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Kaliningrad : la petite Russie au bord de la Baltique ?

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kasiakjk

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Default profile picture Catherine Bobko

Quand le président russe Dimitri Medvedev a annoncé la mise en place, sur le territoire de Kaliningrad, de missiles Iskander, les medias occidentaux ont crié à un retour au temps de la guerre froide. En même temps, à Kaliningrad, on observait une certaine distance face à ces révélations du Kremlin.

Une attitude sage puisque la réponse russe à la base antimissile américaine envisagée sur les sols polonais et tchèques s’est résumée en un coup de bluff diplomatique.

On peut être visionnaire dans son propre pays. La russe Kaliningrad, coincée entre la Pologne et la Lituanie, au bord de la Mer baltique, a vu venir le coup médiatique en provenance de la lointaine capitale, Moscou. Même les journaux en rient. Récemment, un des titres de Kaliningrad plaisantait au sujet des plans militaires de Moscou : « En ville, il y a déjà Iskander ! Il a un très long cou », écrit-on à propos de la nouvelle acquisition du zoo de la ville, une girafe, à qui on aurait donné le nom des missiles. La rue a repris l’idée. La blague a touché son but dans l’humeur populaire. Interrogés sur l’installation éventuelle des missiles, les habitants de l’enclave s’accordent sur leur position : « Nous attendons, nous verrons bien. Rien n’est encore sûr. » Ce même espoir d’une victoire de la raison a été exprimé par la chef de l’office touristique du territoire de Kaliningrad. Maria Drutman a, toutefois, reconnu sa gratitude à l’égard du président : « Grâce à lui, le monde entier a découvert l’existence de Kaliningrad. C’est un super coup de pub pour nous ! »

Tourisme en vue

(themactep/ Paul Philippov/flickr) En effet, loin de s’armer jusqu’aux dents, la ville de Kant se tourne vers le tourisme. Le développement de l’industrie touristique est l’une des priorités du gouvernement local. L’héritage prussien agrémenté par la fantaisie russe est censé attirer les visiteurs. La Koenigsberg d’avant-guerre se régénère, en devenant l’attraction commerciale de Kaliningrad. Le philosophe, moraliste mondialement connu est devenu la carte de visite de la ville, qui ne cache plus son histoire complexe. Il n’en a pas toujours été ainsi. A l’époque soviétique, ce territoire était une zone militarisée et fermée. La région servait d’épouvantail contre l’Ouest. Les traces de la présence prussienne crevaient les yeux des dirigeants communistes au point qu’en 1968, le château des Croisés du 13e siècle a été détruit.

« Nous somme plus Européens que nos concitoyens du fin fond de la Russie »

Kaliningrad devait devenir soviétique, mais ses habitants penchaient vers l’Europe. Dans les années 90, les services de sécurité ont noté chez les jeunes « un intérêt malsain pour tout ce qui est allemand ». Dans le patois local, la ville était appelé « Koenig ». Aujourd’hui, les sociologues ont remarqué que la majorité des jeunes se présente comme « n’étant déjà plus Russes mais pas encore Européens ». Il n’est certes pas question d’un séparatisme à Kaliningrad, et les succès de l’équipe de foot russes sont fêtés avec grand bruit comme dans toutes les autres parties du pays.

Europa : shopping contre histoire

(themactep/ Paul Philippov/flickr)Mais, les habitants du territoire aiment à souligner leur spécificité : « Nous somme plus Européens que nos concitoyens du fin fond de la Russie », estime Michaił Janickij, un journaliste local. Nous nous trouvons à l’endroit où, à côté de la statue commémorative de la mère patrie russe qui rappelle le lien du territoire à l’URSS, se trouve « Europa », un centre commercial flambant neuf. La majorité des habitants juge positivement le passage d’une politique de confrontation à celle de coopération avec l’Europe. Mais, le territoire entend bien devenir la fenêtre de la Russie sur l’Occident. Près de 70 % des jeunes de Kaliningrad lient l’avenir de la région à celui l’UE, dans les frontières desquelles ils se trouvent le plus souvent que dans celles de leur patrie, éloignée de plus de 600 kilomètres. La grande patrie a en outre désabusé les habitants de Kaliningrad. Sous Eltsine, Moscou manquait d’idée sur l’avenir de ce territoire détaché du reste du pays. Un grand plan ambitieux de faire de l’enclave de Kaliningrad, la « Hong Kong russe » a été élaboré, mais la zone franche économique, créée en 1991, est devenue seulement la couverture d’intérêts occultes. 

Las Vegas balte

Sur le territoire, la criminalité organisée a crû, de même que le nombre de personnes atteintes du virus du VIH et le chômage. Le manque de confiance à l’égard de Moscou a encore augmenté au moment de la crise économique de 1998, quand la chute du rouble a produit de grosses pertes à Kaliningrad, qui dépend fortement des importations. A l’époque de la prospérité née du pétrole, la situation économique s’est améliorée. La région s’est vu injecter des fonds fédéraux. De grands centres commerciaux ont été érigés, les rues principales et les places ont été rénovées. Les hommes d’affaires de Moscou sont venus investir dans la construction d’hôtels et de casinos. Kaliningrad, qui, il faut bien l’avouer, n’est pas devenu le « Hong Kong russe » veut être aujourd’hui le « Las Vegas balte ». Les pouvoirs ont promis aux habitants un « niveau de vie européen ». Bien que personne n’y croie vraiment, l’optimisme domine toutes les prévisions.

 « Des missiles ? Quels missiles ? »

Quand, cependant, à la fin 2008, la région a ressenti les premiers effets de la récession mondiale, les vieux démons du krach de 1998 se sont à nouveau réveillés : les entreprises ferment les unes après les autres, le chômage augmente, les employeurs ne paient pas les salaires, la compagnie aérienne locale a fait faillite. Or, sans transport aérien, Kaliningrad va devenir une prison, le passage de la frontière en voiture est, encore aujourd’hui, un vrai cauchemar. 

L’Eurussie indépendante ?

La région, qui n’est même pas capable de se nourrir toute seule, car les prix des produits alimentaires sont ici plus chers qu’en Russie, en Pologne et en Lituanie, veut néanmoins atteindre l’indépendance. Le problème tient à ce que les plans de la Fédération de Russie et ceux du territoire de Kaliningrad sont opposés. Dans la « petite Russie », que les habitants décrivent habituellement comme « l’Eurussie » voire « la Russie balte », on parle plus souvent de visas, de crise économique, de carrière professionnelle, du nouveau centre commercial que de menaces américaines et de sentiments post-impérialistes. « Des missiles ? Quels missiles ? », s’étonne Wasil, un étudiant d’une vingtaine d’année de l’université Emmanuel Kant. Justement, quels missiles ? Si le Kremlin avait voulu mettre à exécution ses menaces militaires, il aurait dû faire face à l’opposition de l’Occident mais également à celle de sa population locale. La Russie a bluffé. Mais, on peut féliciter les habitants de Kaliningrad d’avoir su faire usage de leur raison.

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Translated from Inna Rosja