Les tentations dagir en dehors du cadre des Nations Unies ont évidemment des motifs non avoués (comprenez : le pétrole), comme la première guerre du Golfe avait des motivations économiques. Le premier président Bush avait au moins agi en sassurant du soutien de la communauté internationale. Il est clair que Bush Junior n'accorde pas autant d'importance à la diplomatie que le faisait son père.

Blair justifie son adoration apparemment aveugle de George W. Bush en disant quil est le seul suffisamment proche du président américain pour pouvoir lui faire saisir les conséquences à long terme de sa politique étrangère. La thèse défendue à Downing Street est que Tony Blair, en tant quami proche et fidèle allié, est en position privilégiée pour faire comprendre à Bush la folie de ses projets. En Grande-Bretagne, Blair a martelé quil ne soutiendrait pas une attaque unilatérale contre lIrak. Pourtant, ces promesses et ces insinuations sonnent creux. Il est difficile de penser que les faucons américains reviendront à la raison grâce à quelques mots apaisants de ce bon vieux Tony.

Les Tories, meilleurs alliés de Blair

Issues des milieux les plus divers, de nombreuses voix sélèvent en Grande-Bretagne pour dénoncer le soutien inconditionnel du gouvernement à légard de la politique américaine. Blair semble se retrouver dans une position très inconfortable : ses meilleurs alliés sont de lautre côté de la Chambre des communes et ils se nomment les conservateurs. C'est au sein de son propre parti qu'il rencontre lopposition la plus farouche. La semaine dernière, le Parlement, en vacances, a été convoqué en session extraordinaire afin de débattre dun dossier contenant des preuves du danger imminent que constitue lIrak. Ce dossier avait été établi par le Premier ministre afin de convaincre de la validité de ses positions. Les débats qui sen suivirent étaient loin dêtre un panégyrique de sa politique sur le dossier. En utilisant une motion technique sur la clôture du débat du jour, quelques députés travaillistes ont même réussi à imposer un vote sur le sujet, ce que Tony Blair voulait à tout prix éviter. La même technique avait été utilisée afin de renverser le gouvernement de Chamberlain durant la Seconde Guerre mondiale : ainsi, son utilisation est loin dêtre anodine. Cette fois-ci, cinquante-trois députés travaillistes ont voté contre leur propre gouvernement. Il sagit là dune preuve de discorde indéniable, car le Labour actuel est un parti dans lequel la discipline est stricte. Le gouvernement lui-même a dû faire face à une crise : la députée Clare Short sest élevée contre le Premier ministre. Là encore, dans un système politique où la règle dor du gouvernement est la responsabilité collective (les paroles ou les actions dun membre du gouvernement engagent le gouvernement tout entier), cest le signe dune sérieuse fissure.

Stop the War: une coalition de toutes les origines et de toutes les régions

En matière dopposition populaire, rien ne saurait mieux illustrer la mobilisation de lopinion que la manifestation monstre qui a eu lieu à Londres le 28 septembre, rassemblée derrière le slogan « Pas dattaque en Irak ». Près de 400 000 personnes ont pris part à la manifestation, organisée par la coalition nationale Stop the War et lassociation des musulmans de Grande-Bretagne. Venus de tout le pays, plus de trois cents cars ont convergé vers Londres pour y déposer les nombreux marcheurs pour la paix. Ceux-ci nétaient pas seulement membres de la classe politique, pas seulement des Londoniens, mais des gens de toutes origines et de toutes régions. Tony Blair a reçu une lettre signée par plus de cent écrivains, acteurs et artistes, exprimant leur réprobation. Le site Internet de la coalition Stop the War compte vingt-et-un parlementaires parmi ses sympathisants officiels et quinze dentre eux appartiennent au parti travailliste. Lors dun sondage que le Daily Mirror (un tabloïd de tendance travailliste) a réalisé auprès de ses lecteurs au sujet de lIrak, 91.7% dentre eux étaient opposés à la guerre contre ce pays. Le sondage le plus récent réalisé par Channel 4 (lune des cinq chaînes hertziennes de Grande-Bretagne, dont les scores daudimat sont très élevés) a dévoilé que 60% des sondés étaient contre la guerre.

Bien évidemment, tous les manifestants du 28 septembre et tous les sondés ne sont pas tous contre à la guerre pour les mêmes raisons. Les manifestants nétaient pas tous des libéraux protestant contre un style de gouvernement tout présidentiel qui fait fi de la volonté de son peuple. Beaucoup de ceux qui sopposent le plus fortement à la guerre le font parce quils ont des affinités religieuses et culturelles non avec Saddam Hussein, mais avec son peuple. Un peuple qui subira les conséquences dune guerre comme cela a déjà été le cas par le passé. Ils protestent par peur de ce qui pourra se passer au Moyen-Orient si Bush intervient en Irak, par peur des effets à long terme quaura une telle politique sur les relations israélo-palestiniennes une fois que les troupes américaines auront plié bagage et seront rentrées chez elles, après avoir accompli leur mission en imposant un changement de régime en Irak.

Cependant, tous les manifestants et tous ceux qui ont été interrogés appartiennent à la société britannique, que lon suppose démocratique, et tous ont peur que leur droit de se prononcer sur une éventuelle déclaration de guerre de leur pays soit bafoué par leur Premier ministre.

Personne ne soutient que tous au Royaume-Uni soient opposés une action militaire contre lIrak, mais personne ne peut non plus prétendre quils aient une foi aveugle en la politique de Tony Blair.

« Président » Blair

Ce qui est plus inquiétant, c'est que beaucoup considèrent que Blair fait preuve d'"héroïsme", qu'il se comporte comme un dirigeant vaillant et fort défendant ses convictions malgré l'ampleur des contestations. L'idée qu'un dirigeant démocratiquement élu doive discuter de ses opinions, les remettre en cause, et éventuellement faire des compromis, ne serait-ce qu'avec son propre gouvernement, pour ne rien dire du Parlement ou ses concitoyens, semble avoir été totalement occultée par Blair et certains milieux médiatiques. Il est difficile, dans un tel climat, d'imaginer un candidat britannique qui soit réellement à l'écoute des préoccupations de son électorat pendant sa campagne et qui agisse en conséquence, comme ce fut dernièrement le cas lors des élections allemandes. L'élite politique en Grande-Bretagne semble suggérer que le propre d'un bon dirigeant serait d'ignorer les mises en gardes prononcées autour de lui, et de foncer tête baissée dans le gouffre, simplement en réponse à ses croyances tout individuelles et personnelles.

Peut-être qu'un des rares avantages de l'attitude hégémonique propre à la politique de Blair est le nombre croissant de parlementaires qui s'insurgent contre l'hypocrisie des politiques britanniques et américaines. Dans le temps, c'était là le domaine privilégié des parlementaires d'extrême gauche. Quelques voix s'élèvent tout de même pour faire remarquer que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont fait barrage aux condamnations des Nations Unies à l'égard de Saddam Hussein lors de sa dernière attaque chimique. Elles rappellent aussi qu'ils ont condamné les attaques unilatérales et préventives menées par d'autres pays. Mais la vraie tragédie, dans cette histoire, ne concernera ni la démocratie britannique, ni la légitimité du droit international, mais plutôt la façon dont des milliers de civils irakiens seront traités. Des civils qui souffrent déjà, non seulement de vivre sous le régime de Saddam Hussein, mais aussi des années de bombardements militaires britanniques et américains ; qui souffrent de maladies causées par de précédentes attaques chimiques et par les embargos des Nations Unies interdisant l'importation de médicaments. L'agonie et la souffrance que ce peuple va endurer devraient être notre toute première préoccupation.

Néanmoins, les actions du "Président" Blair ont certainement obligé un grand nombre de ses électeurs à prendre conscience du fait que, sous le gouvernement actuel, la vraie démocratie, au titre où l'entendons en Occident, celle que nous essayons de répandre dans d'autres parties du monde, est menacée par un plus grand danger qu'on ne l'imaginait jusqu'alors.

Translated from Is Great Britain nothing but Bush's European lapdog?