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La CIA au Groenland : histoire d'un polar polaire

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Politique

Mais qu'ont donc transporté les avions de la CIA qui ont survolé illégalement le territoire du Groenland depuis 2001 ? C'est ce qu'a demandé le gouvernement groenlandais aux autorités danoises qui semblent étrangement réticentes à répondre.

C’est une publication du site Wikileaks qui, au début de l’année 2010 met le feu aux poudres. A cette époque, dans un Danemark pacifié après la crise des caricatures de Mahomet, c’est le changement climatique et la transparence politique « à la scandinave » qui assurent à ce petit pays un leadership à la fois européen et international remarquable. Les Danois se préparent déjà à la présidence tournante de l’Union européenne (qui a débuté en janvier 2012) : face la crise économique qui représente l’enjeu crucial de la société, ce pays scandinave représente un excellent modèle de gestionnaire.

Les vols secrets de la CIA ou l'exportation de la torture

Pourtant, la publication de télégrammes confidentiels de l’ambassade américaine à Copenhague, va mettre en danger cette image de marque : ceux-ci dévoilent que de mystérieux passages aériens de la Central Intelligence Agency (CIA) au-dessus du territoire du Groenland et des Iles Féroé, dévoilés en 2008 par un film documentaire de la chaîne DR1, Les connexions danoises de la CIA , n’ont jamais subi l’enquête promise par le gouvernement danois, dévoilant ainsi une possible collusion américano-danoise. L’utilisation de l’espace aérien danois par la CIA, et surtout de l’aéroport de Narsarsuaq au Groenland (construit initialement en 1941 par les soldats américains, nldr) pour assurer le transit de prisonniers aurait été initiée dès 2001. Mais pour aller où ? Et à quelles fins, les États-Unis voudraient-ils les déplacer ?

Dénoncés depuis de nombreuses années par les ONG de défense des droits de l’homme, ces transferts de prisonniers ne sont pas n’importe lesquels. Le terme de « vols de restitution » revient de façon récurrente dans les rapports : le vol de restitution consiste dans le déplacement de prisonniers dits « dangereux » pour la sécurité nationale américaine - surtout des terroristes - et pour lesquels des systèmes d’interrogatoires plus « musclés » sont organisés dans des pays plus propices à accepter ces procédures. En d’autres termes, il s’agit de l’exportation de la torture de prisonniers américains vers – entre autre - la Syrie, l'Égypte et la Jordanie… Ces déplacements se sont multipliés après le 11 septembre 2001 et de nombreux prisonniers de Guantanamo auraient semble-t-il fait escale au Groenland pour des destinations mystérieuses, depuis cette année 2001.

En octobre et novembre 2011, les territoires arctiques du Danemark relancent leurs revendications d’explications auprès du nouveau gouvernement danois. Au final seul le Premier ministre groenlandais, Kuupik Kleist, obtiendra, partiellement, gain de cause. Le 2 novembre 2011, l’institut danois indépendant pour les relations internationales du Danemark (DIIS) est officiellement chargé d’une commission d’enquête, restreinte finalement au territoire du Groenland ; restreinte également, à l’utilisation des ressources déjà rassemblées par l’ébauche d’enquête commencée en 2008, sans possibilité de nouvelle enquête, ni d’obtentions de nouveaux témoignages, informations ou réquisitions. Le ministre danois précise officiellement qu’une enquête complète repartie de zéro aurait été trop coûteuse. En off, cependant, certains experts comme Mads Flugede de l’Université de Copenhague, craignent que les conclusions de ce rapport n’aient des conséquences néfastes sur les relations du Danemark avec les États-Unis.

Une position délicate à double titre

Cette frilosité danoise par rapport à une question de non ingérence inter-étatique mais aussi de droits humains fondamentaux, place le pays dans une situation délicate à double titre. D’une part, à l’heure où l’Union européenne (actuellement sous présidence danoise !) tente de faire pression sur la Hongrie en raison de ses dérapages enfreignant les libertés des citoyens, il est assez mal venu de laisser la CIA disposer de ses aéroports pour enfreindre allégrement les droits de l’homme, sans demander de comptes. 

« Tous les pays arctiques se préparent à une compétition stratégique plus grande pour l’accès aux ressources »

D’autre part, selon Erik Gant du secrétariat des peuples autochtones au sein du Conseil de l’Arctique et lui-même d’origine groenlandaise, il y a une réelle nécessité à ce que le Danemark, membre de l’Union européenne, maintienne un lien constructif et respectueux avec ce territoire arctique dans un contexte de tensions grandissantes pour l’exploitation des ressources minérales et énergétiques dans l’océan Arctique : « Tous les pays arctiques se préparent à une compétition stratégique plus grande pour l’accès aux ressources, tous renforcent leurs flottes. En outre, d’autres pays comme par exemple la Chine, augmentent leur capacité de navigation »

Composé du Canada, de la Finlande, des Etats-Unis, du Danemark, de l'Islande, de la Norvège, de la Suède et de la Russie.Ole Wæver, professeur de science politique internationale à l’Université de Copenhague, souligne que cette affaire a une importance symbolique particulière pour l’affirmation du Groenland, toujours en quête d’autonomie politique complète par rapport au Danemark : « C’est un pas nécessaire du gouvernement qui permet aux autorités groenlandaises de se sentir à l’origine d’une initiative, et cela contribue à maintenir de bonnes relations entre les deux pays. » Il faut dire que le Groenland, dont au moins 80% de la population est inuit, constitue un exemple inédit de progression de l’autodétermination politique d’un territoire autochtone. M. Gant confirme : « le Groenland est considéré comme un exemple à suivre par les autres peuples autochtones en quête de la construction de leur auto-détermination, à la fois en termes de dévolutions du pouvoir politique, de droit foncier mais aussi de droits spécifiques des peuples autochtones. »

Photos : Une (cc) tymotion/flickr ; Texte :  espion derrière les lunettes, (cc)jcoterhals/flickr, Conseil arctique, courtoisie de la page contact du site officiel du Conseil arctique ; Vidéo : bjones4/youtube