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La Constituante ou la tentation du «Game Over»

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NoWay!

Tous les pompiers vous le diront, la pire chose à faire en cas d’incendie, c’est de céder à la panique. On court, on tourne en rond et on finit pas faire des conneries. C’est exactement ce qui est en train de se passer pour l’Union européenne. Après le non irlandais au traité de Lisbonne, on cherche des solutions de sortie. Et donc revient, lancinante, cette idée de « Constituante » européenne.

L’idée est belle : les représentants des peuples européens réunis en Congrès et adoptant une constitution claire pour le continent. Les peuples enfin réconciliés avec la construction européenne ! L’Union enfin devenue un objet politique identifié !

C’est joli, mais c’est complètement irréaliste, et surtout ça ne tient absolument pas compte de la nature de l’Union européenne. Dans son blog|fr], Jean Quatremer a déjà utilisé l’argument constitutionnel pour démontrer l’absurdité de ce projet. Mais d’autres éléments méritent d’être ajoutés.

Tout d’abord, l’établissement d’une constituante mettrait en danger l’équilibre juridique subtil des traités actuels. Parce qu’il faut quand même rappeler que les traités de Rome originels, qu’on accuse d’être ultra-libéraux et de favoriser l’économique sur le politique, sont un véritable bijou d’architecture. L’objectif de ces traités était simple : donner des droits. Donner des droits aux citoyens contre les Etats. Pour que les puissances étatiques (ou la « souveraineté » pour ceux qui aiment se gargariser de ce mot…) ne puissent plus prendre des décisions absurdes à l’encontre et les empêcher de circuler, de vendre, d’acheter, de créer des entreprises ou de s’installer où ils veulent. Les traités permettent aussi de lutter contre la tendance naturelle des Etats à discriminer en faveur de leurs ressortissants. Ce sont également les traités actuels qui poussent les Etats à respecter l’environnement, à reconnaître des droits à leurs immigrés ou encore à arrêter de gaspiller l’argent public.

L’Europe, avant même d’être une construction politique, c’est avant tout cette idée que la circulation, la communication et l’égalité d’accès sont les meilleurs garants de la paix et de la prospérité. Or, aujourd’hui, la plupart de ceux qui appellent de leurs vœux une Europe politique et/ou sociale ne souhaitent qu’une chose : rétablir les protections et les barrières. Surtout, rétablir la puissance de l’Etat.

Une constituante, si elle était élue aujourd’hui, ne ferait que refléter les peurs actuelles : peur de la mondialisation, peur de l’immigration, peur du voisin… peur de son ombre en fait ! Une constituante ne ferait que détricoter les traités, chacun apportant sa petite exception, sa petite obsession, sa petite peur, son petit favoritisme, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien des principes originels. Une constituante, c’est un boulevard offert à tous les populistes, de gauche et de droite, pour enfin achever ce qu’ils souhaitent depuis tant d’années : mettre à bas l’empêcheuse de mentir en rond.

Mais vouloir mettre en place une constituante, c’est surtout se tromper sur la véritable nature de la construction européenne. L’objectif de tout ça, c’est pas de créer un Etat fédéral classique, une sorte d’Etats-Unis bis ! Non, l’originalité fondamentale de ce processus est justement de rendre possible des politiques publiques hors de toute souveraineté nationale, hors des cycles électoraux nationaux. C’est l’idée révolutionnaire que le suffrage universel n’a pas toujours raison et qu’il existe des notions supérieures, qui doivent pouvoir demeurer au-delà des choix politiques du moment.

Finalement, demander une constituante pour l’Europe, c’est vouloir la faire rentrer dans une certaine forme de normalité, dans des cadres préexistants. Pourtant, tout l’intérêt de ce système, c’est justement de faire en sorte que rien ne soit acquis, que les questions de la souveraineté et de la légitimité de l’action publique restent posées en permanence.

Cette envie d’une constituante, c’est surtout la tentation du « Game Over ». On règle la question une bonne fois pour toute. Fin de a discussion. Or, le principe même d’une société libérale et démocratique, c’est que la question du pouvoir politique n’est jamais définitivement réglée…