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La Bulgarie et la presse : le torchon brûle

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Laurent Pechamat

Société

65 ans que le Conseil de l'Europe demande que « la liberté de tenir des opinions, de recevoir et de communiquer des informations, des idées, sans interférence de la part des autorités publiques, et ce, sans aucune considération de frontières » devienne une réalité. Dans la Bulgarie d'aujourd'hui, tout ceci reste encore, selon notre journaliste, une belle chimère.

Contrairement à mes convictions précédentes, le manque de parole libre en Bulgarie n'existe pas seulement à cause du pouvoir des « intouchables » oligarques et des gros capitaux, mais aussi à cause du silence complice des journalistes, consommateurs, et autres organismes de réglementation. 

Une recherche rapide depuis mon bureau suffit pour découvrir les problèmes, proposer des solutions et exposer cette obéissance à l'autorité. Le tableau pourrait être défini par un manque de transparence dans la propriété des médias, une décroissance du pluralisme médiatique ainsi qu'un déclin dans la liberté d'expression.

En 2015, lors de l'Index Annuel sur la Liberté de la Presse Mondiale, Reporters sans Frontières a classé la Bulgarie en dernière place parmi les 28 États européens. Elle a aussi été classée 106ème parmi un total de 180 États surveillés - équivalent à une perte de 6 places par rapport à l'année précédente.

Ce qui est même plus inquiétant, c'est le fait que quelques années en arrière seulement (en 2006) elle éfigurait à la 35ème place. Ce qui signifie qu'au cours des 9 dernières années, elle a perdu 71 positions. La Bulgarie a rejoint l'Union européenne en 2007 : depuis lors, la situation semble s'être aggravée. 

« Abus de pouvoir omniprésent » et « étroit entremêlement entre oligarques et pouvoirs politiques, ce qui empoisonne le marché », faisaient partie des arguments avancés en vue du retrait de l'un des plus gros propriétaires de médias étrangers dans le pays - le conglomérat allemand Westdeutsche Allgemeine Zeitung (WAZ), qui a vendu tous ses actifs bulgares quelques années auparavant.

Mais ce n'était que le commencement. D'autres grands acteurs, comme la  Corporation d'Information de Rupert Murdoch et l'éditeur suédois Bonnier se sont aussi retirés du marché bulgare. Leur explication  officielle ? La crise économique mondiale de 2008. 

Cependant, l'an dernier, un état des lieux réalisé conjointement par des ambassadeurs français et allemands en Bulgarie a mis en lumière les véritables raisons. Parmi celles-ci, l'augmentation en quantité des médias, papiers et électroniques, sous l'égide d'un modèle oligarchique menaçant la démocratie elle-même et menant, pour certains, à la création d'un « État dans l'État. »

« Lisez tout à ce sujet ! » (295 fois...)

Comment en sommes-nous arrivés là ? La situation est-elle mauvaise à ce point ? Ou bien l'euroscepticisme devient-il habituel lorsque l'on parle de la Bulgarie ? Dans le pays, il existe 295 journaux au total (incluant 57 journaux quotidiens), 87 prestataires de service de radio et 114 pour la télévision, selon l'Institut National des Statistiques. Ceci nous amènerait à croire qu'il y a une grande diversité, mais en réalité, « le paysage médiatique actuel en Bulgarie est caractérisé par la dominance d'une large minorité de propriétaires, qui sont par conséquent placés dans une situation oligopolistique », comme l'a souligné un rapport de Nils Muižnieks, le Commissaire européen des Droits de l'Homme, suite à sa visite en Bulgarie en février 2015.

Dans son rapport, d'autres questions soulevées incluent la distribution des journaux dans les kiosques - qui s'apparente à un monopole - et le manque d'indépendance des médias bulgares vis-à-vis des pressions économiques et politiques. En particulier, il cite des recettes publicitaires détournées par des entités externes comme certaines compagnies privées ou quelques autorités publiques exerçant une influence sur du contenu éditorial.   

Malgré le fait que pour la presse, il n'existe pas de subventions officielles de la part de l'État ou du monde des affaires, différents corps gouvernementaux dépensent beaucoup d'argent dans la publicité, ce qui fait d'eux les principaux « sponsors » médiatiques. Il serait intéressant pour M.Muižnieks et ses collègues de savoir qu'entre la période 2009-2013, l'administration de l'État a placé plus de 19,5 millions de dollars dans les compagnies de médias privées à travers des campagnes publicitaires et d'information. La majeure partie de cet argent provenait des progammes de financements européens.   

Par conséquent, il est tout simplement logique que ni l'État, ni les financiers n'ont un intérêt quelconque à réfuter cette histoire de couverture bien pratique autour de leur partenariat cynique. La même chose s'applique pour la plupart des journalistes - très peu d'entre eux se risqueraient à compromettre leur propre existence en tenant ouvertement des propos qui iraient à l'encontre de leurs influents financeurs. De cette manière, l'autocensure est devenue aujourd'hui l'une des tendances les plus  négatives. Un phénomène qui est déjà devenu une règle, et plus une exception.   

Un « secret public »

Mais qui sont ces détenteurs ? La plupart des gens diront qu'il s'agit d'un  « secret public » que le plus gros acteur - le Nouveau Groupe Médiatique Bulgare (NGMB) - est lié à Irena Krusteva, mère du controversé Delyan Peevski, membre du Parlement et homme d'affaires. « Officiellement, Peevski n'a aucune propriété, mais il est globalement reconnu qu'il contrôle de vastes intérêts économiques, et un groupe médiatique très puissant, menant une guerre de l'image contre ses adversaires politiques », révèle un rapport EurActiv de 2015.

Il y en a d'autres, comme Ivo Prokopiev et Sasho Donchev, mais malgré la grande influence que possèdent leurs chaînes médiatiques sur l'opinion publique, la part globale est mineure comparée à l'Empire NGMB. Malheureusement la régulation des médias publics est sérieusement discréditée et inopérante. Il n'y a pas non plus d'exigences légales quant à la divulgation des propriétaires des médias. Par conséquent, aucune manière officielle de savoir qui détient quoi, ou quels autres intérêt politiques ou financiers ils ont.

D'une part, nous sommes en présence d' une pression économique et politique. D'autre part, on note le fait que toutes les réformes de régulation nécessaires sur la légalité dépendent des partis politiques. Combiné, cela ne nous donne aucune raison de croire en une quelconque amélioration, mineure soit-elle, dans le futur proche.

De plus, une enquête récente sur la liberté de parole conduite par l'AEJ–Bulgaria a révélé que 53,8 % des journalistes locaux, parmi les 143 interrogés, ont admis avoir été personnellement empêchés d'exercer librement leur profession, tandis que 72 % d'entre eux témoignent que leurs collègues sont sujets à des pressions infondées. Cependant, quasiment aucun parmi eux n'aborde publiquement cette auto-censure sans précédent.  

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Cet article fait partie du projet East Side Stories qui a vocation à déconstruire les clichés décochés contre l'Europe méridionale et donc d'éviter de sombrer dans le côté obscur de la force.

Translated from Press freedom in Bulgaria: No country for old values?