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« La Belgique est un paradis des drogues », vraiment ?

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Société

A la faveur d’un rapport édité conjointement par l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie et Europol, De Standaard a consacré sa Une du 4 février 2013 aux drogues en titrant, sobrement, « La Belgique est un paradis des drogues ». cafebabel.

com s’est entretenu avec Laurent Laniel, l’un des chercheurs les plus impliqués dans la rédaction dudit rapport, pour savoir - entre autres - si on ne planait pas là en plein délire.

Les effets de la drogue sont tels que parfois, ils atteignent aussi les personnes censés la traiter. Il faut bien le dire, la couverture du De Standaard avait de quoi faire passer ses journalistes pour des accros aux trips éditoriaux. Pourtant, le quotidien belge néerlandophone s’est appuyé sur un rapport scientifique, qui devrait fixer les orientations politiques de l’UE en matière de drogue sur la période 2013-2017. Commandé par la Commission auprès de l’Observatoire européen des drogues (EMCDDA) et de la toxicomanie et d’Europol, les articles de ce document ont été en grande partie rédigés par un chercheur français, Laurent Laniel. Sociologue, chargé de recherche à l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure à Saint-Denis La Plaine et par ailleurs fondateur du blog Drugstrat, il nous explique les détails du rapport utilisé par le Standaard et ce qu’il se cache derrière la face cachée de sa Une.

cafebabel.com : Le 4 février dernier, le quotidien De Standaard titrait « La Belgique est un paradis de drogue » en se fiant au rapport que vous avez en partie rédigé. Quel est votre sentiment ?

Laurent Laniel : C’est une généralisation à tendance sensationnaliste. Certains facteurs comme les nombreux point d’importations d’ecstasy et de méthamphétamine ainsi qu’une production importante de cannabis en Belgique peuvent conduire à ce genre d’assertion. Mais franchement, c’est une exagération. La Belgique ne se dégage pas sensiblement des autres pays européens en matière de drogues.

cafebabel.com : Dans ce rapport, vous évoquez le « tourisme de la drogue » qui peut conduire à de mini-chocs diplomatiques selon la législation adoptée par les pays voisins. Qu’en est-il exactement ?

Laurent Laniel : Au Pays-Bas par exemple – qui propose un dispositif légal assez particulier – les coffee-shops sont alimentés par des moyens légaux mais la quantité de production de cannabis en Hollande est illégale. Un arsenal répressif a été mis en place et conduit les producteurs de cannabis à s’expatrier ou, du moins, la pression policière à reporter les planteurs dans les pays voisins, notamment à la frontière belge. Les minis chocs diplomatiques dont vous faites allusion et notamment celui faisant intervenir la France de Chirac en 1996 et le gouvernement néerlandais concernait plutôt les jeunes français qui partaient en Hollande fumaient du cannabis en s’adonnant parfois à de la contrebande.

cafebabel.com : Vous établissez aussi un lien entre les établissements qui vendent de la drogue en toute légalité et le crime organisé…

Laurent Laniel : Oui alors attention, il ne faut pas confondre les coffee-shops avec les magasins qui vendent des graines par exemple. Ces derniers sont souvent la propriété de personnes issues du crime organisé qui ont créé un véritable business du cannabis. Business qui se traduit par l’élimination des concurrents ou l’utilisation de comportements agressifs sur les employés. On appelle ça « la violence horizontale » qui correspond en fait à une série d’agressions commises sur un même niveau, entre mafieux.

cafebabel.com : Que pensez-vous de l’arsenal juridique mis en place par le gouvernement hollandais qui après avoir réduit la quantité de cannabis à la vente n’autorise depuis janvier 2012 la fréquentation des coffee-shops qu’à ses résidents ?

Laurent Laniel : Je constate un mouvement de restriction. Je ne peux pas spéculer ou m’exprimer sur les choix politiques des États membres. Je constate, simplement.

cafebabel.com : Le rapport insiste beaucoup sur le nouveau visage qu’aurait pris le trafic de drogue ces dernières années en Europe avec le concours notable d’Internet. Dans quelle mesure le Web facilite-t-il le crime organisé ?

« L’une des grandes forces de l’Europe c’est qu’elle ne considère pas la drogue uniquement comme un problème criminel »

Laurent Laniel : Disons que ça facilite les relations entre criminels. Les nouvelles substances psychoactives sont en grande majorité fabriquées en Asie. Et avec Internet, il est assez simple de s’en procurer. Là où ça devient compliqué, c’est qu’en Inde et en Chine, ces nouvelles drogues ne sont pas interdites et les entreprises qui les produisent ne sont même pas au courant de leur destination. Les criminels proches de ces entreprises sont particulièrement conscients de l’évolution de telle ou telle nouvelle substance. Il suffit d’être un peu calé en chimie et de lire des revues scientifiques pour rapprocher un produit pas encore interdit des effets de certaines drogues quant à elle illégales. Il est très difficile de lutter contre ça. Ces personnes là ont toujours un coup d’avance parce que le temps que l’on s’aperçoit qu’une nouvelle drogue est sur le marché, de son étude etc…bref c’est long. Enfin, on ne connaît pas leurs effets à long-terme, si elles sont dangereuses ou pas… On est dans l’inconnu total.

cafebabel.com : Quelles sont les spécificités de l’Europe et des moyens mis en place pour lutter contre le crime organisé comparé à d’autres continents ?

Laurent Laniel : L’une des grandes forces de l’Europe c’est qu’elle ne considère pas la drogue comme un problème purement criminel mais aussi comme une question sociale et sanitaire. Le fait que l’on prône une approche sanitaire permet souvent de contrebalancer le désespoir des gens qui sont complètement sous l’emprise de la drogue.

Photos : Une (cc) the-g-uk/flickr ; Vidéo : (cc) euronewsfr/YouTube

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.