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La Commission parlementaire de l’Environnement : centre de pouvoir ou simple pion ?

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Cette institution du Parlement européen reflète-t-elle la conscience publique ? Itinéraire tortueux entre groupes de pression et surproduction législative.

Ne vous êtes-vous jamais interrogés sur les produits chimiques qu’on met dans votre goûter préféré ? N’avez-vous jamais eu du mal à trouver le sommeil parce que vous vous demandiez où les éboueurs emmènent vos poubelles ? Ou dans quelles conditions la viande chemine jusqu’à votre assiette, cette fameuse chaîne « de la ferme à la table » ? Si vous n’êtes pas du genre à vous attarder sur le sujet – et même si vous l’êtes – la bonne nouvelle, c’est qu’il y a des gens, quelque part, qui sont payés pour s’inquiéter à votre place. En clair, les 60 membres de la Commission de l’environnement du Parlement européen.

La Commission de l'Environnement, de la Santé Publique et de la Politique des Consommateurs, pour être précis, a été surnommée la « centrale » du Parlement européen dans au moins une publication. Cette institution préside un vaste corpus de législation et possède des pouvoirs de co-décision – cela signifie que ses membres participent activement à l’élaboration de la législation durant deux lectures, ayant ainsi la possibilité de négocier avec le Conseil sur des points-clés, tout au long de la procédure. Cependant, on peut affirmer que ce n’est pas la procédure de co-décision qui est seule à l’origine de l’influence de cette Commission sur la politique européenne. C’est plutôt le fait qu’elle travaille sur un domaine législatif relativement récent et jusque là inexistant au niveau de l’Union. La politique environnementale, avec son lot d’implications et d’intérêts transnationaux, est une compétence nationale qui n’est ni empruntée ni, comme certains diraient, « volée », mais qui appartient au domaine européen.

Au coeur de la législation « européenne »

Grosso modo, le travail de la Commission de l’Environnement prend de plus en plus d’importance à une époque où notre sécurité, aussi bien individuelle que collective, n’est plus déterminée par les gouvernements nationaux ni limitée aux frontières de l’Etat-nation. Dans un contexte d’interdépendance croissante, à mesure que la question de la sécurité devient transnationale, il en va de même pour la nécessité de gérer et de déterminer les « risques » - l’une des priorités de la législation environnementale. En ce sens, la Commission de l’Environnement du Parlement européen se trouve dans son élément, avec un rôle à jouer dans le contrôle et la régulation des « risques ».

La vie de la Commission n’est jamais monotone. Etant donné l’étendue de la législation, les membres du secrétariat du Parlement peuvent être chargés de plusieurs dossiers à la fois, tandis que le secrétariat du groupe politique (dont le travail est de conseiller et de coordonner les groupes particuliers sur leur position) est en mesure de faire ou de défaire la législation, grâce aux nombreux compromis conclus entre les groupes politiques, ainsi qu’avec les différentes délégations nationales. Les assistants courent d’un dossier à l’autre, surchargés de documents législatifs. Une semaine typique dans cette Commission, c’est discuter un jour de l’avenir de la publicité pour le tabac et des mises en garde pour la santé, et le suivant, évaluer les médicaments sur ordonnance ou voter sur la prévention des risques liés aux produits domestiques ou aux OGM. Le spectre est vaste.

L’« humble » parlementaire, champion du citoyen ?

Un représentant élu à la Commission de l’Environnement a la possibilité de se battre pour des causes souvent importantes dans l’imagination populaire, des causes chères au peuple, à défaut de l’être aux gouvernements et à l’industrie de certains Etats-membres. Sur des questions qui vont du SRAS aux OGM (1), en passant par les tests de cosmétiques sur les animaux, la Commission de l’Environnement a une voix légitime au chapitre, qui est d’ailleurs le plus souvent en harmonie avec celle des groupes civiques, des activistes et des ONG qu’avec celle des grandes entreprises. Si l’on renverse les rôles, l’humble parlementaire peut devenir roi dans la mesure où fonctionnaires et ministres font la cour aux membres à l’origine du dernier rapport en date, rampant dans les couloirs et frappant aux portes dans l’espoir de faire pencher le vote. A la Commission, nombreux sont les commissaires infortunés qui se sont dégonflés sous les attaques féroces de la Présidence, tel Daniel livré à la merci des lions dans le Livre des Proverbes (3).

Le pouvoir le plus important des membres individuels de la Commission de l’Environnement apparaît lorsque que le Parlement a terminé la seconde lecture et que le Conseil a reconsidéré sa position, il n’y a toujours pas eu d’accord entre les deux institutions. Là, le parlementaire a la possibilité de s’asseoir à la même table que les fonctionnaires du gouvernement afin de négocier des compromis et de débattre de certains points lors d’une procédure dite de « conciliation ». Récemment, à l’occasion d’une de ces réunions, les membres de la Commission de l’Environnement ont débattu au nom du Parlement jusqu’au petit matin, afin d’obtenir une double interdiction (de tester et de faire du marketing) d’une durée de 10 ans des cosmétiques contenant des composants testés sur les animaux. Ce genre de victoires représente la réparation d’un déséquilibre institutionnel mais, dans la mesure où le Parlement - sous la forme des MPE [Membres du Parlement Européen] individuels - fait pression pour obtenir plus de pouvoirs, on a l’impression que cette lutte interinstitutionnelle pour le pouvoir, ainsi que l’idéalisme fiévreux des Membres, représente parfois une combinaison puissante, enivrante et malsaine.

Entre intérêt des consommateurs et impératifs du marché unique

On peut considérer que le travail de la Commission de l’Environnement incarne certaines des contradictions mêmes du projet européen, un projet qui fait partie intégrante du processus de mondialisation. Il arrive que les objectifs des puristes environnementaux (qui sont de protéger systématiquement la diversité géographique et environnementale) se perdent dans la marche vers la norme et la standardisation. Il n’est pas exagéré de dire que dans ce processus de création d’un champ normatif communautaire, la législation peut s’apparenter à un bulldozer écrasant tout signe de diversité sur son passage. S’il est possible que les normes de la santé et de la protection des consommateurs soient améliorées, ce n’est pas sans prix : les membres de la Commission de l’Environnement ont adopté une législation qui augmentent les coûts d’autorisation et d’évaluation de la sécurité des pesticides. Dans quel but ? La quantité de pesticides sur le marché sera réduite mais les produits restants passeront sous le contrôle de grosses pointures et de multinationales, tandis que des produits moins connus et moins nocifs seront écartés du marché. Le message est donc clair : « mauvais pour la biodiversité, bon pour le business ! »

La Commission de l’Environnement marche sur la corde raide. Elle est coincée entre le service des intérêts des consommateurs et la satisfaction des besoins du marché interne de l’UE. Même dans les meilleurs moments, cela reste un boulot difficile, qui oblige à travailler avec une législation assez technique, et en même temps abstraite depuis le lieu de l’action, depuis la base.

Il arrive parfois, dans la quête d’un idéal, que la réalité devienne un peu confuse. L’observateur a l’impression que les politiciens s’amusent avec des chiffres ronds qui sonnent bien mais sont irréalistes, si ce n’est techniquement (et même théoriquement) irréalisables, comme par exemple le « 0% d’OGM…0% de métaux lourds ». Le problème n’est pas nécessairement que la politique est trop « écolo » mais plutôt qu’à un moment donné, dans cette soif d’atteindre un but symbolique ou de remporter très vite une victoire politique, nous perdions de vue les intérêts plus généraux et les besoins à long terme de la communauté. La présence des groupes de pression dans ce processus est le plus souvent implicite. Ils tournoient avidement, prêts à fondre tels des vautours sur un corpus qui, à travers une telle masse de travail, n’a pas eu le temps d’envisager les questions dans un contexte autre que celui de la scène des affaires publiques de Bruxelles. Le projet de législation adopté n’a alors plus rien à voir avec la proposition originale des membres de la Commission puisque sont votés des amendements contradictoires qui détruisent le schéma soigneusement mis en place. Tandis que le Conseil les regarde d’un air paternaliste et désapprobateur, comme s’il s’agissait d’adolescents en quête d’idéalisme et de défis.

En raison de la taille de son domaine de compétence et de son impact important sur la législation nationale et la vie quotidienne, la Commission de l’Environnement est bien placée pour devenir une victime de ses propres pouvoirs. En tant qu’institution, elle n’est pas complètement libre, mais doit plutôt faire en sorte d’équilibrer les différents intérêts. Sur les dossiers brûlants, les pouvoirs de la Commission en font une cible vulnérable aux coups de poignard dans le dos, notamment de la part des gouvernements. Il est bon de noter que certains des mythes les plus célèbres sur l’Europe qui circulent actuellement dans la presse anglaise (des « bananes toutes droites » jusqu’à l’abolition des « fish and chips ») trouvent leur sources de politiques adoptées par la Commission de l’Environnement.

Législation ou application: quel futur?

Ce sont de rudes batailles qui attendent la Commission de l’Environnement. Pas un petit élargissement ou le contrôle des importations de marchandises de pays tiers non soumis aux mêmes standards. Le plus grand de ses défis sera de faire face à l’application faible, voire nulle, de la legislation environnementale par les Etats membres. La question est désormais de savoir comment faire obéir ou sanctionner les Etats qui n’appliquent pas la législation –en particulier les futurs Etats-membres qui n’ont pas été impliqués dans cette législation ambitieuse. La Commission de l’Environnement pourrait avoir ici un rôle à jouer en soulignant le besoin d’un dialogue qui surveillerait l’impact de la législation.

Le sentiment général actuel de la Commission de l’Environnement exprime la nécessité de faire un bilan et de s’intéresser plus à la qualité qu’à la quantité de la législation environnementale qu’elle produit. Le domaine de la législation environnementale a maintenant suffisamment d’histoire derrière lui pour nous permettre de regarder en arrière et de l’étudier – et surtout de cesser d’en faire la poubelle d’actes législatifs ignorés et jetés au rebut.

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(1) SRAS : Syndrome respiratoire aigüe sévère ; OGM : Organisme génétiquement modifiés.

(2) Article du « Parliament Magazine » d’Octobre 2002.

(3) Référence biblique : Daniel était un administrateur haut placé des affaires publiques sous le règne du Roi Darius de Perse qui fit preuve de loyauté envers Dieu avant tout, mais aussi envers son roi.

Translated from The European Parliament's Environment Committee: Powerhouse or pawn?