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La directive OPA compte pour du beurre

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La directive européenne sur les OPA, destinée à renforcer la libre concurrence dans le marché commun, laisse une large marge de manœuvre aux Etats pour protéger leurs sociétés nationales.

Face à des entreprises désireuses d’investir au-delà de leurs frontières et de profiter des avantages de la monnaie unique, la nécessité d’un cadre législatif commun et d’une sécurité juridique accrue est devenue de plus en plus pressante. Mais harmoniser les procédures d’offres publiques d’acquisition (OPA) en Europe n’était pas une affaire gagnée d’avance. Une première tentative lancée en 1989 est rejetée en juillet 2001 par le Parlement européen. Motif invoqué : les dirigeants d’une société cible d’une OPA ne pouvaient se défendre d’une telle offensive qu’après avoir obtenu l’autorisation de leurs actionnaires. Une condition susceptible de rendre les sociétés européennes plus vulnérables à l’égard de leurs consoeurs étrangères, américaines notamment. Deuxième point de controverse soulevé par les eurodéputés de l’époque : la protection des salariés, jugée insuffisante.

15 ans de négociations

En avril 2004, soulagement général : l’Union adopte enfin la directive sur les OPA, élément clef du Plan d’action pour les services financiers approuvé au Sommet de Lisbonne en 2000. Deux impératifs sont mentionnés dans le texte : l’obligation de transparence pour les procédures d’OPA de titres de sociétés et la nécessité d’informer, ou tout au moins de consulter, les employés des deux entreprises concernées par l’offre de rachat. Quant à la règle imposant aux dirigeants d’une société de requérir l’accord des actionnaires avant de se défendre contre une OPA, elle devient facultative.

Pourtant, il existe dans la directive une autre disposition phare : la clause de réciprocité qui permet à une société désireuse d’appliquer le principe de l'accord de ses actionnaires d’en être exemptée si elle fait l’objet d’une OPA par une entreprise ne le respecte elle-même pas. Les Etats membres sont libres d’appliquer cette clause de réciprocité et conservent donc une marge d’appréciation importante dans la mise en place de mesures défensives contre des OPA hostiles.

Une directive impuissante

Bien que la date limite de transposition de la directive dans les législations des Etats membres soit fixée au 20 mai prochain, de nombreux pays n’ont toujours pas modifié leur corpus législatif. La Belgique, l’Italie ou encore l’Espagne comptent parmi les retardataires. Si au Luxembourg et en France, les législations viennent d’être adaptées pour intégrer la disposition communautaire, les gouvernements cherchent dans le même temps à bloquer l'offre du numéro un mondial de l’acier l’indien Mittal Steel sur Arcelor. Favoriser des « champions nationaux » face aux incursions des sociétés étrangères : c’est précisément ce que tentent de faire plusieurs Etats membres dans des secteurs clefs comme l’énergie. Exemples flagrants : la fusion entre Gaz de France et Suez annoncée par l’Etat français pour parer à une offre de l’italien Enel ou encore l’intervention du gouvernement espagnol pour empêcher l’OPA du groupe allemand E.ON sur Endesa.

En vérité, la directive OPA apporte tout sauf une réponse claire à la question des interventions étatiques destinées à contrer une offensive d'achat sur une société nationale. En laissant une large marge de manœuvre aux Etats, elle favorise de facto la tentation du patriotisme économique par les autorités nationales. En mars dernier, Charlie McCreevy, Commissaire à la direction générale marché intérieur, mettait en garde les Etats membres en affirmant qu’il ne resterait pas « inactif devant le protectionnisme ». Il a d'ailleurs déjà engagé des poursuites contre 17 des Etats membres des 25, dont la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne ou l'Italie pour non respect de l'ouverture du marché énergétique aux règles de libre concurrence.

Mais la capacité d’action de la Commission européenne reste limitée : celle-ci ne peut ainsi agir contre un Etat membre prenant des mesures pour protéger ses compagnies nationales qu’à la seule condition que la procédure porte directement atteinte aux règles communautaires du marché intérieur. L'instruction est ensuite très lente puisque l’Etat doit d’abord défendre sa position avant que la Commission n’introduise une action devant la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), qui statuera en dernier recours.