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Kosovo : dépouille et d’os

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Quatorze ans après le conflit au Kosovo, la recherche des personnes toujours portées disparues reste une urgence sociale.

Chaque matin, à 8 heures, Alan Robinson arrive à son bureau. A la « morgu », la morgue de l'hôpital public de Pristina. Le bâtiment de couleur jaune pâle est situé entre un parking, l'unité psychiatrique et de larges tentes, portant l'insigne de la Croix Rouge. « C'est là que sont disposés les restes des personnes disparues, une fois numérotés et identifiées. Vous avez petit déjeuné ? » Carrure solide, regard perçant et bracelets de cuir : le look de Robinson rappelle davantage Indiana Jones qu'un médecin légiste. 



Cérémonies officielles de « remise des restes »

Ce Britannique de 39 ans, né à Mexico, est le chef-adjoint du Département de médecine légale de la mission européenne Eulex. Archéologue de formation, il bifurque vers l'expertise médico-légale à la fin des années 90, en s'intéressant aux victimes de la dictature militaire au Guatemala. « Ce type de mission offre un bénéfice social incontestable : il participe au processus de réconciliation d'une nation. » Aujourd'hui, Robinson part avec son équipe sur le terrain au sud du pays. « Le nouveau propriétaire d'une ferme a signalé un puits bouché. Il redoute d'y trouver des corps. » Quatorze ans après le conflit au Kosovo, les excavations et les « hand over celebrations » - les cérémonies officielles de « remise des restes » - sont encore le lot quotidien de l'unité de médecine légale. « Des petits cartons qui contiennent les dépouilles sont remis aux familles pour être enfin enterrées dignement. » 


Le 17 février prochain, le Kosovo célèbrera le 5ème anniversaire de son indépendance, proclamée de manière unilatérale le 17 février 2008.

« Tant que les familles ne savent pas ce qui s'est passé avec leurs proches, ils sont comme bloqués dans leur leur vie quotidienne. »

Selon les chiffres du Comité international de la Croix rouge (CICR), 1 799 personnes sont toujours portées disparues suite à la guerre du Kosovo. Pour défendre leur mémoire, il existe 22 associations officielles, pas moins : il y a les familles des disparus « albanais » et celles des disparus « serbes ». « Il m'est néanmoins impossible de distinguer l'appartenance ethnique des morceaux d'os, souvent carbonisés que nous retrouvons », tempère Robinson, avec ironie. « Nous voulons rester en dehors de la politique. » 



La météo est radieuse : après avoir étrenné leurs lunettes de soleil, très Men in Black, Robinson et son équipe d'une dizaine de personnes - traductrice, policiers locaux, assistants... - embarquent à bord de gros 4x4, estampillés du drapeau de l'Union européenne.

En 2011, le Département de médecine légale a procédé à près de 350 fouilles et exhumé les corps de 42 personnes. 51 personnes disparues ont été identifiées et 79 dépouilles ont été rendues aux familles. « Notre mission suscite des espoirs qui ne seront jamais comblés par de simples résultats d'analyses. Obtenir justice est un processus extrêmement long, sur plusieurs générations », souligne Robinson 



Ruban jaune, cigarillo et bout de fémur

Arrivée à Orahovac/Rahovec, l’ équipe se présente aux habitants avant de recueillir les témoignages des voisins, des hommes plutôt âgés. L'endroit à excaver est situé à côté d'une mosquée, devant une grosse ferme, bien entretenue. 

Alan Robinson désigne un périmètre d'une dizaine de mètres qui sera encerclé par des rubans jaunes, emblématiques des scènes de crime : les assistants se déploient, examinent la zone au peigne fin et déposent des petits drapeaux, tandis que les pelleteuses commencent à retourner la terre. Sous le regard furieux du propriétaire des lieux. 

Dossiers égarés, enterrement de certaines victimes sous de faux noms ou reconstitution de squelettes avec des os appartenant à d'autres disparus ont aiguisé la méfiance de la population à l'égard des émissaires de la Minuk, remplacés aujourd'hui par ceux d'Eulex. « Environ 6% des affaires 'traitées' par le TPI ont dû être ré-ouvertes. Nous travaillons désormais exclusivement à l'identification des victimes, grâce aux tests ADN. La priorité est de former une équipe locale d'experts qui puisse prendre notre relève : car Eulex ne restera pas éternellement au Kosovo. » 

Robinson traverse à grandes enjambées le chantier avant d'inspecter, courbé sur les gravats et les cailloux, là un morceau de bois, non, un bout de fémur. Cigarette. Fouille. Cigarette. De nombreux ossements carbonisés sont finalement déterrés, soigneusement époussetés, numérotés avant d'être photographiés puis glissés dans des « body bags ».

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Une voiture noire s'approche lentement : costume sombre et cigarillo au bec, le Président de la Commission gouvernementale des personnes disparues fait une apparition. Poignées de main. Palabres. Accolades. « On raconte qu'au 1er janvier, il a pour habitude d'apporter de l'alcool de 'rakia' qu'il confectionne lui-même », précisé Xani, l’assistant de Robinson.

Un vieil homme au visage buriné, est agenouillé perdu dans ses pensées, hypnotisé par le ballet incessant des pelles mécaniques. Le corps de l'un de ses deux fils, les deux tués durant le conflit n'a jamais été retrouvé, a expliqué la traductrice. « Tant que les familles ne savent pas ce qui s'est passé avec leurs proches, ils sont comme bloqués dans leur vie quotidienne. » Ce week-end, Alan Robinson se livrera à son hobby favori : un saut en parapente. Le pays des merles noirs vu du ciel. Et non sous terre. « C'est important de faire le vide. »

Photos : Une (cc) khrawlings ; Texte : Newborn (cc) charlesfred, Orahovac (cc) un_photo toutes via flickr