« La Bombe » ou comment renverser les codes du viol
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Écrit sous le coup de la colère, le morceau « La Bombe » de ZOU est un rare témoignage artistique sur le viol. 4 ans après le texte, la chanteuse française qui vit entre Paris et Berlin a choisi de l'illustrer avec un clip de 6 minutes. Mais que peut-on montrer quand on parle de viol ? Entretien explosif.
Campagnes de pub borderline, agressions sexuelles à répétition égrenées au sein de pépites pop-culture, laisser-passer juridiques pour violeurs… Ajoutons à la sexualisation du corps féminin la banalisation des violences qu’il subit. Quitte à flirter parfois avec la « glamorisation ». Mais que se passerait-il si les rôles s’inversaient ? Que glapirait l’opinion publique si Ramsay avait dû subir les assauts de Sansa ? ZOU semble y avoir longuement réfléchi : « Malheureusement, nous fonctionnons ainsi : si nous ne nous identifions pas, si ce n’est pas proche de nous, nous ne nous y intéressons pas ». Artiste française expatriée à Berlin, ZOU a écrit « La Bombe » comme un moyen d’expurger sa colère face à la violence des rapports genrés. Quatre ans plus tard, elle en co-réalise la vidéo. Sélectionné au Berlin Music Video Awards, le clip se joue et renverse les codes établis afin de proposer une vision atypique des violences sexuelles. Résultat : ça titille là où ça fait mal. Entretien avec une femme aussi douée avec les mots qu’avec les images.
Peux-tu nous en dire plus sur la genèse du projet ?
ZOU : J’ai écrit la chanson « La Bombe » il y a 4 ans. Je me suis inspirée d’expériences personnelles qui ont fait écho à ce que je voyais sur les écrans, magazines, etc. L’idée de mettre en scène un viol est venue plus tard. Pour moi, cette hypothèse de travail est symbolique : elle transcrit ce que j’exprime dans la chanson en allant plus loin encore. Cette direction artistique a été confortée par ce que je voyais autour de moi. Je voulais montrer la violence des rapports humains et mettre en lumière la puissance/responsabilité des médias. La Bombe, c’est une rébellion, une critique à l’état brute de la normalisation de la violence. C’est l’utilisation de mots ingrats dans la bouche d’une artiste-femme pointés sur la tempe d’un jeune homme. J’ai accouché de la Bombe d’une manière sauvage. J’étais très en colère. Ensuite, j’ai fait mûrir le projet au travers de discussions, visionnages, lectures.
Pourquoi « La Bombe » ?
ZOU : Il y a une idée d’explosion, de guerre, de projection, mais aussi de canon de beauté. C’est paradoxal et ambigu, comme tout ce qui entoure la question du viol. Dans « La Bombe », il y a l’idée de rupture : rupture avec le schéma social connu. Nous avons cherché à donner la possibilité aux hommes de s’identifier à la victime et aux femmes de s’identifier aux bourreaux. Étonnamment – ou non -, il est plus difficile de trouver un acteur ayant assez de cran pour jouer le rôle de Jim, que de trouver une actrice pour interpréter le rôle d’une femme victime de viol. En revanche, j’ai noté des retours très positifs des spectateurs masculins, et plus compliqués, disparates pour les femmes. Nous sommes abreuvés de viols de femmes très mignonnes au cinéma, de clips profondément misogynes. Et c’est toujours les mêmes schémas, ça devient la normale. L’idée de « La Bombe » est de changer le référent pour prendre conscience que ce n’est pas normal : un viol, ce n’est pas sexy. Bien sûr, pour La Bombe nous avons joué à fond sur le sex appeal de l’acteur Cyril Crampon, afin de montrer à quel point cela pose problème. Érotiser un viol, c’est dramatique. Avec ce twist, le renversement des rôles, nous redonnons implicitement au viol sa nature d’horreur. Dans les paroles, je fais référence « kitschement » aux membres de ma famille afin de condamner le viol par association et en jouant sur notre capacité à ressentir de la compassion pour l’autre : si je ne veux pas que cela arrive à mon frère, alors je ne veux pas que cela arrive aux hommes, aux femmes, etc. Loin du corps, loin du coeur. Nous rapprochons les corps pour parler au coeur, finalement.
Le clip a été tourné dans un bel endroit de Paris…
ZOU : Oui, nous avons tourné sur le toit de la Sorbonne. C’était important pour moi de poser le décor dans un espace exceptionnel et de sortir des présupposés et stéréotypes qui entourent le viol, et qui empêchent de penser. En effet, nous voulions sortir du décor mainte fois repris de la banlieue, de la ruelle noire. En quelque sorte, nous avons joué avec la familiarité et l’exceptionnalité du lieu. Un toit qui surplombe la ville, ça nous extrait du temps, de l’espace quotidien, de la réalité. Par là, nous avons cherché à garder une distance avec l’histoire. L’université Panthéon-Sorbonne, c’est aussi pour moi un lieu emblématique. C’est un lieu de culture, de civilisation, d’émancipation, d’héritage aussi. Nous sommes en plein coeur de Paris, dans le quartier latin, à deux pas du Panthéon, de la bibliothèque Sainte-Geneviève, etc. Pourtant, même ceux qui ont accès à tout ça, se permettent de faire du mal. Les viols, les viols organisés en soirée… Il y a des histoires presque tous les ans en écoles de commerce, plein de faits qui sont tus par les administrations pour ne pas abîmer l’image de l’établissement, quand encore elles sont mises au courant. Des histoires dont on ne parle pas ouvertement, que l’on ne nomme pas, mais qui sont bel et bien des viols. (...) Avec La Bombe, nous parlons à l’élite de ses tabous.
Comme tu dis, on a l’habitude de voir des scènes de viol conventionnelles. Mais là, le fait que ce soit un homme – et malgré le fait que rien ne soit vraiment montré – c’était très gênant à regarder…
ZOU : C’est cool ! Pour moi, c’était une expérience, je ne savais pas si cela fonctionnerait. En effet on ne montre pas grand-chose, c’était important pour nous de jouer sur une ambiguïté. Du fait du décor rêveur, de la lumière douce, du bel acteur, il y a une forme de romantisme qui émerge. Ça n’en reste pas moins un viol. Nous voulions assumer le pastiche jusqu’au bout et ainsi aller au drame. C’est l’originalité de La Bombe. L’inversement des rôles n’a rien de nouveau, mais de le faire sérieusement, je ne l’avais jamais vu, c’est pour cela qu’on l’a fait ! Il y a un vrai souci dans le traitement du viol. Par exemple, dans Irréversible (film de Gaspard Noé – 2002, ndlr), la scène d’agression sexuelle est très trash mais en même temps érotique. Et l’érotisation est vraiment problématique (...) Mais une chose est sûre, le viol, c’est un fléau dans nos sociétés. Et par rapport à cette question, les artistes et les médias ont une responsabilité (...) Beaucoup d’artistes utilisent le sexe, les propos misogynes, à des fins économiques et médiatiques, simplement pour créer le buzz. C’est un choix égoïste qui est excusé par un pan entier du monde de l’art contemporain (...).
Tu vis à Berlin et tu as tourné le clip à Paris. Notes-tu des différences entre les deux pays sur l’égalité des genres ?
ZOU : Quand je suis arrivée en Allemagne, je trouvais l’environnement génial et beaucoup plus égalitaire qu’en France : il y a un côté très pragmatique, ça a l’air plus structuré, dans la rue, on ne te siffle pas… Puis, j’ai travaillé dans une société de production très bien établie sur le marché national et européen : à peine 5% de réalisatrices femmes. Ooops ! Dois-je changer de carrière ? Le plafond de verre existe aussi ici. On le voit moins de prime abord, mais il est tout de même présent. Nous avons décidé de tourner à Paris parce que c’est là que j’habitais lorsque j’ai écrit le morceau et puis je chante en français. C’était plus cohérent que de le tourner à Berlin.
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