La cuisine française en déclin ?
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emmanuelle.mPouvoir d'achat en baisse, flambée des prix, popularité montante des plats tout préparés... la cuisine française, autrefois si célèbre, serait-elle sur le déclin ? Inquiets, les chefs français demandent en tout cas une garantie quant à la qualité de leur restaurant. Tentons de decrypter le phénomène.
Lorsque vous êtes un étranger en France et que des amis ou votre famille se rend à Paris pour la première fois, ils sont bien souvent déçus par la cuisine française, en raison d'une certaine réputation sans doute. Est-ce parce qu’il leur manque un « palais français » ? Si les amateurs de cuisine se rendent dans des lieux exceptionnels pour aiguiser leur appétit de gourmet, qu’en est-il d’un repas moyen dans un restaurant quelconque, dans la soi-disant capitale mondiale culinaire ?
Le problème, c'est que même de nombreux Français avec lesquels j’ai pu aborder la question ont exprimé la même déception. Une passionnée de restaurants français, France Lys, admet être peu satisfaite de la moitié des repas qu'elle mange au restaurant. Que se passe-t-il alors ? Les Français n’ont-ils pas inventé le mot « gourmet » ? La France reste-t-elle toujours la capitale mondiale de la cuisine ?
« la France est devenue ringarde »
Avec une TVA et des charges patronales élevées, qui s’ajoutent à la crise économique, les restaurateurs peinent à proposer des plats frais et de qualité à des prix compétitifs. Lorsqu’un client paie son repas entre 15 et 20 euros, il se retrouve le plus souvent avec des produits surgelés dans son assiette.
Synhorcat, le syndicat national des hôteliers, restaurants, cafés et traiteurs, a réalisé une étude révélant que 31% des restaurants utilisent des produits industriels dans leur établissement. Et pour les restauranteurs qui préparent des plats frais à partir de produits bruts, ce pourcentage est beaucoup plus élevé.
Michael Steinberger, auteur de Au Revoir to All of That: Food, Wine, and the End of France, avance l'argument selon lequel une faible économie est néfaste pour la gastronomie. « Les petits restaurants peinent à faire des profits. Le gouvernement rend la chose compliquée, il est donc tentant pour de nombreux chefs et restaurateurs de réduire les coûts, ce qui signifie qu’ils ne disposent peut-être pas des meilleurs produits ni du meilleur personnel pour les cuisiner… Cela a un impact négatif sur la nourriture servie dans de nombreux restaurants. À cause du gouvernement, ils ont du mal à s'en sortir financièrement », explique-t-il.
Depuis 2000, les charges patronales ont augmenté de 40%, et les restaurants font face à une TVA à 10%, soit 3% de plus que l’an passé. Ce qui pourrait expliquer pourquoi les restaurants optent pour les produits industriels ou surgelés.
Michel Geffroy, propriétaire d'un restaurant dans le quartier de La Muette, dans le 16 ème arrondissement de Paris, a conservé son menu fait maison, mais utilise quelques produits surgelés comme pour les haricots verts et les frites, ce qui lui permet d’économiser beaucoup de temps de travail. « Si je n’achetais que des produits frais, je devrais embaucher un autre employé », se justifie-t-il. Un employé qui lui coûterait près de 3 000 euros par mois, charges patronales incluses.
Bien que des restaurateurs comme celui de Michel Geffroy réduisent leur budget afin de réaliser un profit là où la marge est déjà restreinte, ils continuent de croire que la France domine le terrain de jeu gastronomique. Ce, malgré l’inertie de la scène gastronomique hexagonale, situation économique oblige. Steinberger, lui, affirme qu’il est délicat de révolutionner la cuisine par ces temps difficiles.
Comment se réinventer ?
« Beaucoup de passionnés de cuisine en ont conclu que, sur les 15 dernières années, la France n’était pas le lieu le plus intéressant pour manger, à l’inverse de l’Espagne, l’Italie, ou le Japon. La France est devenue ringarde. Quand les temps sont durs, les gens veulent des plats réconfortants, et pas de la nourriture expérimentale », ajoute encore Michel Geffroy.
Avec des enjeux si considérables pour le destin de la cuisine française, les restaurateurs et les politiciens, qui craignent de perdre la réputation culinaire de leur pays, tentent de la préserver et de la distinguer grâce à une loi sur la protection des consommateurs. Le label « fait maison » a ainsi été adopté par l’Assemblée Nationale l’année dernière et devrait bientôt être appliqué par les restaurants.
Les restaurateurs comme Geffroy, coincés entre le désir de proposer de la qualité à des prix raisonnables et celui de se fournir en produits surgelés pour gagner du temps et de l’argent, s’échinent à trouver un compromis entre les deux et finissement généralement par avoir des clients mécontents.
Lys, une cliente consciencieuse et capable de différencier les aliments industriels des produits frais, pense qu'une bonne expérience gastronomique, c'est d'abord un petit menu mais de bonne qualité. « Un bon repas gastronomique comporte des ingrédients simples mais préparés de façon élaborée, une ambiance agréable , des serveurs qui connaissent leur menu, les produits qu'il propose, et comment ils sont cuisinés », dit-elle.
Si les Français n’ont pas su maintenir le dynamisme de leur scène culinaire, le journaliste Michael Steinberger estime que la créativité n’a pas complètement disparu, grâce à la bistronomie et à une récente tendance à impliquer des chefs étrangers, qui réinterprètent la cuisine française avec une saveur exotique.
« La bistronomie à Paris était plutôt intéressante, dit-il. Il y a des chefs très talentueux qui ont décidé de ne plus courir après les étoiles Michelin, des gens comme Yves Camdeborde, et d’autres. Vous arrivez, vous mangez ce plat succulent dans un cadre très décontracté un repas qui vous coûtera entre 35 et 45 euros par personne. Ces chefs pourraient décrocher des étoiles Michelin, mais ils ont préféré faire quelque chose de différent. »
Au cours des dix dernières années, la bistronomie a apporté quelque chose de différent à table. La dernière en date fut un groupe de jeunes chefs étrangers – comme Daniel Rose et James Henry de chez Bones – qui ont donné une nouvelle dimension à la cuisine hexagonale. « Le fait que des chefs étrangers cuisinent d’excellents plats français à Paris et soient acceptés par les Français est un signe fort. Avec une nouvelle génération de clients très ouverts d’esprit et plus réceptifs qu’il y a 15 ans, il n’y a pas de raison que quelques-uns de ces chefs ne puissent pas ouvrir de restaurants à Paris », conclue Michael Steinberger. Quoi qu'il en soit, on peut dire que la gastronomie française sait partager.
Translated from THE DECLINE OF FRENCH FOOD