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Karima Delli : « L'Europe n'est plus aimée »

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Politique

Battue à la primaire des écolos en France, Karima Delli a vite digéré sa défaite en repartant mener son autre combat à Bruxelles : l’Europe. Députée européenne depuis 2009, la jeune élue de 37 ans a effectivement un plan pour sauver le Vieux Continent. Un plan qui envoie. Interview.

cafébabel : Quel est le principal problème en Europe ?

Karima Delli : L’Europe n’est plus aimée. Parce que face aux grands défis, on a des chefs d’États qui n’ont pas été à la hauteur. Sur la crise des réfugiés, pour une fois que l’Europe proposait un grand plan de répartition, on était en présence de chefs d’États qui, entre Orban et les autres, ont tout fait capoter. Ensuite, l’Europe n’est plus exemplaire. Barroso (ancien président de la Commission européenne, ndlr) est parti à Goldman Sachs. On a une ancienne commissaire (Neelie Kroes, ndlr) qui a dirigé une société offshore. Dehors ! Ça suffit ! Il faut arrêter de mentir. Dans mon programme, je veux arrêter le double discours entre Paris et Bruxelles. Trop de personnalités politiques tapent sur l’Europe alors qu’ils en bénéficient. Pourtant, les citoyens européens, eux, ils sont là. Quand on les consulte, ils sont prêts.

cafébabel : N'y aurait-il pas, aussi, un problème de récit européen ? On dit souvent que tout va mal...

Karima Delli : Il faut faire attention. Nous sommes la génération qui doit relancer le rêve européen. Tout le monde dit que c’est compliqué. Mais vous croyez que c’était facile de faire la semaine des congés payés dans les années 30 ? Ceux qui prônaient la fin de l’esclavage, vous pensez qu’ils n’ont pas souffert ? Il faut redevenir utopiste. Il faut se battre pour y arriver.

Il faut surtout sortir des vieux modèles des partis. Pour ça, la première chose à faire, c’est d’arrêter de parler de nouveaux traités et de lancer une constituante. Autrement dit, il faut parler aux gens et leur demander s’ils des idées qu’ils souhaitent apporter au débat. Une constituante, c’est rédiger un nouveau traité ensemble. Comment faire ? On a tous les outils pour, les réseaux sociaux en premier lieu. On peut même le faire à 28. On fait bien des initiatives citoyennes avec des pétitions en ligne, on peut commencer à fédérer autour de nouvelles idées.

cafébabel : Par où commencer ?

Karima Delli : Il faut que l’Europe s’attaque aux vrais problèmes. Ce n’est pas normal qu’on en soit toujours là sur les paradis fiscaux. Ce n’est pas normal qu’on ne soit toujours pas parvenus à introduire la taxe sur les transactions financières. En réalité, il y a deux problèmes en Europe. D’une part, elle est trop technocratique. D’autre part, on manque d’harmonisation à la fois sociale et fiscale. Je travaille beaucoup sur le dumping social. Je me bats pour un salaire minimum européen. Mais c’est une vraie grosse bataille.

cafébabel : Comment intéresser les jeunes à l’Europe ?

Karima Delli : En leur faisant découvrir. Mais ce n’est pas suffisant. Personnellement, je n’ai pas pu faire Erasmus. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas les moyens. Erasmus, c’est toujours les mêmes, c’est à dire jamais ceux qui sont issus des classes populaires. Donc première chose : j’invente le service civique européen, tout de suite !  

cafébabel : Mais ça existe déjà, le SVE...

Karima Delli : (Elle tape sur la table) Ce n’est pas la même chose et puis de toute façon, qui le sait ? Moi, je veux le rendre obligatoire. Dans la période où vous faites vos études, vous prenez six mois pour aller voir ce qu’il se passe ailleurs. Et après je me donne un chiffre : tous les ans, on envoie 1 million de jeunes en Europe. Pour qu’ils se parlent, pour qu’ils créent de la cohésion, pour qu’ils deviennent les petits malins de demain. Pour qu’on limite la question des différences. Pour qu’on évite les vieux débats pourris français : l’identité nationale, l’immigration... On balaie toutes ces questions-là et on ne s’en pose qu’une : comment créer une identité européenne ?

Au Parlement européen, on s’est battus comme jamais pour les jeunes. On a tout de suite mis en place la garantie jeunesse. Soit un dispositif qui permet à tous les jeunes qui n’ont pas de boulot d’avoir un stage, une formation ou un emploi de qualité. On a débloqué 6 milliards d’euros pour ça.

cafébabel : Je vous retourne la question : qui le sait ?

Karima Delli : Ok mais ça fonctionne ! Si vous regardez les pays qui l’ont mis en œuvre, ça marche : en Finlande, au Danemark, en Allemagne, en Italie... Le problème en France, c’est qu’il n’y a aucune communication sur le sujet. Quand bien même, vous connaissez les positions de la France sur l’Europe vous ? Il n’y a pas de débat européen en France. On n’a pas de ministère, pas de conseillers. Quand vous appelez quelqu’un pour négocier sur l’Europe en France, vous appelez qui ? On a juste un secrétariat d’État. Mais sérieusement, il fait quoi ? Il n’impose jamais de débat européen. Merkel qu’est-ce qu’elle fait avant d’aller au Conseil de l’Europe ? Elle va au Bundestag (Parlement allemand, ndlr) parler d’Europe et toutes les télévisions sont là. Même dans le café du commerce en Allemagne, à ce moment-là, on parle d’Europe.

cafébabel : Comment vous l’expliquez ?

Karima Delli : Il n’y a pas assez de médias qui parle d’Europe. Je suis désolé mais je suis super fâchée quand on me dit qu’on ne connaît pas nos députés européens. Quand il y a un débat sur l’Europe, on invite qui ? Les députés nationaux qui ne savent absolument rien, des chefs de partis qui sont vraiment nuls. Ils sont où les députes européens ? Parmi les diplomates allemands, tout le monde se bat pour aller à l’Europe. Nous, on envoie des seconds couteaux, des gens qui ont des casseroles. L’Europe, ce n’est pas une chambre de retraite, c’est beaucoup trop important pour ça.

C’est à ce qui ont fait Erasmus d’être les ambassadeurs de l’Europe. Il faut des relais. Je ne comprends pas comment on n'a pas pu y penser avant. Chaque fois que je vais au Parlement, on me répète que c’est top la France, que ce qu’on fait sur les logements sociaux c’est super, que notre protection sociale est exemplaire etc. Mais tout ce que l'on a de bien, qui le porte ? Personne. 

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.