La bella gente, bobos italiens et limites de la charité
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La Bella Gente un film d’Ivano Matteo (Italie, 2009) Avec Monica Guerritore, Antonio Catania, Elio Germano et Victoria Larchenko.
Mélodie Labro Un couple de vacanciers romains enlève une jeune prostituée ukrainienne et croit ainsi lui donner une chance de repartir à zéro.
Quand le fils chéri séduit l’adolescente et que la victime reprend du poil de la bête, les nobles sentiments laissent place à un spectacle désolant, entre retour des préjugés, veulerie et hystérie.
Alfredo et Susanna, la cinquantaine, sont des gens biens. Ils partagent leur vie entre Rome et leur belle villa à la campagne. Cultivés, altruistes, ils s’émeuvent parfois des horreurs racistes que profèrent leurs voisins m’as-tu-vu avec lesquels ils passent pourtant toutes leurs journées autour de la piscine. A la campagne, on doit être un peu moins exigeant, surtout lorsqu’il s’agit des relations humaines. Susanna, psychologue, vient en aide aux femmes maltraitées. Un jour, sur la route qui la ramène du village, elle voit une jeune prostituée se faire battre par son souteneur. Bouleversée, elle est décidée à intervenir. Ce sera Alfredo qui devra, à contre cœur, enlever et ramener la jeune fille à la maison. Nadja, Ukrainienne de seize ou dix-sept ans, est terrifiée mais se laisse peu à peu apprivoiser. Le couple découvre une adolescente bien élevée et sensible. Si le mari veille à traiter Nadja avec respect, les sentiments de Susanna à son égard sont plus troubles. Tour à tour psychologue, maternelle, elle se montre aussi odieuse lorsque celle qu’elle a « sauvée » s’émancipe et s’éprend de son fils, Giulio. Caricature de l’adulescent, fils à maman assez ingrat, il mène sa petite vie sans trop se soucier des autres. Les bons sentiments de ses parents le font rire, lui et son horripilante copine Flaminia, une poupée oxygénée, qui voue d’emblée une haine suspecte à la pauvre Nadja.
Certaines personnes ne devraient jamais se rencontrer. Nadja n’a jamais réclamé l’aide de Susanna dont les motivations sont incompréhensibles tout au long du film. Aider une victime, cela est très louable, mais de là à l’enlever et à l’enfermer dans une maison isolée … Ivano Matteo justifie de fait la dérive de son histoire vers la tragédie et la violence par les incohérences du personnage de Susanna, excessive, impulsive… terrifiante.
Ce qui meut Susanna, c’est l’impérieux besoin d’agir en réaction (une définition plutôt négative de l’action) à son milieu. Quand ses voisins, odieux en tous points – Fabrizio, le chantre du buziness et son épouse, la paresseuse Paola (Iaia Forte, très drôle)- heurtent ses bons sentiments de bourgeoise de gauche, elle les rabroue gentiment. Il paraît donc assez normal qu’Alfredo et Susanna ne justifient que très mollement l’enlèvement de Nadja auprès des gens qui les entourent (Giulio, sa copine et les voisins Bidochon). Ils savent que cet acte est criminel (aspect très bien mis en scène au début du film, lorsque la pauvre jeune fille s’enfuit dans la forêt pour leur échapper) mais l’ont commis au nom de la « morale ». Les voisins, le fils et sa petite amie sont si peu regardants en fait de moralité, qu’ils ne posent pas la question de l’enlèvement en des termes d’éthique (« est-ce bien ou mal d’enfermer une fille et de l’exposer, elle ou sa famille, au courroux de son souteneur ? »). Ce qu’ils veulent savoir c’est si ce rapt menace leur intérêt ou non (la tranquillité des vacances pour Fabrizio et Paola ou la fidélité du fils pour Flaminia).
Des personnages mesquins...
C’est alors un spectacle délirant qui se déroule sous nos yeux. Voilà des gens dont la sensibilité est quasi inexistante ou alors très bien cachée. Délirant mais pourtant étrangement attendu. On ne s’étonne pas vraiment de la mesquinerie des personnages. Giulio est un égoïste, Fabrizio un profiteur et Alfredo un lâche. Quant à Paola et Flaminia, elles continueront leur petite vie, et oublieront certainement l’incident. Seul le revirement égocentrique de Susanna est dérangeant, parce qu’elle semblait habitée par des doutes, des sentiments complexes (une piste finement explorée par Ivano Matteo puisque Susanna fête dans le film ses cinquante ans et que diverses photos d’elle à l’apogée de sa beauté ornent les murs de la maison).
Cruelle ironie
Susanna et Alfredo traînent leur dégaine d’adolescents et sont, dès les premières scènes, à la fois agaçants – archétypes des bobos- et sympathiques parce qu’ils sont entourés par bien pires qu’eux. Leur décision et leur façon de sauver la prostituée au début du film sont en quelque sorte touchantes de naïveté. Sauf que, les soupçons stupides, les humiliations et les préjugés faciles s’installent tout aussi facilement qu’étaient apparus les nobles intentions du début. C’est sans doute parce que le couple, mollasson, un peu de gauche et beaucoup bourgeois, ne lutte pas vraiment contre la future bru, les voisins et leurs propres démons. Au fur et à mesure, la prison dorée de Nadja, entre la maison, la campagne filmée comme un (faux) havre de paix (on pense ici à la mélasse pop-rock qui accompagne les ébats champêtres de Giulio et de la jeune fille) et les ballades en voiture devient le théâtre de l’hystérie collective.
Ou elle seule reste muette et digne.
La belle Victoria Larchenko essaie de se faire toute petite, baissant les yeux, adressant de timides « spasiba » toute la journée. Elle est à la fois Manon Lescaut – pas dupe pour un sou des vils sentiments animant ce bas monde – et Virginie. Mais son Paul est un benêt amateur de techno et de belles voitures. Le personnage de la prostituée ukrainienne (victime à bien des égards : femme, jeune, prostituée et étrangère) est en charge de toutes les questions morales que soulève Ivano Matteo. Elle porte le plus beau des prénoms, celui de la femme captive, objet de toutes les passions, masculines et féminines. Elle n’a jamais demandé à être sauvée. Sa gratitude n’est pas feinte. Fille de l’Est, elle ne bade pas le capitalisme, comme l’assène Susanna lorsqu’elle atteint le comble de la méchanceté, mais regarde en effet tout ce nouveau monde avec envie et bonheur. La beauté est si l’on veut attirée par les belles choses… à défaut de rencontrer la bella gente.