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Kosovo : quelle nationalité ?

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Société

Rencontre avec Migjen Kelmendi, rédacteur en chef du journal Java, à Pristina. Alors que le Kosovo émerge sous la forme d’un Etat indépendant, il évoque la question de l’identité de ce peuple multiethnique.

Au Kosovo, personne ne se définit comme Kosovar. Vous n’entendrez que des « I’m albanian » ou « I’m serbian » voire « I’m askhali ». Pour un Européen de l’Ouest fraîchement débarqué à Pristina depuis quelques jours, un tel constat peut être déroutant. Mais alors, le Kosovo, qu’est-ce que c’est ? Quelle est son identité ?

Migjen Kelmendi a son idée bien à lui sur le sujet. Une idée, pas très conventionnelle. Comme le personnage d’ailleurs : de rock star lors de la période communiste, il devient journaliste dans les années 80. Opposant au régime de Milosevic, il fuit le Kosovo lors des bombardements de l’OTAN. A son retour, on lui propose la direction de RTK, la télévision publique kosovare. Il n’y restera qu’un an, préférant fonder son propre journal, Java, un canard d’opposition bien entendu.

Une langue bannie

Mais pour s’opposer à quoi ? Au nationalisme albanais. A la chape de plomb qui plane sur la presse. Et surtout à la discrimination qui entoure la langue guègue. « Ce que personne ne sait, c’est qu’au Kosovo, nous parlons tous le guègue, un des deux dialectes qui composent la langue albanaise », explique le journaliste. « Mais tous les journaux sont écrits en tosque, l’autre dialecte ! Pour quelle raison ? Tout simplement car cela fait mieux. Pendant toute la période communiste, les Kosovars ont essayé d’imiter l’Albanie (ndlr : qui bien que parlant majoritairement guègue, utilise officiellement le tusk pour des raisons historiques), pour s’identifier à quelque chose », explique cet homme passionné et cultivé, qui en 2007 a reçu le Press Freedom Award de la part de Reporters Sans Frontières pour son journal en guègue. Une fierté.

Ecoutez les deux dialectes kosovars :

Guègue : Tung çka po bon, a je mire? ('Bonjour, comment vas-tu ?')

Tosque : Hë më, ç’kemi ? Mire je ? ('Bonjour, comment vas-tu ?')

Lors du lancement du magazine en 2001, Migjen Kelmendi a subi des pressions et des intimidations. Il a été décrié comme un traîte à la cause albanaise. « La langue guègue est bannie aujourd’hui , poursuit-il. « Ce rejet n’est pas anodin : on cherche à montrer un peuple albanais uni, avec une seule identité. Mais ce n’est pas la réalité ! C’est un délire de nationaliste comme de croire à une Grande Albanie ou à un Age d’Or passé ! »

Comme en 1945

Ces nationalistes, Migjen Kelmendi les combat : « Ces gens-là ne supportent pas la différence. Ils n’aiment pas « l’autre ». Or nous, les Albanais, nous ne sommes pas seuls au Kosovo, même si nous sommes entourés par 90 % d’albanophones. Construire un Etat kosovar sur un modèle ethnique ne tient pas la route », dénonce-t-il en rêvant à un état multiethnique, un Kosovo où le sentiment d’appartenance ne reposerait pas sur la communauté mais sur une loyauté envers un Etat au service de tous les citoyens. « Une société basée sur des valeurs communes, voilà ce qu’il nous faut. »

Pour illustrer son propos, Migjen Kelmendi prend un exemple très symbolique pour des Européens de l’Ouest : « En 1945, en Allemagne, il était impossible de parler de nationalisme, pourtant il fallait bien reconstruire l’Etat allemand. Nous devons faire la même chose ici : développer le sentiment citoyen et démystifier ces nationalismes qui divisent le Kosovo. »

Mais le journaliste est optimiste : « Il y a des signes qui montrent que les mentalités progressent dans ce sens, lance-t-il, comme pour le drapeau du futur Kosovo. Un concours a été organisé pour dessiner le futur symbole de l’Etat kosovar. Car, aujourd’hui, celui qu’on peut voir partout, est albanais. Pour les nationalistes, une telle compétition est un crime de lèse majesté. Mais pas moins de 1000 personnes ont participé ! C’est important pour le Kosovo ! »

Profession : provocateur

Il évoque aussi le faible score du parti nationaliste albanais qui ne dépasse pas un pourcent. « Et chose importante, alors même que le plan Athissari (ndlr : l’interview a eu lieu avant la déclaration d’indépendance du 17 février dernier) est encore en discussion dans les instances internationales, le Parlement du Kosovo a commencé à le ratifier. »

Pour Migjen Kelmendi, il s’agit aussi de combattre les hommes de Belgrade : Boris Tadi et Vojislav Koštunica (respectivement Président et premier ministre de Serbie) qui « ne sont qu’une copie de Milosevic. Ils utilisent les Serbes du Kosovo comme un outil politique, les excluant de ce qui se passe ici alors que dans la Constitution qui verra le jour, les droits des Serbes seront préservés. Ils auront une place au Parlement. »

Finalement, cet intellectuel, musicien et journaliste, a la volonté de remettre en cause les canons de la culture albanaise : « Je n’ai jamais changé de métier », conclut-il. « J’ai toujours poussé les barrières, posé les questions : je suis un provocateur. » Provocateur oui, mais pour la bonne cause.

Migjen Kelmendi et son groupe de rock 'The Traces'

Merci à Albert Salarich et Shpresa Bushi-Cadot