La France Insoumise avec Rauszer: « L’Europe souffre de ne pas avoir respecté ses valeurs fondatrices»
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Le second tour des législatives de la 4e circonscription des Français de l’étranger (Benelux) verra s’affronter Pieyre-Alexandre Anglade (En Marche) arrivé largement en tête au premier tour et Sophie Rauszer, pour la France Insoumise. La conseillère politique au groupe GUE/NGL au Parlement européen a accepté de répondre à nos questions.
Lundi soir, vous avez débattu avec votre concurrent à La Haye. Quelle impression vous a laissée le candidat d'Emmanuel Macron, avec qui vous partagez la jeunesse et une vie professionnelle liée aux sphères européennes ?
C’était très bien d’avoir organisé ce débat, le seul de l’entre-deux tour. La jeunesse est une chose très importante, dans une Assemblée nationale pour l’heure très grisonnante et masculine. Il faut toutefois aller un peu plus loin que ce qu’on appelle le « renouveau Macron ». A cet égard, ce débat a démontré qu’au-delà du verni de la communication politique, il ne reste pas grand-chose de concret.
J’ai notamment été frappé par nos échanges sur la question écologique, l’un des quatre thèmes principaux de ce débat. La feuille de route du nouveau gouvernement est de sortir de l’énergie fossile. Or, l’uranium en est une et il n’y a pas de proposition concrète pour engager la sortie du nucléaire. On verra à la fin de l’année, avec le projet de loi de finances, ce que le ministre de l’Environnement, Nicolas Hulot, pourra réellement faire. Je suis pessimiste, vu le peu d’intérêt de M. Macron et de son équipe sur ce sujet.
On verra notamment quelle sera la part consacrée à la relance du nucléaire. Combien de temps vas-ton préserver les vieilles centrales nucléaires qui coûtent très cher, et quand va-t-on passer au 100% d’énergie renouvelable que nous défendons ? Il ne s’agit pas de dogmatisme : ce secteur est un grand pourvoyeur d’emplois locaux, donc non délocalisables. La France doit pouvoir être le fer de lance de ce secteur, comme la géothermie ou les parcs marins éoliens que j’ai pu voir lors de ma visite aux Pays-Bas.
Vous reprenez donc la critique de Jean-Luc Mélenchon à l’encontre de M. Macron : « nouvelles têtes, vieilles recettes » ?
Absolument, notamment sur le volet économique. Les recettes de la précarisation pour tous au nom du « coût » du travail sont symptomatiques : quand parlera-t-on du coût du capital, des licenciements boursiers, des écarts de salaires que nous souhaitons limiter de 1 à 20 dans les entreprises ? Nous ne sous-estimons pas la prise de risque des patrons. Pour autant, est-ce légitime de gagner 350 fois plus que le SMIC ? Ce n’est pas notre vision de la société. Nous avons des propositions pour l’emploi ou pour la relance de l’activité, par exemple la création de 300 000 emplois dans l’agriculture paysanne. Nous ne sommes pas la caricature d’ennemis de l’entreprise que l’on présente parfois : nous pensons que les PME TPE qui se situent parfois dans des secteurs très innovants comme le bio et le numérique doivent être soutenues, notamment par une baisse de l’imposition sur les sociétés. Notre priorité est une relance durable de l’emploi et de l’activité, saine pour l’intérêt général.
Qu’est-ce qui pourrait convaincre les électeurs d’une circonscription pas vraiment ancrée à gauche de voter pour vous ?
J’aimerais nuancer votre postulat. Sur la Belgique, Jean-Luc Mélenchon a fait un point de plus que la moyenne nationale à la présidentielle, à 20.6%, soit assez pour une qualification au second tour ! Le Benelux comporte des profils de français de l’étranger très différent. Il y a des expatriations de courte durée, des étudiants, des personnes établies de longue date... Il faut comprendre leurs problèmes, notamment en ce qui concerne les services consulaires. Si vous avez été récemment au consulat, vous avez fait la queue pendant plusieurs heures, a minima ! Il y a donc un lien de causalité avec les budgets d’austérité et de rigueur dont pâtissent les effectifs consulaires, notamment votés par notre député sortant (NDLR, Philippe Cordery, socialiste ayant appelé à voter Macron avant le premier tour). Il y a un vrai besoin de renforcer les effectifs consulaires comme nous le proposons, car la population française au Benelux n’a cessé de croître…
L’électorat du Benelux est très europhile, en particulier à Bruxelles. Les positions considérées comme eurosceptiques de Jean-Luc Mélenchon, qui n’exclut pas une sortie de l’UE et de l’Euro, ne risquent-elle pas de vous conduire immanquablement à un plafond de verre ?
C’est une bonne question, et je crois qu’on a été largement caricaturé dans les médias mainstream sur nos positions européennes. Jean-Luc et moi sommes profondément européens. Mais nous sommes critiques sur la trajectoire européenne actuelle. Il faut notamment revoir les Traités européens. C’est un projet à long terme, et n’ayant pas gagné la présidentielle notre marge de manœuvre est assez réduite. En revanche, nos élus pourront discuter avec leurs homologues des autres parlements nationaux de l’harmonisation sociale et fiscale. Elle est interdite par l’article 153 du TFUE mais rien n’empêche de la faire avec des pays aux économies structurellement proches de la nôtre là où il y a une volonté politique. Je pense notamment à la coalition des gauches au Portugal ou à la Grèce, avec qui on pourrait avancer sur l’harmonisation de l’impôt des sociétés, une convergence des salaires minimaux, etc. L’Europe souffre de ne pas avoir respecté ses valeurs fondatrices de paix et de qualité de vie pour tous. Elle souffre d’un dumping interne et externe organisé. Il faut mettre en place un protectionnisme écologique et social, ce qui nécessite de discuter avec les Etats-Tiers, et de fixer des barèmes et des contingents tarifaires allant dans ce sens. Il n’y a aucune raison par exemple pour qu’une crevette pêchée en Hollande soit décortiquée au Maroc, puis remise sur le marché européen ! On ne peut pas suivre indéfiniment les recettes néolibérales de course à la baisse des salaires.
Compte tenu de la vague Macron qui s’annonce, quelles sont vos attentes pour ce second tour ?
On est assez inquiet d’un taux de participation extrêmement bas, déjà annoncé par les élections du 1er tour pour les Français de l’étranger [qui se déroulaient une semaine plus tôt qu’en France métropolitaine, NDLR]. On lance donc un appel à la participation. C’est un appelle à la responsabilité démocratique. La bonne santé de la vie démocratique de notre pays dépendra de la pluralité des voix à l’Assemblée national. Nous ne devons pas avoir une assemblée monochrome. Quand un gouvernement entend tout faire par ordonnance ou à coup de 49.3, à quoi sert d’avoir des députés Macron qui ne seront que des députés godillots ?
Par ailleurs, le score de la France Insoumise est loin d’être catastrophique : on est présent dans plus de 78 circonscriptions. Il va y avoir dans la nouvelle Assemblée des députés insoumis n’ayant aucun mandat passé, des figures nouvelles à l’image de la France Insoumise. La société française que l’on souhaite voir représentée dans toute sa diversité n’a rien à voir avec les mots creux de « société civile » brandie par Macron : travailleurs sociaux, étudiants, chômeurs, lanceurs d’alertes… La différence de pourcentage entre M. Anglade et moi-même est certes inquiétante, mais en terme de voix, l’écart n’est pas si important. Nous sommes par ailleurs soutenus par la candidate écologiste, arrivée troisième avec un score presque similaire. Je suis aussi soutenue par de nombreux hamonistes, notamment Emmanuel Maurel. Nous avons avec ces deux forces bien plus qui nous rassemble que ce qui nous sépare. Le bulletin Sophie Rauszer est un recours à la macromania ambiante.
À ce sujet, on sait la campagne nationale et locale marquée par les divisions de la gauche. Une alliance avec EELV au Benelux n’aurait-elle pas permis de créer une dynamique plus importante autour d’une candidature commune ?
La France Insoumise au Benelux a très tôt proposé de faire une coalition avec les écologistes, et ce bien avant le premier tour de la présidentielle. Ils ont été très clairs dans leur choix, que je respecte, de vouloir présenter leur candidature. Maintenant, on est dans le cadre d’un second tour, et ce qui importe est d’être tous unis. La France Insoumise a créé une belle dynamique dans le Benelux. A-t-elle un avenir au-delà du cycle électoral qui se clôt ? Bien entendu. On est plus de 350 insoumis rien que sur Bruxelles. On a fait une très bonne campagne, qui a tissé énormément de liens entre personnes issues d’univers totalement différents. C’est vraiment notre force, car on a dépassé les cadres strictement partisans. Je ne vais pas tout vous dévoiler ce soir, mais on a plein d’initiatives prévues pour après la campagne. Quel que soit le résultat du second tour, on restera une voix d’opposition locale forte, pour faire remonter les préoccupations des Français du Benelux, que ce soit en matière d’aide sociale, de renégociation des conventions fiscales bilatérales entre la Belgique et la France, etc. On continuera à faire remonter toutes les initiatives et tous les projets intéressants, en travaillant vraiment sur le terrain. Nous comptons également nous appuyer sur notre dynamique pour les prochains cycles électoraux, notamment les élections consulaires et européennes.